La huitième édition de la Laver Cup s’est achevée il y a quelques jours à San Francisco. L’équipe du Reste du Monde a battu l’équipe Europe sur le score de 15 à 9. Cette victoire permet au Reste du Monde de revenir à 3 succès contre 5 pour les Européens. La Laver Cup existe depuis 2017 et a été disputée chaque année, à l’exception de 2020 pour les raisons que vous savez. Huit éditions, cela commence à compter. Je dirais même que c’est presque un signe de bonne santé. C’est justement ce que je veux vérifier : la Laver Cup est-elle une réussite ? Huit ans plus tard, il est temps de tirer un premier bilan. Avant cela, retour rapide sur le format de cette « compétition ».
Durant trois jours, des joueurs de tout premier plan (lorsqu’ils sont présents) s’affrontent sur un double et trois simples chaque jour. Le capitaine aligne quotidiennement les joueurs qu’il juge les plus compétitifs. Jusque-là, on pourrait penser à une Coupe Davis un peu différente. La vraie singularité tient au système de points : chaque match remporté le vendredi vaut 1 point, ceux du samedi 2 points, et ceux du dimanche 3 points. Ce barème limite les rencontres « pour du beurre ». C’est un peu le principe d’« Une Famille en Or ».
Cette année, l’Europe était menée 9-3 après deux jours, mais est revenue avant que le Reste du Monde ne fasse la différence en fin de rencontre, notamment grâce aux victoires de Fritz sur Zverev et de De Minaur sur Mensik.
Pour les amateurs de tennis « de loin », l’épreuve est idéale. Elle réunit, en principe, les meilleurs joueurs, les matchs ne s’éternisent pas grâce au super tie-break à la place d’un troisième set, et le coaching est permanent, par le capitaine comme par les coéquipiers. Aucune règle n’interdit en effet à ceux qui ne jouent pas d’intervenir auprès du joueur sur le court. Ces moments sont filmés et donnent souvent des séquences aussi cocasses que divertissantes. La preuve en image.
Pour les amateurs férus, les « vrais » si l’on peut dire, il s’agit d’une exhibition++. Aucune valeur compétitive officielle et aucune incidence sur les classements (pour l’instant).
D’où la question : comment se fait-il que les joueurs paraissent aussi concernés, alors que tout cela ne compte pas sportivement et qu’une partie de la motivation reste financière ? Évidemment, rien n’existerait sans beaucoup d’argent. « Money makes the world go round. » Mais réduire l’engouement à l’aspect pécuniaire serait incorrect. Il se passe quelque chose cette semaine-là qui pousse ces champions à jouer le jeu.
À la Laver Cup, on ne joue pas pour un pays, l’esprit d’équipe, rare sur le circuit, est cependant palpable.
D’abord, l’invitation vient de Roger Federer. À elle seule, elle fait traverser la planète à plus d’un. Elle s’accompagne aussi d’un joli chèque d’environ 200 000 $ par joueur. Ensuite, une fois sur place, on constate que tout est pensé dans le moindre détail. Christophe Thoreau, journaliste, écrivait dans Tennis Magazine après l’édition 2023 à Vancouver : « Afin d’enraciner au plus vite leur invention, Roger Federer, Tony Godsick, son agent, et Steve Zacks, le patron opérationnel, ont fait le choix de placer cette Laver Cup sous le signe du prestige. Tout dans le décorum, à commencer par le gris anthracite du court, donne une solennité à l’événement. (…) Ce souci du détail, aux alentours du stade comme à l’intérieur, installe une ambiance, un vernis, qui ne peut échapper aux joueurs. »
Quiconque a joué en club sait à quel point les rencontres par équipes comptent. À haut niveau comme au niveau local, on se prend au jeu. Les déclarations en Coupe Davis ou en Billie Jean King Cup tournent autour des mêmes idées : « honorer la confiance de l’équipe », « jouer pour autre chose que soi ». Andy Murray résumait : « J’ai adoré jouer la Coupe Davis. C’est différent de tout ce qu’on vit sur le circuit. Toute l’année, on joue pour soi, mais là, on joue pour l’équipe et tout un pays. » Et sans forcer le trait, si à la Laver Cup, on ne joue pas pour un pays, l’esprit d’équipe, rare sur le circuit, est cependant palpable.
Le côté ultra-prestige renforce le sérieux des joueurs. L’ambiance est celle d’un Masters. Production léchée. Organisation au cordeau. Sur ce plan, la Laver Cup est un succès organisationnel.
Côté diffusion, Federer et son équipe ont réussi à faire zapper les gens sur la chaîne qui retransmet. En 2025, l’événement était visible dans 230 territoires. Difficile de parler d’audiences pures : les chaînes communiquent peu, du moins pour la Laver Cup. Il existe pourtant des signes : en 2025, Tennis Channel proposait une couverture intégrale « first-ball-to-last-ball » avec flux additionnels sur l’app et l’exclusivité aux États-Unis. Pour 2025, on note notamment : Eurosport (Europe), Tennis Channel/TSN (Amérique du Nord), ESPN International (Amérique latine), beIN/SuperSport (MENA/Afrique), Sony/Stan/GreatSports/iQIYI (Asie-Pacifique). Cela prouve l’amplitude, pas l’audience par pays. Et ce flou n’est pas forcément un signe de grande santé.
Sur site, hormis en 2023 à Vancouver où la salle « d’une capacité de 19 000 spectateurs était aux trois quarts pleine », la billetterie a presque toujours cartonné. On est sur du quasi « sold out », avec deux cas de figure : des villes peu habituées aux grands tournois ou des enceintes emblématiques comme l’O2 à Londres, où le public est massif.
AA » a fait le show côté RDM, enchaînant les punchlines à l’américaine.
Là aussi, c’est une réussite populaire. « Populaire » n’est peut-être pas le mot vu les tarifs, mais la tendance est plutôt à la baisse récente des prix, pas des ventes. En 2025, on trouvait des places de 60 à 260 $ en haut des tribunes et 240 à 750 $ en bas, avec un vendredi généralement moins cher. À titre de comparaison, à l’US Open, l’entrée la moins chère en début de tournoi est autour de 75 $, et les meilleures places peuvent dépasser 23 000 $.
Je récapitule : publiquement, réussite ; commercialement, réussite ; en termes d’organisation, réussite. Sportivement, c’est là que le bât blesse un peu.
Soyons clairs : que l’Europe ou le Reste du Monde gagne importe peu. On n’assiste pas à des scènes à la « Ligue des champions » ou « 12 juillet 1998 ». Le résultat final n’a, pour l’instant, que peu d’importance. On vibre pendant les matchs, puis on passe à autre chose. Pas de gueule de bois au petit matin. C’est pourtant ce cap que Federer et son équipe veulent franchir. Il reste du travail.
Autre indicateur sportif : la composition des équipes. En 2025, l’Europe alignait deux joueurs du Top 10 (Carlos Alcaraz, Alexander Zverev), le Reste du Monde aussi (Taylor Fritz, Alex de Minaur). En 2017, l’Europe à elle seule comptait cinq Top 10 ; en 2018, il y en avait six répartis entre les deux équipes. En 2022, il y avait même le Big Four côté Europe, contexte d’adieux oblige. Mais en 2023 et 2025, tous les très grands n’étaient pas au rendez-vous.
Pour gagner en crédibilité sportive, il faudrait un vrai processus de sélection : une part majoritaire de qualifications automatiques selon les résultats de l’année, et des wild cards des capitaines pour compléter, à la manière de la Ryder Cup au golf.
Parlons capitaines justement : les deux « rookies » de 2025 étaient Andre Agassi pour le Reste du Monde et Yannick Noah pour l’Europe, succédant à John McEnroe et Björn Borg. « AA » a fait le show côté RDM, enchaînant les punchlines à l’américaine. « Yan » a été plus sobre. Moins que Borg lors des sept premières éditions, mais on attendait sans doute un cran de « show » supplémentaire pour le vainqueur de Roland-Garros 1983. Agassi était épaulé par Pat Rafter, peu vu récemment, et Noah par Tim Henman, très présent sur le circuit via ses activités de commentateur. Les téléspectateurs ont tout entendu aux changements de côté, et c’est tout simplement génial.
Je ne l’avais pas encore mentionné : en termes de production, la Laver Cup est une réussite depuis l’an 1.
Conclusion : difficile de soutenir que la Laver Cup n’est pas un succès. L’engouement populaire, médiatique et commercial est réel. Elle entre doucement, mais sûrement dans les mœurs. Elle figure au calendrier ATP et la rumeur parle d’une attribution future de points. Pourquoi pas, mais il faudra alors un processus de sélection qui ne se résume pas à une invitation de Roger Federer.
Sportivement, il reste de la route. Pour l’instant, le résultat final intéresse peu et demeure anecdotique. Cela peut évoluer. Peut-être faudrait-il même ne pas la disputer chaque année : la rareté crée la valeur. C’est l’objectif que vise Federer.
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