Ce que Rafael Nadal va laisser en héritage à la nouvelle génération

28 mai 2024 à 21:09:41 | par Mohamed Bensafi

C’est un fait : la jeune génération a tout appris au contact de Rafael Nadal, 22 titres du Grand Chelem accrochés à la ceinture, dont 14 Roland-Garros. Mais quoi, exactement ? Explications en forme d’hommage.

On ne savait pas dans quel était-il reviendrait, puis on a vu. Ce lundi 27 mai 2024, Rafael Nadal a remontré le bout de son nez à Roland-Garros, les yeux noirs, offrant au public du Philippe-Chatrier son match le plus abouti depuis plus de deux mois, ce qui ne l’a pas empeché de s’incliner au premier tour, face à un Alexander Zverev XXL. En tribunes, au-delà de son clan, de jeunes loups étaient venus le voir, peut-être pour la dernière fois dans son jardin. On a notamment croisé Iga Swiatek et Carlos Alcaraz. Deux ans plus tôt, au même endroit, pour un quatrième tour, une autre promesse du jeu, Félix Auger-Aliassime était, lui, face au maître espagnol. Pour la troisième fois de l’Histoire seulement, il était poussé au cinquième set après avoir essuyé un cinglant 6-3 dans le quatrième. Le Canadien semblait voler. Avec sa décontraction apparente, le Canadien jouait les lignes et variait ses hauteurs de frappes comme jamais. Il s’était attaché les services d’un Toni Nadal qui vivait assez mal la situation ubuesque du jour et ne s’en cachait pas face aux caméras de la série Break Point, diffusée un peu plus tard sur Netflix. Plus efficace en première balle que le Majorquin ce jour-là, le Canadien ne marquera finalement que trois jeux dans le dernier set. Mais là où Novak Djokovic et John Isner avaient réussi le rare exploit de pousser Rafa en cinq sets à 26 ans, Félix, lui, y est parvenu à seulement 21 ans. La jeune génération aura t-elle mieux intégré la densité de l’héritage de l’ogre de l’ocre que les autres ? Décryptage.

 

“Le meilleur athlète de l’histoire”

Un fait qui marque surtout les enfants, déjà : au cours de sa carrière, Nadal n’a jamais détruit une raquette. Jamais. Une maîtrise émotionnelle dans un sport hautement frustrant qui parle dès le plus jeune âge à la nouvelle génération, à l’image de Casper Ruud, ancien pensionnaire de la Rafael Nadal Academy : “Je n’ai pas encore détruit de raquette. Là aussi, je me suis inspiré de Nadal. C’est un petit objectif que je me suis fixé : ne jamais détruire une raquette dans ma carrière.” Face aux 1242 matchs joués par son aîné, le Norvégien en est à 342 et compte bien suivre l’exemple de son mentor. “Cela conduit, précise-t-il, à bien se comporter sur le court. [...] Parfois, j’aimerai bien la jeter, mais cela ne te donne pas une bonne énergie.” À distance, l’Américain Ben Shelton a, lui, regardé beaucoup de matchs du Majorquin… mais pour décortiquer ses traits de caractères, confessant “lui avoir volé quelques secrets”, notamment sa “résilience” à toute épreuve. Certains ont fait leur devoir directement sur le court, face à l’idole. Corentin Moutet a ainsi réalisé son “rêve [de] petit garçon” affrontant Nadal sur le court Philippe Chartier en 2022. “Il est particulier dans tous les aspects : le jeu, la forme physique, la mentalité” montrant ainsi à la jeune génération “qu’on peut être à la fois ambitieux, fier de ses performances et en plus humble.”

 

Le constat est sans appel pour Andreï Rublev. À ses yeux, Nadal est le “meilleur athlète de l’histoire”. Dans un sport où la moindre contrariété physique peut devenir une excuse, “cela n’a aucune importance [pour l’Espagnol] de se sentir bien ou pas” lorsqu’il performe sur le court. Ce que confirme Jannik Sinner : “Pour moi, il a toujours été une source d’inspiration en raison de son esprit combatif. Il ne s’est jamais plaint de quoi que ce soit, c’est quelque chose de vraiment spécial.” Cette doctrine-là est très longue a intégré dans la réalité du quotidien des joueurs, mais “restera gravé dans les mémoires pour toujours”, dixit Stefanos Tsitsipas, estimant que c’est la cohérence du jeu du taureau de Manacor “qui a donné naissance à une grande partie des titres” que le Grec a remporté sur terre battue. La clé pour aller plus loin ? Tenter de faire disparaître le respect démesuré pour l'icône. C’est le travail psychologique que l’ancien gamin timide du sud d’Athènes a dû opérer juste avant sa finale à Barcelone le 25 avril 2021 face à Rafa et pendant :“Il m’a fallu un certain temps pour m’habituer à sa balle et oublier qui se trouvait de l’autre côté du filet. Bien sûr, j’ai grandi en le regardant. J’avais même un poster de lui dans ma chambre. C’est donc difficile au début. Vous vous dites : ‘C’est le héros de mon enfance.’” Alex De Minaur estime même que la seule solution est de “perdre tout le respect que l’on a pour Nadal et traiter le match et l’adversaire comme n’importe quel autre.”

 

Techniquement, l’héritage est aussi important. Si son coup droit - lasso ou banane, c’est selon - est fortement déconseillé par tous les kinés, c’est de l’autre côté que se situe le génie du Majorquin. “Son revers à deux mains est presque comme un coup droit parce qu’il a tellement de force et de rotation, et c’est la même chose pour Rafa de l’autre côté.” confie De Minaur. Bien plus, c’est son intensité dans chaque frappe qui est devenue sa signature, demandant une préparation physique et une gestion de son énergie phénoménale. C’est elle qui a changé profondément la perception de ce qu’était ce jeu pour beaucoup de joueurs, amateurs aux bords du court ou professionnels de l’autre côté du filet. Même Novak Djokovic a ainsi confessé avoir “rarement vu un joueur frappé aussi violemment dans la balle.”

 

“L’observer s’entraîner a plus d’impact que n’importe quel livre que j’aurais pu lire”

 

À première vue, son successeur pourrait être Carlos Alcaraz. Les deux espagnols font 1n85m, renvoient la même impression qu’ils ont les clés de la science du jeu sur terre, et sont, tous deux rentrés dans le top 10 mondial le même jour, à 19 ans d’écart. C’était lors du même tournoi, Barcelone, et Alcaraz s’est imposé sur le court central baptisé… Pista Rafa Nadal. Alcaraz a gagné son premier match en Challenger à 15 ans, son premier tournoi à 18 ans et son premier Grand Chelem à 19 ans. Pareil que Rafa. Mais la comparaison s’arrête là selon les dires du joueur de Murcie, mais aussi des experts du jeu: “Rafa imposait davantage sa façon de jouer” d’après Mats Wilander, tandis que le jeune Espagnol “paraît s’adapter davantage à ce qu’il y a en face.” Reste que Carlitos a conservé le besoin d’aligner minutieusement ses bouteilles d’eau tout comme le Majorquin.

 

Mais la véritable héritière annoncée est la Polonaise Iga Swiatek. Elle qui n’a été battue que deux fois en 28 matchs à Roland Garros a “cette capacité innée, si caractéristique de Nadal sur terre battue, de glisser très vite et de récupérer sa position sur le court avec une agilité étonnante, dixit Andy Roddick: son jeu de jambes est le meilleur [qu’il] aie jamais vu, après celui de Rafa.” L’histoire de la Polonaise est intimement liée à l’héritage Nadal. Elle a quinze ans au printemps 2016, à l’occasion de son premier Grand Chelem junior lorsqu’elle assiste pour la première fois à un entraînement de la grande passion de sa vie. “Cette session confirme certaines choses : sa concentration, son calme en toute circonstance, confie la joueuse. L’observer s’entraîner a eu plus d’impact que n’importe quelle interview ou n’importe quel livre que j’aurais pu lire.”’ La Polonaise change alors complètement sa manière d’être professionnelle :“J’ai la sensation que c’est à ce moment-là que j’ai commencé à être consciente de ce que je voulais prendre chez lui, de comment je voulais construire mon approche psychologique. [...] Je ne dirais pas que j’ai voulu me comporter de la même manière que Rafael Nadal mais plutôt que j’ai pris chez lui des détails pour renforcer mon approche de la performance.” Swiatek a depuis été adoubée par l’idole, qui l’a invitée à la cérémonie de la dernière remise des diplômes de la Rafael Nadal Academy.

 

“Faire grandir ce sport partout à travers le monde”

En dehors du court, toutes et tous ont observé les choix extra-sportifs de l’icône. Si la gamme textile de l'équipementier à la virgule a bien marché, que dire de sa collaboration avec la marque lyonnaise de raquettes : parce que Nadal joue avec ses cadres depuis l’âge de neuf (!) ans, une génération complète de joueurs y sont venus. Mais c’est aussi sur l’engagement que les plus jeunes se sont retrouvés. La méthode Nadal ? Avancer par étape : création de sa fondation en 2007 en collaboration avec l’ONG de Vincente Ferrer à destination des jeunes défavorisés ou en situation de handicap, puis création dans le district d’Anantapur, région pauvre de l’Inde, de la Rafa Tennis School, accueillant plus de 150 élèves chaque année qui bénéficient de cours de sport, mathématiques, anglais mais aussi en santé et nutrition. Sa philosophie ? “Toujours essayer d’aider, de rendre à la société toute la chance que nous avons d’avoir été bien traités par la vie.” Faire des choix mais parfaitement mettre à exécution ce sur quoi il s’engage. Des recettes que le Majorquin a lui hérité des choix d’un certain Zinédine Zidane. Récemment, il a ouvert une antenne de son Académie au Koweït, et prévoit de faire de même en Arabie Saoudite. L’objectif ? Encourager les enfants saoudiens “à prendre une raquette.” Son ambition ? “Faire grandir ce sport partout à travers le monde”. Son ultime défi après ce Roland-Garros perdu porte lui aussi une part d’universel : les Jeux Olympiques de Paris 2024. Verra t-on Carlos Alcaraz faire la paire en double lors de Paris 2024, sur la terre battue de la Porte d’Auteuil ? Très possible, Nadal le laissait sous-entendre ce lundi, et nul doute que les joueuses et joueurs du circuit présents lors du tournoi olympique resteront jusqu’au bout du tournoi du Majorquin pour rendre hommage à l’ogre de l’ocre. Le héros de leur enfance.

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