« Alcaraz - Sinner : le meilleur match que j’ai pu voir dans ma vie » - Wilander

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé », a écrit Alphonse de Lamartine. Alors imaginez quand trois disparaissent. Plus qu’un monde, c’est un univers qui s’écroule. Au point de tuer toute réaction émotionnelle. De n’être désormais qu’un corps inerte à l’âme dévastée, n’ayant même plus la force de pleurer sous un plaid avec un pot de glace à la main. À une ou deux exagérations, très légères, c’est ce qu'on craint de traverser certains passionnés de tennis en voyant la fin du « Big 3 » approcher. 

Une fois les duels anthologiques, presque mythologiques, entre Rafael Nadal, Roger Federer et Novak Djokovic, à quoi bon continuer à vivre ? Nous ne reverrons jamais de tels matchs-monuments nous faisant passer, en quelques heures, par toutes les émotions humainement qu’il soit humainement possible de ressentir. Les aiguilles du temps tricotant tranquillement le linceul de l’ère Suisso-Hispano-Serbe, le moment tant redouté est désormais proche.

Federer profite de sa retraite, Nadal, 38 ans, en parle de plus en plus - bien qu’il garde encore l’espoir d’être présent à Roland-Garros en 2025 - et Novak Djokovic, 37 balais, montre des signes de baisse de régime. Confiant d'avoir de plus en plus de difficultés à se motiver en dehors des tournois du Grand Chelem et à être éloigné trop longtemps de sa famille, le Serbe, en manque de résultats - par rapport à ses standards - en 2024 doit désormais faire face à une blessure au genou droit, nécessitant une opération.

Alcaraz et Sinner, messies pour une nouvelle ère

Forfait pour les quarts de finale de « Roland », Djokovic va perdre officiellement sa place de numéro 1 mondial à l’issue du tournoi. Au profit de Jannik Sinner. L’un des deux nouveaux messies envoyés sur Terre par les dieux du tennis afin d'aider les fans perdus à retrouver foi en l’avenir. Avec eux, et espérons-le d’autres jeunes d’âges proches - Holger Rune, Ben Shelton, Lorenzo Musetti, Arthur Fils, Jakub Menšík, Giovanni Mpetshi Perricard, Shang Juncheng, Luca van Assche… - les empoignades aux myriades de points mirifiques sont assurées. Elles ont même déjà commencé.

Avant leur demi-finale sur l’ocre de la porte d’Auteuil attendue par tous les amoureux de ce sport, Alcaraz et Sinner se sont affrontés huit fois sur le circuit principal, avec un bilan de quatre victoires partout. Pour la petite histoire, ils se sont aussi croisés une fois en Challenger. Lors du premier match de l’Espagnol à ce niveau, pour un succès à Alicante en 2019. Et leur chef-d’œuvre a eu lieu en 2022. En quart de finale de l’US Open, les deux virtuoses ont mis leurs partitions en harmonie pour produire un récital touchant au divin. L’un des plus beaux de tous les temps, d’après certains spécialistes.

« Le meilleur match de tennis que j’ai pu voir dans ma vie : le quart de finale de l’US Open 2022 entre Jannik Sinner et toi (Carlos Alcaraz). » Des mots forts prononcés lors de l’interview sur le court après la victoire du surnommé « Carlitos » contre Stéfanos Tsitsipás mardi soir. Par un homme qui a vu une flopée de grands matchs. Il en a même joué, puisqu’il s’agit de Mats Wilander, ancien numéro 1 mondial sept fois titrés en Grand Chelem, avec trois Open d’Australie, trois Roland-Garros et un US Open.

« Alcaraz et Sinner à l’US Open, ces gars-là sont en train de changer le jeu »

Aux commentaires sur Eurosport, Jean Paul Loth, ancien entraîneur de haut niveau, capitaine de Coupe Davis et DTN - bref, un homme qui a regardé un peu de tennis -, a plusieurs fois déclaré n’avoir « jamais vu, sur un match, un joueur produire un niveau aussi impressionant que celui qu’est capable d’offrir Alcaraz ». En précisant toutefois que la difficulté était de tenir cela sur une longue durée, et qu’il ne fallait pas confondre cet avis avec « être le meilleur de tous les temps. »

Pour d’autres encore, comme Dominic Thiem, le nouveau monstre à deux têtes va amener le tennis du futur. « On a vu Alcaraz et Sinner à l’US Open, ces gars-là sont en train de changer le jeu à leur manière, en termes de vitesse et d’agressivité, avait analysé l’Autrichien, qui vit ses derniers mois sur le circuit, lors d’une interview accordée à Rémi Bourrières pour Eurosport.fr deux semaines après le duel qui avait plongé le stade Arthur-Ashe dans l’aliénation jusqu’au bout de la nuit new-yorkaise. D’un bout à l’autre du match, quel que soit le score et même sur les points très importants, ils s’engagent à fond, ils prennent des risques énormes et je trouve qu’on n’avait jamais trop vu ça par le passé. »

Le tennis masculin s’est relevé de la fin de la rivalité, touchant au mythique, de Björn Borg et John McEnroe, puis de celle opposant Andre Agassi à Pete Sampras ; il se remettra sans souci de l’ère du Big 3. C’est le sens de la grande histoire du tennis, et le duo Carlos Alcaraz - Jannik Sinner est déjà en train d’en reprendre la plume. Pour l’écrire, espérons-le, en lettres d’or, à commencer par le chapitre de leur prochain duel sur la terre battue du court Philippe-Chatrier vendredi.