En 2016, Stan Wawrinka remporte son troisième tournoi du Grand Chelem de la décennie en s’imposant avec style à l’US Open. De quoi faire oublier son horrible short porté lors de sa victoire à Roland Garros un an plus tôt ? Pas totalement, même si, six ans plus tard, l’heure est de la réhabilitation est venue : ce short, c’était le tennis vrai.
Les années ont passées, les tournois se sont succédés, les modes ont défilé, mais rien n'y fait. Impossible d’oublier Stan Wawrinka, l’un des héros de la décennie, vainqueur de trois tournois du Grand Chelem (l’Open d’Australie 2014, Roland Garros 2015 et l’US Open 2016). Impossible, surtout, de rayer de nos mémoires la tenue portée par le puncheur suisse aux Internationaux de France, il y a six ans. Concrètement, son polo blanc et gris, aux accents rouges, ressemblait au funeste travail d’un directeur artistique daltonien. De façon remarquable, son short était pire encore. Dans les mêmes teintes de couleur, celui-ci était en effet, en prime, parcouru d’un improbable et grossier motif à carreaux.
Naturellement, ladite tenue fit jaser. Et hurler. En demi-finale, un spectateur, fan de Tsonga, cria ainsi : « Dis toi, qu’il est en pyjama ! » Plus tard, Stan Wawrinka et son équipementier s’expliquèrent. « Nous ne nous attendions pas à ce que cette tenue fasse autant de bruit, souffla simplement Yoonex. Notre seul objectif est d’accompagner le mieux possible le joueur dans la performance. » Le Suisse fut plus volubile. « Tout le monde a l'air de parler de ce short depuis que je le mets. Je l'aime bien. Apparemment, je suis le seul. » Puis, il s’amusa. « C'est le trois en un, ce short. Je vais me baigner, je vais au tennis, et après, je vais dormir avec. » En réalité, tout était là.
De fait, si le short du Suisse défiait les principes fondamentaux de l’élégance, il balayait surtout le prestige attaché à la pratique du tennis de haut niveau pour faire remonter à la surface les images d’un tout autre tennis. Celui des campings et des hôtels clubs, des grillades et du rosé, des balles molles et des grips élimés, des médailles à ruban tricolore et des balles litigieuses remises après de longues minutes de palabres, de coup de pression et de « elle est dehors de 10 cm ! ».
Apôtre du tennis d’en bas
De fait, chaque été, des tournois de tennis s’improvisent sous le soleil. Alléchés par la perspective d'étaler au grand jour leur maîtrise du slice et du jet de raquettes contre grillage, les joueurs du dimanche, ou moins que ça encore, s'empressent de s'y inscrire et de se confronter à une difficile problématique stylistique : comment s'habiller dignement pour disputer un match de tennis, sport d'élégance s'il en est (rappelons que le port du blanc intégral est strictement imposé à Wimbledon, au point que Roger Federer a dû se débarrasser, en 2013, de ses chaussures aux semelles orange) lorsque l'on passe ses journées entre un bungalow et une piscine, jamais vraiment loin d'un barbecue et de la sieste qui s’en suit ?
En haut, un ordinaire tee-shirt à message de mauvais goût fait souvent l'affaire mais, en bas, l'histoire se complique. Dans ce type de tournoi s'étalant sur une journée, la convocation pour un match peut en effet tomber à n'importe quel moment, juste avant ou juste après une baignade. Par souci de commodité et pour ne pas perturber le déroulement de leurs activités, les joueurs se présentent donc le plus souvent sur le court vêtus du short de bain qui les accompagne au quotidien, de la piscine à la plade, fût-il à fleurs, imprimé maya, à pois ou à carreaux, comme celui de Wawrinka…
Ainsi, en 2015, c’est ce tennis là que le Suisse représenta à Roland Garros, consciemment ou pas. Porte d’Auteuil, dans le Saint des Saints, là où le tennis est un statut social avant d’être un sport, Warwrinka ramena le tennis d’en bas. Au terme d’un parcours impeccable et à la stupeur générale il le fit même triompher. Voici, aussi, pourquoi cette victoire, douloureuse d’un point de vue esthétique, est inoubliable.