Giovanni Mpetshi Perricard : identité de jeu, service, et audace

3 juil. 2024 à 21:45:33 | par Mathieu Canac

Lundi, sur le gazon de Wimbledon, Giovanni Mpetshi Perricard, pas encore 21 ans, a confirmé sa progression en remportant sa première victoire en Grand Chelem. Tombeur de Sebastian Korda, tête de série numéro 20, en faisant son entrée parmi les rares joueurs ayant claqué plus de 50 aces en un match, le Français a démontré, depuis plusieurs mois, que son jeu était loin de se résumer à une première balle surpuissante.

Avec son service-comète venu d’une autre galaxie, Giovanni Mpetshi Perricard est entré dans la Zone 51. Celle des extra-terrestres ayant réussi à claquer plus de 50 aces au cours d’une même partie sur le circuit principal. Avant lui, depuis l’archivage des statistiques à partir de 1991, sept hommes l’avaient fait : John Isner, six fois, avec un record à 113 aces lors du fameux « match sans fin » contre Nicolas Mahut à Wimbledon en 2010 ; Mahut, 103 aces pendant le même duel ; Ivo Karlović, neuf fois, avec un record à 75 aces ; Reilly Opelka, 67 aces ; Albano Olivetti, 56 aces ; Gilles Müller et Joachim Johansson, 51 aces.

Mardi, en faisant pétarader un service intouchable de plus que les 50 unités lâchées par Roger Federer - seul autre joueur à avoir atteint la demi-centaine - pour remporter le titre sur le Centre Court face à Andy Roddick en 2009, Mpetshi Perricard a dégoûté Sebastian Korda, 21e mondial. Soit la troisième meilleure perf’ de sa carrière derrière celles contre Ben Shelton, 14e, au Queen’s, et Alexander Bublik, 19e, à Lyon. De quoi réussir son entrée en lice sur le gazon londonien et remporter son premier succès en Grand Chelem. En conjurant le sort.

Éliminé en cinq sets lors des deux dernières éditions de Roland-Garros, le colosse de 2,03 m et plus de 100 kg - poids indiqué par Emmanuel Planque, dans L'Équipe - a cette fois terminé le marathon en vainqueur. Victoire 7-6⁵, 6-7⁴, 7-6⁶, 6-7⁴, 6-3. Grâce, en partie, à son engagement. 51 « pastèques », c’est, par exemple, seulement 6 aces de moins que Rafael Nadal lors de sa première saison complète – ou presque, il n’avait pas pu jouer Roland-Garros et Wimbledon – au niveau ATP en 2004, avec 47 matchs. Ou encore 5 de plus que Diego Schwartzman sur l’ensemble de l’année 2023, en 38 empoignades.

« Il a un super geste, je ne toucherais à rien de sa technique » - John Isner, au sujet du service de Mpetshi Perricard

Un point fort que le Français semblant avoir avalé une armoire normande doit évidemment à son gabarit, mais pas que. Être grand et robuste comme un séquoia géant ne suffit pas pour envoyer autant de bûches injouables. Du haut de ses 2,01 m, Nicolás Jarry, par exemple, fait tomber nettement moins d’aces que le surnommé « Gio ». 8,1 en moyenne par rencontre pour le Chilien depuis le 1er janvier ; 17,8 pour le Tricolore. « Il (Giovanni Mpetshi Perricard) a un super geste, a analysé John Inser, maître du genre, pour L'Équipe. Je ne toucherais à rien de sa technique, elle me semble parfaite. Et il a déjà montré qu’il pouvait toucher toutes les zones. Il frappe aussi très fort en en deuxième balle avec peu de déchet. »

Et sans maîtrise, la puissance n’est rien, comme dirait une marque de pneu connue pour ses calendriers faisant davantage la part belle à la plastique qu’au caoutchouc. « Bien sûr, quand on est grand, ça aide, mais si tu n’as pas une bonne technique, si tu n’as pas travaillé à l’entraînement, si tu n’as pas fait des heures de panier, tu ne vas pas pouvoir servir beaucoup d’aces en match, a quant à lui expliqué le principal intéressé, bientôt 21 ans, il est né un 8 juillet, après avoir vaincu Korda, comme l’a rapporté L’Equipe. Les mecs retournent très bien, donc il faut être de plus en plus précis. »

Très efficace en coup droit, adroit au filet, capable de caresser des amorties, très mobile pour ses mensurations, notamment dans le petit jeu de jambes pour se décaler sur son coup droit – « ce qui m’épate, c’est à quel point il se déplace bien », a souligné Isner – « GMP » est très loin de n’être qu’un serveur. « Il ne faut pas trop que je me repose là-dessus (le service) tout le temps, parce qu’ils (les joueurs) comment tous à mieux relancer, fait-il remarquer. Les balles sont un peu plus lourdes, les surfaces un peu plus lentes, il y a des retours qui sont longs et après il faut quand même avoir un fond de jeu suffisamment fort pour faire la différence. »

« Il commence à bien comprendre qu’il va falloir faire de Rafa Nadal et son style de jeu un vieux rêve » - Emmanuel Planque, coach de Mpetshi Perricard

En revers, frappé à une main, il est capable de décocher quelques merveilles, à hauteur de hanche. En revanche, en retour, lorsque la balle arrive vite, il est régulièrement en difficulté sur ce coup. Mais les progrès effectués depuis plus d’un an sont épastrouillants. « Et, même si son revers restera probablement son côté faible, il va continuer à s'améliorer », estime Isner. 370e de la hiérarchie planétaire pour débuter 2023, Mpetshi Perricard est désormais 58e, meilleur classement qu’il est d’ores et déjà assuré d’améliorer à l’issue de Wimbledon. Une ascension commencée en remportant son premier titre Challenger en avril l’an passé, suivi de trois autres ces derniers mois - les quatre sur dur - avant d’ouvrir son palmarès sur le circuit principal en mai. Devant le public de sa ville natale, à Lyon, sur terre battue.

Pour s’ouvrir la porte du top 200, fin 2022 après ses premières victoires ATP pour atteindre les quarts de finale à Anvers, puis venir s’asseoir à la table des 100 meilleurs du monde, Mpetshi Perricard a dû trouver une clef primordiale : son identité de jeu. « Quand j’ai commencé avec Manu (Emmanuel Planque, en 2022) (...) il y avait beaucoup de boulot, c’était un gros chantier, a-t-il expliqué lundi. Il fallait changer des choses, parce que, déjà, je n'avais pas la bonne vision de mon jeu. Je ne voyais pas comment j’allais jouer dans quelques années. » Fan de Nadal, il avait peut-être parfois trop tendance à vouloir l'imiter en se lançant dans des rallyes pour construire ses points avec des frappes pleine de volume.

Pour Planque, il a d’abord fallu convaincre son nouveau protégé d’adopter un tennis « en deux, trois frappes ». « Son idole, c’est Rafael Nadal, alors j’ai un peu ramé (rires)... En lui parlant plutôt de (Mark) Philippoussis ou de joueurs comme ça, a confié l’entraîneur interrogé par L’Équipe en octobre. Entre la représentation qu'il avait de lui et les exigences au plus haut niveau et ce qu'il rencontre, avec l'expérience qu'il vit lorsqu'il s'entraîne avec des bons joueurs, l'un dans l'autre il commence à bien comprendre qu'il va falloir faire de Rafa Nadal et son style de jeu un vieux rêve. » Petit à petit, « le chantier » a donné naissance à un édifice de plus en plus solide. En ayant posé les fondations avec intelligence.

De l’audace jusque dans les moments où la pression est la plus forte

« Je me suis fait un point d’honneur à ce que Giovanni ait une très belle technique, a détaillé Planque. Qu'il soit fiable techniquement et pas embêté par les contraintes que représente sa taille (...) qu'il n'y ait pas de grosses lacunes. (...) Il doit être capable de prendre tôt, d'arriver à l'heure et de mettre beaucoup de vitesse sur les premières frappes quelle que soit la balle reçue. C'est vers cela qu'on souhaite aller car ce sont aussi les canons du tennis moderne. Ses contemporains, ce sont (Carlos) Alcaraz, (Jannik) Sinner, des joueurs qui frappent extrêmement fort. Évidemment, quand tu sers à 225 km/h, que tu mesures 2,03 m et que le retour revient aussi vite, sur le deuxième coup tu as intérêt à être mobile pour être capable de te mettre à distance et de frapper la balle convenablement. »

L’un des autres points forts de Mpetshi Perricard, c’est sa gestion des émotions. Faciès presque aussi illisible qu’un bloc de glace, il ne montre rien à l’adversaire, si ce n’est une détermination, visible dans son regard, à le refroidir à coup d’aces. Surtout, lors des situations chaudes, il parvient à ne pas se laisser consumer par la pression, le stress, l’enjeu, pour continuer à aller de l’avant. Lors de sa finale lyonnaise, malgré deux volées « faciles » - entre guillemets, car rien ne l’est quand on est à deux doigts de triompher - manquées de suite à 6-4, 1-6, 6-5, 30-30 sur son service, puis un smash à 4-2 dans le jeu décisif, il n’a pas hésité à revenir au filet par la suite. Avec succès.

Face à Korda, à six points partout dans le tie-break de la troisième manche, il a servi son plat favori : l’ace. Mais sur deuxième balle. Audace qu’il a pris l’habitude de tenter régulièrement et avec réussite. Y compris lors des moments importants, quand il faut s’y forcer en affrontant la tension. « J'avais envie de faire une petite deuxième à 160 km/h, a ensuite confié Giovanni Mpetshi Perricard, qui a pris rendez-vous avec Yoshihito Nishioka au deuxième tour. Je n'avais pas envie de faire l'ace au T, mais faut y aller, je sais que j'ai moins de chances si je ne m'engage pas. Si j'avais fait double faute, on m'aurait dit : ''Ouais, quel crétin d'avoir tenté ça !''. Mais quand ça marche, tout le monde est impressionné, et j'étais prêt à assumer ce choix. » Parce qu’un match de tennis est aussi une partie d’échecs et, comme l’a écrit Goethe, « les idées audacieuses sont comme les pièces qu’on déplace sur un échiquier : on risque de les perdre mais elles peuvent aussi être l’amorce d’une stratégie gagnante. »

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