Les 4 fantastiques

23 août 2025 à 19:05:00 | par Eli Weinstein

Alors que l’US Open, dernier Grand Chelem de la saison, débute à New York, l’occasion est idéale pour s’arrêter sur ce que représentent ces quatre tournois majeurs. Quatre villes, quatre histoires, quatre identités qui, chaque année, rythment le calendrier du tennis et marquent les carrières. Comme l’a dit Billie Jean King : « Le Grand Chelem, c’est quatre opportunités de devenir immortel. »

De Wimbledon et son gazon chargé de traditions, à Roland-Garros et sa terre battue exigeante, de l’été australien à Melbourne, à l’effervescence new-yorkaise, chaque rendez-vous possède son atmosphère propre. « Chaque Grand Chelem est un univers à part entière, confiait Andre Agassi, légende du tennis. C’est pour tout joueur une sorte de rite initiatique, où la pression, les conditions et le public donnent un cachet incomparable à chacun d’eux. »Au fil des décennies, ces tournois ont intégré des innovations majeures. Les toits rétractables ont limité l’impact des intempéries, le Hawk-Eye a renforcé la précision des décisions et les sites se sont modernisés pour mieux accueillir le public. Pourtant, malgré un statut équivalent au sommet du tennis, chacun possède ses forces, ses singularités et ses failles. Ce papier de rentrée (ô tristesse et désespoir) revient, à travers des témoignages de joueurs et des éléments factuels, sur les caractéristiques propres à chaque Grand Chelem, afin de mieux cerner ce qui fait la richesse et la spécificité de ces événements uniques.

Open d’Australie

L’Open d’Australie est le premier Grand Chelem de la saison, inaugurant chaque année le calendrier international du tennis avec un mélange d’exigence physique, de chaleur extrême et d’innovations technologiques. Créé en 1905 sous le nom de “Championship of Australasia”, il a connu plusieurs localisations avant de s’installer définitivement à Melbourne en 1988, au sein du complexe moderne de Melbourne Park.

Ce statut de premier rendez-vous majeur de l’année le rend particulièrement attendu des joueurs. Après des semaines passées à s’entraîner dans le froid des hivers européen, nord-américain ou asiatique, la plupart débarquent en Australie pour retrouver un été ensoleillé, une lumière éclatante et une atmosphère qui tranche radicalement avec les conditions qu’ils viennent de quitter. « C’est un choc climatique, mais un choc heureux, souriait Rafael Nadal. On sort des pulls et on joue en plein soleil. » Cette transition participe à l’image chaleureuse du tournoi, surnommé par beaucoup le “Happy Slam”, du fait de la convivialité légendaire des Australiens, réputés pour leur accueil et leur bonne humeur.

C’est un tournoi qui force le respect, tant par ses conditions météorologiques - souvent très chaudes, voire caniculaires -, que par le niveau d’exigence physique qu’il impose. Novak Djokovic, le recordman avec 10 titres, explique : « Jouer à Melbourne, c’est affronter la chaleur, la fatigue, la pression d’ouvrir la saison sur une note forte. Le tournoi teste non seulement votre tennis, mais votre endurance et votre mental. »

De fait, les températures peuvent dépasser les 40°C, obligeant l’organisation à instaurer des règles strictes pour la santé des joueurs, comme des pauses fraîcheur et des suspensions de matchs si nécessaire. Mais à Melbourne, il peut faire frais le matin, chaud bouillant l’après-midi et froid le soir : « On peut avoir quatre saisons en une seule journée et cela complique sérieusement la vie », explique Wayne McEwen, juge-arbitre du tournoi, soulignant toute l’imprévisibilité du climat et ses répercussions sur les joueurs, spectateurs, arbitres… et même sur les ramasseurs de balles.

Par ailleurs, l’Open d’Australie est souvent loué pour la qualité de son accueil et de ses infrastructures. Les courts principaux, notamment la Rod Laver Arena, mais aussi les John Cain et Margaret Court Arenas, sont équipés de toits rétractables depuis respectivement 1988, 2000 et 2015, une innovation capitale qui a permis de limiter les interruptions dues à la pluie ou à la chaleur intense. Andy Murray a souligné l’impact de ces toits : « Quand le toit est fermé, les conditions changent totalement. Le jeu devient plus rapide, plus précis, c’est un vrai plus pour le spectacle et la régularité du tournoi. »

Le complexe de Melbourne Park est parfaitement desservi par les transports en commun, avec un accès direct depuis le centre-ville via le tram et le métro, facilitant grandement l’afflux des spectateurs. L’expérience pour le public est plébiscitée, entre une large offre de restauration, une programmation musicale et culturelle variée, et une atmosphère festive qui attire chaque année des centaines de milliers de visiteurs. La diversité du public - des familles aux passionnés - donne au tournoi une ambiance cosmopolite et conviviale.

D’un point de vue sportif, l’Open d’Australie est le théâtre de matchs souvent épiques, où la rapidité du court dur et la difficulté des conditions demandent une préparation physique optimale. Roger Federer, six fois vainqueur, déclarait : « Ce tournoi est un vrai challenge, surtout parce qu’il lance la saison. Vous n’avez pas encore trouvé votre rythme et il faut être au top dès le premier match. »

La prise en compte du confort des joueurs, des innovations technologiques, de l’expérience spectateurs et des conditions météorologiques, font de l’Open d’Australie un tournoi moderne, exigeant et populaire, apprécié autant pour sa qualité sportive que pour son atmosphère unique.

Roland-Garros

Roland-Garros, disputé depuis 1891 et définitivement implanté dans le 16e arrondissement de Paris depuis 1928, est désormais le seul tournoi du Grand Chelem joué sur terre battue, surface mythique et exigeante qui a forgé sa réputation de défi unique. Son charme réside dans cette particularité technique, favorisant la lenteur des échanges, la construction du point et la résistance physique, et qui confère au tournoi une identité incomparable.

« Roland-Garros, c’est l’épreuve ultime pour un joueur de tennis. La terre battue est un juge impitoyable qui ne pardonne ni la précipitation, ni les faiblesses physiques. Pour moi, c’est le plus grand test de la saison », confiait Rafael Nadal, détenteur d’un record sans doute à jamais inégalé de 14 titres, symbole même de sa domination sur cette surface. Pour les joueurs, il ne s’agit pas seulement de gagner, mais de maîtriser un art à part entière, celui de la terre battue.

Au-delà du terrain, le stade lui-même a beaucoup évolué ces dernières années. En 2020, un toit rétractable a été installé sur le Court Philippe-Chatrier et, depuis 2024, le Court Suzanne-Lenglen bénéficie lui aussi d’un toit, deux innovations ayant modernisé ce temple historique et permis aux matchs de se poursuivre même en cas de pluie. La directrice du tournoi, Amélie Mauresmo, explique : « Ces toits garantissent aux joueurs et au public le fait que les rencontres se déroulent dans les meilleures conditions, tout en préservant l’atmosphère unique du tournoi. »

Sous sa direction, le tournoi a également décidé d’ouvrir le Court Suzanne-Lenglen à la compétition pendant la semaine des qualifications, créant ainsi sur ce court d’une capacité de 10 000 spectateurs, un engouement équivalent à celui de la quinzaine principale. L’électricité qui peut y régner, notamment lors des matchs avec des joueurs français, rend cette ambiance absolument unique. Et si jamais le toit est fermé, l’atmosphère est alors digne de celle des plus grands matchs de l’histoire sur les plus grands courts.

Par le passé, le tournoi était parfois critiqué pour la taille limitée de son site et les problèmes d’affluence sur certains courts. L’inauguration du Court Simonne-Mathieu en 2019, au cœur du Jardin des Serres d’Auteuil, a permis de désengorger le tournoi. Ce court semi-enterré, entouré de quatre serres tropicales abritant une flore provenant de quatre continents, offre une expérience unique aux spectateurs tout en augmentant la capacité et la fluidité du site.

L’offre de restauration a été enrichie avec l’installation d’un véritable food court, proposant une variété culinaire de qualité. Le public, en grande partie très éduqué tennistiquement, bénéficie d’une billetterie prioritairement réservée aux licenciés de tennis, garantissant une expérience passionnée et respectueuse du jeu.

Depuis 2021, Roland-Garros a introduit des night sessions, ou « sessions de soirée », sur le Court Philippe-Chatrier. Ces matchs, programmés en soirée, offrent une atmosphère électrique, avec des spectateurs enthousiastes et une ambiance unique. Gaël Monfils, figure emblématique du tennis français, est devenu un habitué de ces sessions nocturnes. « Jouer la nuit à Roland-Garros, c’est magique, a-t-il déclaré. L’énergie du public est incroyable, ça me pousse à donner le meilleur de moi-même. » Ces sessions permettent aux spectateurs de vivre le tournoi sous un autre angle, avec des matchs souvent plus longs et plus intenses.

L’atmosphère à Roland-Garros est unique, mêlant rigueur parisienne et élégance sur le court. La proximité du stade avec le centre de Paris - seulement une dizaine de kilomètres - facilite l’accès pour les spectateurs. Côté météo, Paris impose souvent une variabilité qui rend les conditions de jeu difficiles et exige des joueurs une capacité d’adaptation constante. Novak Djokovic note : « Roland-Garros est imprévisible, avec le vent, la pluie, la terre glissante… Il faut être prêt à tout. »

Roland-Garros est aussi reconnu pour sa richesse culturelle et son aura historique. Le souvenir de champions légendaires et de matchs épiques confère au tournoi une dimension mythique. « Gagner ici, c’est écrire son nom dans l’histoire », disait Chris Evert, sept fois victorieuse sur la terre battue parisienne.

Enfin, l’expérience spectateur a été considérablement améliorée et la passion du public parisien contribue à rendre chaque édition inoubliable.

Wimbledon

Wimbledon, le plus ancien tournoi de tennis a u monde, fondé en 1877, incarne la tradition, l’élégance et le prestige du tennis dans sa forme la plus pure. Situé au sud-ouest de Londres, dans le « SW19 », ce tournoi sur gazon est un véritable sanctuaire du tennis, où les codes et le respect des traditions sont presque plus sacrés que la compétition en elle-même.

La surface en gazon offre un style de jeu particulier : échanges courts, volées fréquentes, réflexes aiguisés. Cette rapidité impose aux joueurs d’être agressifs et précis, qualités valorisées dans le jeu à Wimbledon. Comme le rappelle Björn Borg, quintuple vainqueur : « Wimbledon, c’est là où le tennis est le plus beau à voir, le plus vif, le plus élégant. Sur le gazon, chaque point compte double. »

Le tournoi a toujours su marier histoire et modernité. Le Centre Court, emblématique, a été équipé d’un toit rétractable en 2009, permettant de parer aux intempéries et de garantir la continuité du spectacle. Depuis, le Court No. 1 dispose également d’un toit rétractable (2019), ce qui permet d’assurer plusieurs matchs sous couverture simultanément. « La pluie est la hantise de Wimbledon depuis toujours, souligne l’octuple champion Roger Federer. Ces toits changent la donne : ils apportent plus de régularité pour les joueurs et le public. »

Wimbledon est également soumis à un couvre-feu en raison des riverains, ce qui limite la durée des matchs en soirée et contraint parfois les organisateurs à ajuster le programme. Andy Murray a ainsi commenté : « C’est frustrant de devoir s’arrêter ou limiter l’horaire alors que l’on est en plein match. Ça nuit un peu au déroulement naturel du tournoi. »

De plus, depuis quelques années, le premier dimanche est désormais joué, alors qu’auparavant Wimbledon marquait une pause totale ce jour-là.

Le tournoi se distingue par son cadre verdoyant, ses allées bordées de buissons taillés et ses traditions iconiques comme la tenue blanche obligatoire, la consommation massive de fraises à la crème, ou encore le silence quasi-religieux entre les points. Ces éléments contribuent à une expérience unique, loin du tumulte des grandes villes.

L’accessibilité reste moins favorable que pour les tournois situés dans les centres-villes. Wimbledon se trouve à environ 15 kilomètres du centre de Londres, dans une zone plus résidentielle, ce qui peut compliquer les transports, surtout aux heures de grande affluence. Néanmoins, le réseau ferroviaire et les bus assurent une desserte régulière, et l’ambiance « village du tennis » est appréciée.

Sur le plan sportif, beaucoup de champions en titre sont arrivés en numéro un mondial, témoignant du prestige attaché à ce tournoi. Comme le souligne Serena Williams, sept fois gagnante : « Gagner Wimbledon, c’est toucher au sommet du tennis. Chaque match ici a une intensité particulière, une magie que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. »

La météo britannique, souvent capricieuse, reste un défi, même avec les toits rétractables. Le temps instable peut modifier les conditions de jeu d’un match à l’autre, et les joueurs doivent faire preuve d’adaptabilité. « Le gazon humide change tout, la balle glisse, les appuis sont délicats », explique Andy Murray, double vainqueur.

Enfin, l’expérience des spectateurs à Wimbledon est caractérisée par une certaine exclusivité et un cadre soigné. Les prix des billets et du merchandising sont élevés, mais le service est irréprochable.

En revanche,Wimbledon, c’est aussi ce tournoi qui donne parfois l’impression de se croire un peu au-dessus des autres. Les traditions et son prestige lui permettent de faire les choses à sa manière, parfois au détriment du rythme ou du confort de la compétition. Ils se sont même autoproclamés « The Championships », preuve de cette confiance assumée qu’« Ici, c’est Wimbledon ».

US Open

Dernier rendez-vous majeur de la saison, l’US Open a une histoire à la fois riche et mouvementée. Né en 1881 sur gazon à Newport, le tournoi a déménagé à Forest Hills en 1915, puis a tenté la terre battue américaine (Har-Tru) de 1975 à 1977. En 1978, changement radical : le tournoi s’installe à Flushing Meadows, à New York, et passe au dur synthétique. Aujourd’hui, la surface est un Laykold bleu et vert, plus rapide que l’ancien DecoTurf, offrant un rebond franc et des conditions homogènes.

Si chaque Grand Chelem a son style, celui-ci est clair : l’US Open aime l’action, le rythme et les gros échanges. La balle fuse, le jeu est direct, et les styles agressifs y prospèrent. Mais attention : la surface reste assez neutre pour que les défenseurs de génie y trouvent aussi leur compte. C’est sur ce dur que Jimmy Connors a joué 22 US Open consécutifs, que Serena Williams a bâti une partie de sa légende, et que Roger Federer a régné cinq années de suite (2004-2008) grâce à un tennis précis et offensif.

Ce n’est pas seulement le jeu qui est intense : l’atmosphère est électrique. Le public new-yorkais est un acteur à part entière : bruyant, expressif, parfois excessif, mais toujours passionné. « Jouer à l’US Open, c’est sentir la ville vibrer à chaque échange. C’est incomparable », confiait Pete Sampras, cinq fois vainqueur.

L’US Open a toujours aimé être pionnier. Premier Grand Chelem à introduire la parité du prize-money en 1973, ou encore le Hawk-Eye en 2006. En 2016, un toit rétractable a été installé sur le court Arthur-Ashe, le plus grand stade de tennis au monde avec 23 771 places assises. Le court Louis-Armstrong est lui aussi couvert depuis 2018, alors que le Grandstand a de son côté été modernisé. Tous ont pour objectif d’offrir un spectacle plus proche et une ambiance parfois encore plus électrique.

À New York, quand le soleil se couche, le vrai show commence. Les night sessions de l’US Open sont uniques : une entrée en scène digne d’un concert, des projecteurs qui transforment l’Arthur-Ashe en arène, et un public qui mélange fans de tennis puristes et célébrités en goguette. La ville entière semble s’être donné rendez-vous pour un spectacle qui peut se prolonger jusqu’à deux ou trois heures du matin. Andy Roddick résumait l’expérience ainsi : « C’est comme jouer une finale sous les lumières de Broadway. » Les night sessions sont à la fois un défi - la fraîcheur et l’humidité changent complètement les conditions - et un privilège, car jouer sous ces lumières, c’est entrer dans une autre dimension.

Programmé fin août et début septembre, l’US Open impose des conditions extrêmes. Les matchs en plein après-midi peuvent se disputer sous plus de 35°C avec une humidité écrasante. Novak Djokovic résume bien le défi : « Il faut une grande endurance pour tenir les longues journées en pleine canicule. » La chaleur, combinée au rythme effréné, pousse les joueurs dans leurs retranchements physiques et mentaux.

Flushing Meadows, avec plus de 20 courts, offre un choix infini de matchs et d’ambiances. Le soir, les night sessions sur Arthur-Ashe sont un spectacle à elles seules : une mise en lumière spectaculaire, un public chauffé à blanc, et des matchs qui peuvent se terminer après minuit. Seul bémol : l’accessibilité depuis Manhattan peut être longue les jours d’affluence, mais pour beaucoup, l’énergie unique de l’endroit efface ce petit inconvénient.

Enfin, l’US Open est aussi l’un des tournois les plus généreux : alors qu’en 2024, le prize-money total dépassait déjà les 75 millions, il atteint cette année 90 millions de dollars, confirmant la place de New York comme capitale du tennis spectacle.

Ici, tout va vite, tout est grand, tout est bruyant. L’US Open, c’est le Grand Chelem qui ne dort jamais, et qui ne ressemble à aucun autre.

Au fond, chaque Grand Chelem a sa personnalité bien marquée. Wimbledon, c’est la vieille aristocratie du tennis : chic, guindée, pleine de traditions - on y mange des fraises à la crème en chuchotant comme à la bibliothèque. L’Open d’Australie, c’est tout l’inverse : barbecues, bière fraîche, soleil tapant… le seul tournoi où tu peux entendre un spectateur crier « Aussie, Aussie, Aussie ! » avant un ace. Pas étonnant que les joueurs adorent ces deux-là : l’un pour le prestige et les trophées polis à l’argenterie, l’autre pour le bronzage gratuit après un hiver pluvieux. Côté public, l’US Open et Melbourne sont imbattables en termes de divertissement : stands, animations, concerts… A New York, il y a même des spectateurs qui avouent ne pas connaître le score, mais savent exactement où se trouve le meilleur burger du site. Mais pour moi, Roland-Garros est hors catégorie. Parce que la terre battue, c’est l’art du combat, des échanges interminables et des retournements de situation improbables (souviens-toi de la dernière finale messieurs : Hollywood n’aurait pas osé écrire un scénario pareil). Et surtout parce que Roland-Garros, c’est Roland-Garros, un peu comme un amour d’enfance : irrationnel, mais indétrônable.

Et vous, si vous ne deviez en garder qu’un seul… lequel serait votre Grand Chelem ?