Ma dernière stance

22 déc. 2025, 13:24:00 | par Eli Weinstein

Le temps est venu une nouvelle fois de conclure la saison de tennis. L’année 2025 a, comme les autres, été riche en rebondissements et en matchs « de ouf ». Cette fin d’année est également pour moi une fin de cycle. Car les lignes qui suivent seront les ultimes que j’écris pour We are Tennis. Ma dernière stance.

Comment choisir le sujet de son dernier papier après 15 ans d’écriture ? C’était le dilemme auquel j’étais confronté ces derniers jours. Je me disais « je termine sur quoi? », « je parle de qui ? », « je parle de quoi ? ». Puis m’est venue l’idée de ne pas choisir. D’ailleurs ne dit-on pas que choisir, c’est renoncer ? Hors de question de renoncer, c’est pas l’genre de la maison. J’ai donc pris la décision d’évoquer, pour ma dernière, plusieurs thèmes qui me tiennent à cœur. Des thèmes sur lesquels j’ai beaucoup écrit, mais dont je ne me lasserai jamais.

Avant toute chose, il me semble naturel de remercier les personnes qui ont eu confiance en moi. Je ne vais pas commencer à faire un discours de vainqueur aux Oscars, car je suis persuadé de perdre immédiatement l’intégralité de mes lecteurs, mis à part mes fans inconditionnels, c’est-à-dire ma mère et mon père. En revanche, je remercie vivement les différentes personnes qui ont eu entre leurs mains le bébé « We are Tennis » et qui ont continué à me faire confiance. Je souhaite, et je dois, également remercier chaleureusement les deux personnes qui ont relu mes papiers durant toutes ces années avec, dans un premier temps, ma douce et, depuis quelques années, une certaine « Toutoune », qui a pris le relais.

Voilà. Ça, c’est fait. Maintenant, pour la dernière fois ici, je dois aborder le thème du GOAT. À travers mes différents papiers, j’ai dû aborder ce sujet une vingtaine de fois. Pourquoi pas plus, me direz-vous sur un ton sarcastique ? Tout simplement parce qu’il ne fallait pas abuser, même si ce n’était pas l’envie qui manquait.

Pourquoi donc me sens-je obligé de toucher à cette thématique à l’occasion de la der ? La réponse est d’une simplicité enfantine. J’ai commencé à travailler dans le tennis en 2000. Federer n’était pas encore devenu « Rodge », mais il en prenait le chemin. Tout le monde l’attendait. À ce moment de l’histoire, le GOAT était Pete Sampras et ses 14 titres du Grand Chelem. Tout le monde se disait que ce record ne serait jamais battu, que c’était juste incroyable, à la limite du surnaturel et qu’on avait de la chance d’être le contemporain de ce monstre. On connaît la suite. Sampras a été effacé des livres d’histoire, d’abord par « Rodge » donc, puis par les deux autres qui, eux, sont arrivés quelques années plus tard.

Je me souviens notamment de la finale du tournoi de Miami en 2005 et ce match où Rafa mène deux sets à rien (il avait déjà battu Federer l’année d’avant à Miami en 16e de finale, 6-3 6-3). Dans le temps, la finale se jouait en trois sets gagnants. Ce jour-là, Federer avait fait une remontada pour s’imposer en cinq sets. Je me souviens très bien avoir été ravi du résultat, ne souhaitant pas que le génialissime Roger Federer soit battu par un p’tit jeune aux cheveux longs et en pantacourt.

Tant que les critères seront subjectifs, il sera impossible d’arriver à un consensus.

Et les années ont avancé et je suis devenu de plus en plus fan de ce Majorquin en colère. J’ai toujours été fan des dominateurs dans le sport. Je suis admiratif de leur capacité à répéter les exploits. Car ne vous y méprenez pas, gagner Roland-Garros 14 fois est au-delà de l’exploit. Là, pour le coup, on touche au surnaturel. La réalité est que pour parvenir à faire ce qu’il a fait, il faut avoir des capacités mentales hors normes. Tout le monde joue bien. Tout le monde est doué, voire surdoué. Mais tout le monde n’est pas en capacité de répéter les efforts, de ne pas laisser tomber, de ne jamais se dire que « là, ce n’est plus possible, je ne peux plus revenir ». Et pourtant, c’est ce qu’il a fait année après année. Et j’étais là à chaque fois pour en être le témoin, aux premières loges.

Grâce à la Fédération Française de Tennis, j’ai même travaillé, lors d’une des 27 éditions que j’ai couvertes, comme journaliste bord terrain pour la radio Roland-Garros en français. J’ai ainsi passé la quinzaine sur le banc des photographes et j’ai assisté à ce qui allait être le dernier sacre parisien de Rafa en étant à un mètre de lui.

Longtemps, Rafa a été pour moi le GOAT. Peut-être n’étais-je pas objectif, mais lorsqu’il a dépassé Federer en termes de victoires en Grand Chelem, la question ne se posait même plus. Mais ça, c’était sans compter sur vous-savez-qui.

Le débat du GOAT ne se résoudra jamais réellement, pour la bonne et simple raison que les uns et les autres ont une interprétation différente de ce qu’il faut prendre en compte pour déterminer qui est le GOAT. Je ne suis pas d’accord avec ça. Tant que les critères seront subjectifs, il sera impossible d’arriver à un consensus. C’est pourquoi j’estime que les chiffres sont les seuls éléments à prendre en compte. Les victoires en Grand Chelem, Masters 1000, Coupe Davis, JO, ATP Finals…

Et lorsqu’on fait ce classement-là, il n’y en a qu’un seul qui se démarque, et sans qu’il y ait photo : Novak Djokovic.

Novak Djokovic est le meilleur joueur de tous les temps de l’histoire du tennis professionnel. C’est lui qui a le plus gagné. C’est lui qui a soulevé le plus de trophées, c’est son nom qui domine les palmarès. Le problème est que Novak est moins « sympa » que les deux autres. Parfois, il se met en colère tout rouge et parfois, il fait même des bêtises qui nuisent grandement à sa réputation et à son image. Mais c’est aussi ce qui fait de lui quelqu’un à qui on peut s’identifier. Comment s’imaginer jouer un match de tennis sans jamais se mettre en colère, sans jamais montrer une émotion, sans jamais râler après l’arbitre ? Me concernant, c’est impossible et au vu de ce que je vois et entends, je ne suis pas le seul dans ce cas. J’ai des émotions et je suis parfaitement incapable de les enfouir au fond de mon âme. « À’men’donné », faut qu’ça sorte! Novak aussi. Lui aussi a déjà été fatigué suite à de longues semaines, voire de longs mois en tournois. Son incapacité à garder son calme lui a même valu une disqualification en Grand Chelem, fait rarissime au tennis et chose inimaginable pour Federer et Nadal qui ne prenaient même pas d’avertissements.

Novak Djokovic est tout simplement le meilleur joueur de tennis professionnel. Sera-t-il un jour détrôné ? Je suis tenté de dire non, tant son palmarès est pantagruélique, mais ne disions-nous pas la même chose concernant Sampras ? Alcaraz ou Sinner seront-ils en capacité de remporter 25 ou 26 Grands Chelems ? Pourquoi pas ? Mais pour l’instant, c’est Novak Djokovic le GOAT. Point à la ligne.

En termes de sagesse, je suis comme un bon vin, je m’améliore en vieillissant.

La seconde - et non pas deuxième, car il n’y aura pas de troisième, petite règle de grammaire au passage (c’est cadeau) - partie de mon dernier papier sera la conclusion logique de ces 15 ans de réflexion.

Il faudrait que je vérifie, mais je pense avoir systématiquement terminé mes saisons de tennis avec l’inévitable lettre au Père Noël. Et d’ailleurs, je me suis amusé à vérifier ma dernière pour voir à quel point le gros barbu est en capacité de répondre favorablement à mes demandes. Et bien figurez-vous qu’il n’a pas été si mauvais que ça l’an dernier. Sur les 31 demandes que je lui avais faites, il a répondu favorablement à 13 d’entre elles. Cette fois-ci, pour la « der », je vais me permettre de faire des demandes qui ne se limitent pas uniquement à l’année prochaine.

Cher Père Noël,

Tout d’abord, un grand merci d’avoir été aussi généreux avec moi, rapport à ma lettre de l’an dernier. J’en déduis que j’ai vraiment été sage 😇. Avant de te faire mes demandes, je tiens à préciser qu’en termes de sagesse, je suis comme un bon vin, je m’améliore en vieillissant. Mais ça, tu le sais déjà. Alors comme prévu, voici mes souhaits, non par milliers, pour « infinity and beyooooondddd ».

J’aimerais …

… qu’une Française et un Français remportent Roland-Garros dans les 10 prochaines années

… que les instances dirigeantes du tennis se mettent d’accord pour avancer à l’unisson

… que les Masters 1000 sur 10 jours disparaissent et redeviennent comme avant (c’était mieux)

… qu’Alcaraz embauche un coach plus sympa et plus disponible que Ferrero

… qu’Alcaraz (encore lui) et Sinner nous offrent d’autres batailles épiques comme celle de Roland

… que Sinner et Alcaraz soient plus challengés

… qu’Alizé Cornet soit « successful » dans ses nouvelles fonctions

… que la Team Jeunes Talents poursuive son épanouissement et prenne de plus en plus de place

… que l’un ou l’une d’entre eux claque un truc immense

… que Novak Djokovic remporte un 25e Grand Chelem (même sans affronter un des « gros »)

… que Serena ne sorte pas de sa retraite, elle y est très bien

… que Wimbledon en termine avec sa règle du couvre-feu qui pourrit systématiquement les fins de journées incroyables

… que les Grands Chelems ouvrent les portes les uns aux autres pour que tous puissent communiquer, sur place, les uns sur les autres comme ils le souhaitent

… que la France soit à nouveau pays hôte d’ATP et WTA 250

… que Darja Seministaja poursuive son ascension, en s’installant bien dans le Top 50

… que Goran s’achète une coupe de cheveux

… que Frances Tiafoe fasse un beau Roland pour qu’il ne puisse plus jamais critiquer le tournoi comme il l’a fait en 2025

… que les Américains arrêtent de parler de la terre battue en mal (c’est la base du tennis)

… que la Laver Cup retrouve de son panache en termes de joueurs (et sinon, on arrête)

… que l’UTS trouve un diffuseur

… que suite à ça, Patrick Mouratoglou fasse un peu moins de posts insta, car trop occupé avec ses droits TV

… que les prize money soient identiques pour les hommes et les femmes, et pas seulement sur les Chelems

… que Gilles Cervara connaisse autant de réussite avec Nishesh Basavareddy qu’avec Medvedev

… que l’équipe de France de Coupe Davis ramène la coupe à la maison

… que la domination italienne cesse

… qu’Andy Murray retrouve le circuit, il est tellement drôle, il nous manque

… qu’on impose un shot clock sur 2e balle, après un service let et après un mauvais lancer de balle

… que la sanction soit directement un point et non pas un avertissement

… que les juges-arbitres en Coupe Davis n’aient pas peur de faire appel à la « partisan rule » qui leur donne le droit de pénaliser une équipe si ses supporters se comportent mal

… qu’on revienne au « home and away » autant que possible

… que Ben Bonzi fasse la saison de sa vie

… que Nicolas Mahut soit élu coach de l’année

… que la France soit championne du monde en beach tennis (elle a terminé 3e cette année)

… que We are Tennis perdure pour de longues années

… que le tennis puisse continuer à faire rêver, vibrer, pleurer et sourire.

Bonnes fêtes, bonne année, et bon vent.

PS : Pour finir, voici, je trouve, la meilleur vidéo de tennis, posté il y a 15 ans ... comme par hasard !