Avec l’âge, j’ai appris à distribuer mon amour envers les Grands Chelems de manière quasi égale. Certes, Roland-Garros aura toujours de l’avance sur les autres et restera, quoi qu’il arrive, mon chouchou forever. Mais concernant les trois autres, on est sur une égalité quasi parfaite. Jadis, j’avais une dent contre Wimbledon. Mais au fil des années, je me suis apaisé et aujourd’hui, je suis (un peu) rentré dans le rang concernant le sentiment unanime que le Grand Chelem londonien est le temple du tennis. Je n’irai pas si loin, mais je reconnais volontiers que c’est un magnifique tournoi. Mais je m’égare.
Le débat, même s’il n’y en a pas vraiment, du plus beau Grand Chelem sera pour un autre jour. En ce lundi 25 août, plutôt que de vous faire un pronostic moisi en avançant que Novak Djokovic et Aryna Sabalenka vont s’imposer à New-York, je préfère jouer au jeu des souvenirs et vous conter les cinq qui m’ont le plus marqué. Je ne vous parle pas de match mais bien d’un moment, ou comme le dit (le petit) Robert, d'un espace de temps limité. Ces moments dont je vais vous parler sont ceux, lorsque je ferme les yeux, que je revois comme si c’était hier. Pourquoi m’ont-ils autant marqué ? Je ne l’explique pas, même s'ils sont souvent en rapport avec l’extraordinaire, le sensationnel, voire le surnaturel. Ce choix est extrêmement personnel, et d’ailleurs, je vous invite, après avoir lu l’article, à partager les vôtres.
1. Andre Agassi qui fait ses adieux au tennis sur le court Arthur-Ashe
Avant l’US Open 2006, Andre Agassi annonce qu’il s’agira là de son dernier tournoi de tennis. Son corps n’y arrive plus. L’homme de Las Vegas n’y arrive plus. Quelques mois plus tôt, à l’issue de Wimbledon, il avait déjà annoncé qu’il prendrait sa retraite à New York. Evidemment, la pression était donc au sommet lorsqu’il se présenta au Roland-Garros des Américains, là où il s’était d’ailleurs imposé en 1994 et 1999. Il sera éliminé au 3e tour face à Benjamin Becker, après avoir battu le Roumain Andrei Pavel au 1er puis, lors d'un match incroyable au 2e, Marcos Baghdatis, alors 8e mondial et finaliste de l’Open d’Australie. Mais l’image qui me reste, et qui me restera, est celle d’Andre Agassi au milieu du court, micro en main, s’adressant aux 25 000 spectateurs de l'Arthur-Ashe Stadium pour exprimer ses adieux. Le discours était beau, court, sincère, non préparé et très émouvant. Le voici :
2. Un point sans fin entre Nadal et Djokovic
Bien évidemment, ces deux-là devaient, d’une manière ou d’une autre (vous verrez plus bas pour « l’autre »), faire partie de mon quinté gagnant. Les deux ont réalisé tant de choses incroyables à New York que vous devez vous dire que cela a dû être compliqué de choisir. Pas du tout. Lorsque je ferme les yeux et que je pense à Rafael Nadal et Novak Djokovic à l’US Open, le moment qui suit me vient tout de suite à l’esprit. Nous sommes en 2013, en finale du tournoi new yorkais. Quelques mois plus tôt, Novak se faisait battre en finale de Wimbledon par Andy Murray. Et quelques semaines encore avant ça, il perdait en demi-finale à Roland-Garros, justement face à Nadal, 9-7 au 5e dans un match de 4h37. Cette rencontre arrivait donc à point nommé pour le Serbe, qui avait remporté l’Open d’Australie en début d’année. La finale était lancée et Rafa menait 6-2, mais devait défendre une balle de break dans le 2e alors qu’il était mené 3-2. Et là, tout à coup, les deux joueurs ont franchi les portes du monde réel pour goûter, le temps d'un point, au surnaturel. Durant 75 secondes, les deux hommes ont échangé 54 coups de raquette ! C’est énorme. Il faut s’avoir qu’un échange moyen au tennis va se situer aux alentours de cinq ou six coups. Novak a remporté cet échange de malade, ainsi que la deuxième manche. Le trophée en revanche, c’est Rafael Nadal qui l’a soulevé deux sets plus tard. Son deuxième sur quatre au total à New York. Enjoy.
3. La langue de Lucas Pouille
Je sais, comme ça, sorti du contexte, le titre de ce paragraphe pourrait surprendre. Mais les vrais savent. Pour les autres, ceux qui n’ont pas la « ref », lisez puis regardez, et vous comprendrez. On est en 2016. En début d’année, Lucas est tout proche de sortir du Top 100 qu’il avait intégré pour la première fois en avril 2015. Il faut dire que le début de saison n’est pas ouf. C’est à Miami qu’a lieu la première étincelle, avec un huitième de finale et une victoire au passage sur David Ferrer, alors classé 8e mondial, sa première victoire face à un Top 10 ! Les bons résultats s’enchaînent alors, malgré le passage à la terre battue. A Monte-Carlo, Pouille bat Richard Gasquet. A Bucarest, il s’incline en finale. A Madrid, il domine Goffin (13e) au 1er tour. Puis à Rome, il tombe sur Andy Murray en demi-finale, après s’être une nouvelle fois extirpé des qualifs. Quelques semaines plus tard, à Wimbledon, ce n’est qu’en quart qu’il chute face à Tomas Berdych. Bref, il arrive à l’US Open avec le statut de tête de série n°24. Au 1er tour, il sort Kukushkin après avoir été mené un set à rien. Au 2e tour, ce n’est pas un mais deux sets de retard que Lucas doit combler face au Suisse Marco Chiudinelli. Au 3e tour, face à Roberto Bautista Agut, c’est à nouveau au terme d’une lutte en cinq sets que « Luch » se qualifie pour les huitièmes où l’attend un certain… Rafael Nadal. L’Espagnol, 5e mondial, est l’immense favori. Mais c’était sans compter sur la magie new-yorkaise. 4h07 de magie pour être précis. À l’issue du tie break du 5e, remporté huit points à six, Lucas Pouille, en route vers le filet pour serrer la pince de Rafa, jette un regard vers son clan et laisse exploser sa joie en tirant une langue magistrale, associée à des yeux exorbités digne du plus beau Haka. Ce moment restera gravé dans ma mémoire à tout jamais. Voici le tie-break et la célébration.
4. Serena Williams craque en finale
Comme je vous le disais, les moments qui me sont restés gravés, ne sont pas forcément liés à des victoires incroyables. D’ailleurs, le prochain est lié à une défaite. Incroyable certes, mais une défaite néanmoins. L'instant en question a eu lieu en 2018. On est en pleine finale du simple dames entre Naomi Osaka et Serena Williams. L’Américaine, qui court après son 24e titre du Grand Chelem (qu’elle n’aura jamais), est menée d’un set. Au début du second, elle prend un avertissement pour coaching. Une décision qu’elle n’accepte pas. Elle parvient néanmoins à prendre les devants et mener 3-1. Mais elle est débreakée et en casse sa raquette. Lui est alors infligé un deuxième avertissement, synonyme de point de pénalité. Le premier avait déjà sorti la GOAT du tennis féminin de ses gonds, mais celui-ci ne passe vraiment pas du tout. Elle exige des excuses de l’arbitre, le traitant de voleur. C’est à ce moment qu’elle est à nouveau sanctionnée d’un « abus verbal », cette fois synonyme d’un jeu de pénalité. Serena part dans une parano absolue, où elle accuse l’arbitre d’être sexiste, affirmant qu'elle est sanctionnée parce qu’elle est une femme. Elle continue à hurler sur Carlos Ramos (sur la chaise ce jour-là) en disant qu’elle n’est pas une tricheuse, qu’elle a une fille et qu’elle ne veut pas lui inculquer ce type de valeurs, qu’elle préfère perdre que tricher. Deux jeux plus tard, Naomi Osaka est couronnée reine de New-York. Quant à Serena, elle rejouera la finale l’année suivante, sans s’énerver mais sans gagner non plus.
5. Novak Djokovic vit l’enfer de New-York
Je vous avais dit qu’on parlerait d’une manière ou d’une autre de Nadal et Djoko. Ce paragraphe raconte « l’autre » raison pour laquelle un moment inoubliable, à mes yeux, s’est déroulé à l’US Open. Il y a certaines éditions d’un tournoi, pour des raisons variées et diverses, dont on se souvient particulièrement. L’US Open 2020 était forcément à part, du fait qu’il se jouait à huis clos en raison du Covid. Il s’agit là du grand retour du tennis. La semaine précédente avait déjà lieu le Masters 1000 de Cincinnati, mais celui-ci s'étant disputé à l’USTA Billie Jean King National Tennis Center (covid oblige), ça revient finalement un peu au même. On est donc en huitième de finale de l'US Open. Novak Djokovic et Pablo Carreno Busta sont à la fin du premier set. D’ailleurs, « PBC » vient de breaker le Serbe pour mener 6-5. En retournant vers sa chaise, Djokovic sort la balle qu’il a dans sa poche et l’envoie vers le fond du court, sans vraiment faire attention à sa direction. Problème, celle-ci finit son envol sur la glotte d'une juge de ligne. En découle une longue conversation avec le juge-arbitre, l’arbitre de chaise et Novak. Tout cela dans un silence total, digne des plus belles cathédrales du monde. Enfin, après une discussion dont on peut comprendre certains extraits en raison de ce stade vide, Novak Djokovic va serrer la main de son adversaire, avant de prendre son sac et de quitter le court. Ayant vu ce moment en direct, comme tous ceux que j’ai cités auparavant, je ne l’oublierai jamais.
C’était les cinq moments de l’US Open qui sont et seront à jamais dans ma mémoire. Il y en a évidemment beaucoup d’autres, mais ce sont bien ceux-là qui ressortent en premier. J’espère que le tournoi 2024 va nous en procurer encore plein. Et je suis curieux de connaître les vôtres.
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