Il y a (déjà) dix ans, Andre Agassi faisait ses adieux au tennis sur le Central Arthur-Ashe, en une déclaration d’amour au public aux allures de pic émotionnel du tournoi 2006. Le Kid de Las Vegas est loin d’être le seul à avoir choisi New York pour tirer sa révérence. Dernier tournoi du Grand chelem, du calendrier, l’US Open ne compte plus ces claps de fin en forme de « happy end » hollywoodiens… ou pas.
Le plus indécis : Pete Sampras (2002)
Une dernière volée gagnante pour prendre le dessus sur son Nemesis Andre Agassi : Pete Sampras tient son inespéré 14e titre du Grand chelem, et avec lui la sortie par la grande porte dont il rêve secrètement depuis plusieurs mois qu’il souffre face à la nouvelle vague des Safin, Hewitt, Roddick et autres Federer… Mais voilà, le pêché d’orgueil rattrape le champion : s’il a pu conquérir le 14e, pourquoi n’y aurait-il pas de 15e ? Alors il se retient d’annoncer sa retraite dans la foulée de sa victoire par peur de parler trop vite et de regretter. Il hésite. Parle d’un break pour mieux revenir au Masters de fin d’année. Puis donne rendez-vous à ses fans en Australie pour le coup d’envoi de la saison 2003. Reporte encore. Caresse le doux rêve d’une dernière tentative à Roland-Garros ou, plus probablement, d’un dernier assaut à Wimbledon. Mais toujours pas de trace de Pete Sampras. Le monde du tennis a compris. Quand il revient sur le Central Arthur-Ashe au coup d’envoi de l’US Open 2003, c’est vêtu d’un costume et flanqué de sa famille en même temps que d’un impressionnant aréopage de champions venu lui rendre hommage. Cette fois, « Pistol Pete » range officiellement la mitrailleuse à aces. Un an se sera écoulé entre sa dernière balle engagée et ses adieux en bonne et due forme.
Le plus émouvant : Andre Agassi (2006)
« Merci. Le tableau d’affichage dit que j’ai perdu aujourd’hui mais ce qu’il ne dit pas, c’est ce que j’ai trouvé ces 21 dernières années. J’ai trouvé de la fidélité. Vous m’avez soutenu sur le court et dans la vie. J’ai trouvé de l’inspiration. Vous avez toujours souhaité ma réussite même dans les moments les plus durs. Et j’ai trouvé de la générosité. Vous m’avez aidé à atteindre mes rêves, rêves que je n’aurais jamais pu accomplir sans vous. Ces 21 dernières années, je vous ai trouvé et je vous garderai en mémoire pour le reste de ma vie. Merci. » Andre Agassi, en larmes le 3 septembre 2006 tandis qu’il s’adresse au public du Stadium Arthur-Ashe alors que son parcours de joueur de tennis professionnel vient de s’arrêter au troisième tour de l’US Open face à l’Allemand Benjamin Becker, deux jours après une bagarre homérique en session de nuit face à Marcos Baghdatis. Bien sûr, s’il avait pu venir à bout de l’invincible Roger Federer en finale un an plus tôt, il aurait alors opté pour une sortie en fanfare similaire à celle réussie par Pete Sampras à ses dépens quelques années plus tôt. Mais ces adieux-là, tellement humains, tellement touchants, reflètent mieux que tous les trophées du monde la valeur de l’homme Agassi.
Le plus inattendu : Andy Roddick (2012)
Celui-là, personne ne l’a vu venir. Bien sûr, l’Andy Roddick de 2012 n’est plus que l’ombre du serveur-puncheur monté jusqu’au premier rang mondial neuf ans plus tôt. Mais enfin, il fête tout juste ses 30 ans et demeure capable de battre – enfin – son bourreau de toujours Roger Federer à Miami ou de soulever des coupes sur ses surfaces de prédilection, dur (Atlanta) ou gazon (Eastbourne). Pourtant, à l’occasion du Media Day de l’US Open, « A-Rod » prend son monde de court en annonçant que le tournoi à venir est son dernier. Stupeur parmi les collègues auxquels il vole la vedette. Federer est « choqué », Sharapova « étonnée », Serena Williams « triste »… Un seul joueur en réalité l’avait senti venir : James Blake, soupçonnant depuis le début d’année la lassitude de son copain. Sur le terrain, le dernier « run » de Roddick lui vaut quelques belles bagarres, l’une gagnée contre Fabio Fognini, l’autre perdue, en huitièmes, devant Juan Martin del Potro… l’homme qui, trois ans auparavant, à Bercy, avait déjà mis un terme à la carrière d’un autre représentant de la génération Federer : Marat Safin.
Le plus rock star : Stefan Edberg (1996)
Oui, rock star, même si le terme n’est pas celui qui vient le plus spontanément à l’esprit quand on parle du peu démonstratif Stefan Edberg. Mais en annonçant dès janvier que la saison à venir sera sa dernière, le Suédois aux six titres du Grand chelem transforme son exercice 1996 en véritable tournée d’adieu, et il est fêté avec ferveur aux quatre coins du monde en même temps qu’il s’offre de jolis clins d’œil (succès sur Michael Chang à Roland-Garros, là même où l’Américain l’a privé du titre en 1989, finale au Queen’s contre son éternel rival Boris Becker…). A l’US Open, pour son tout dernier Grand chelem, il assure là aussi sa partie du show en éliminant au premier tour le récent vainqueur de Wimbledon, Richard Krajicek, avant de faire la leçon à un autre de ses héritiers parmi la caste des attaquants : Tim Henman. Il faut la puissance de frappe de Goran Ivanisevic pour le stopper en quarts, tandis qu’une longue standing ovation accompagne son retour aux vestiaires.
Le plus manqué : Michael Chang (2003)
Visiblement inspiré par l’épopée d’Edberg en 1996, Michael Chang entreprend sept ans plus tard de copier le modèle de la saison d’adieux du Suédois. Mais contrairement à ce dernier, le vainqueur de Roland-Garros 1989 n’a plus d’essence dans le moteur et, en guise de tournée triomphale, il n’est question que d’échecs répétés au premier tour. Au soir de son ultime défaite dès son entrée en lice à l’US Open contre Fernando Gonzalez, son bilan est de 3 matchs gagnés en 12 tournois joués, pour une 223e place mondiale et des défaites face à d’obscurs Rik De Voest, Eric Taino, Sergio Roitman ou Tripp Phillips. Plus que cette fin en eau de boudin, on retiendra le joli clin d’œil du tirage au sort de Roland-Garros, où Chang avait affronté au premier tour le Français Fabrice Santoro, né la même année que lui (1972) et qui avait lui aussi gagné à Roland-Garros en 1989… chez les juniors.
Le plus cruel : James Blake (2013)
En 2013, James Blake fait les frais de la nouvelle politique des Grands chelems vis-à-vis de la programmation des courts centraux en première semaine : les stars, les stars, les stars, peu importe si le match est déséquilibré. Les affiches chocs sont invitées à aller se dérouler sur les autres courts. C’est ainsi que Blake, ex-n°4 mondial n’ayant il est vrai que modérément brillé en Grand chelem, entame sa dernière campagne sur le Louis-Armstrong, et non sur ce Central qu’il a enflammé une nuit de 2005, lors d’un quart de finale endiablé face à Andre Agassi. Face à Ivo Karlovic, l’ambiance est aussi bien là, la ferveur aussi… mais, une fois de plus, le dénouement est cruel pour Blake, battu au jeu décisif du cinquième set alors qu’il avait mené deux manches à rien. Comme contre Agassi huit ans plus tôt, lors de ce match que l’intéressé considère être « mon plus grand et mon pire souvenir à la fois. »