Mary Pierce : à jamais la première !

25 mai 2025 à 13:11:36 | par Eli Weinstein

Le 10 juin 2000, Mary Pierce est devenue la première Française depuis l’ère Open à s’imposer dans l’épreuve du simple dames à Roland-Garros. Depuis, personne n’a égalé cet exploit. Je vous propose un retour en arrière sur ce millésime historique pour le tennis français, dont c’est le 25e anniversaire cette année.

« Juste trois jours avant le début du tournoi, je n’arrivais pas à lever mon bras. J’avais tellement mal à l’épaule ! Je me disais : Mais comment je vais faire ? Comment je vais faire ?! Je suis allée voir le docteur Montalvan, qui a été mon médecin durant toute ma carrière. J’ai fait beaucoup de soins. C’est presque par miracle que j’ai pu jouer le tournoi, mais il a fallu faire beaucoup de soins et j’ai eu mal durant toute la quinzaine. » Cette déclaration de Mary Pierce remet bien en contexte l’état d’esprit dans lequel se trouvait la championne à l’aube de Roland-Garros 2000.

La relation avec Roland-Garros, pour Mary Pierce, était comme pour tous les joueurs français : pas simple. Elle y fait ses débuts en 1992, avec une cinglante défaite au premier tour face à Jennifer Capriati 6-4 6-3. L’année suivante, pour sa deuxième participation, Pierce s’incline à nouveau sur l’Américaine. Sauf que cette fois, ce n’est pas au premier tour mais en huitième de finale. Et dès sa 3e participation, cette cogneuse, dont le papa, Jim Pierce, aujourd’hui décédé, insistait sur le fait que le tennis ressemble beaucoup à la boxe, parvient à atteindre la finale du Grand Chelem parisien.

Mary Pierce : « Avec mon père, c’était très compliqué. J’avais peur de lui et je le détestais. »

Il s’agit alors de la première présence d’une représentante tricolore en finale de Roland-Garros depuis Françoise Dürr en 1967. Depuis l’ère Open, en revanche, jamais une joueuse française n’était parvenue à se hisser en finale. Malheureusement, ce match face à Arantxa Sanchez n’a pas tenu ses promesses. Pourtant, durant toute la quinzaine, Pierce avait démontré un niveau de jeu exceptionnel. Avant d’affronter Steffi Graf, la numéro un mondiale, en demi-finale, et de la battre 6-2 6-2, Mary n’avait concédé que six petits jeux en cinq matches disputés. L’espoir de la voir soulever le trophée était donc plus que légitime. Mais en finale face à Arantxa Sanchez, alors numéro 2 mondiale et déjà titrée à Roland-Garros en 1989, Mary Pierce perd tous ses moyens. Ce jour-là, elle n’est tout simplement pas au rendez-vous et déclarera par la suite : « J’ai trop pensé à ce match et à ce discours qui m’obsédait. Je n’étais pas encore 100% à l’aise en français. J’étais jeune, extrêmement nerveuse. »

Elle perdra cette finale, dont les 17 premières minutes avaient été disputées avec quatre heures de retard sur le programme prévisionnel, et le reste, le lendemain, en raison d’une météo particulièrement agaçante.

Suivront cinq éditions durant lesquelles elle ne franchira plus le cap des huitièmes de finale, avec notamment une défaite au deuxième tour en 1999 contre une certaine Conchita Martinez.

Avant de se projeter sur sa quinzaine victorieuse, il est important de contextualiser un peu la situation. Sur la fin des années 90, la vie de Mary Pierce est beaucoup moins simple et joyeuse qu’il n’y paraît. En raison d’une relation difficile, pour le moins, avec son entraîneur/père, Pierce est torturée de l’intérieur : « Avec mon père, c’était très compliqué. J’avais peur de lui et je le détestais. » Ambiance. Et en raison de cette relation « abusive », Mary Pierce n’est pas sereine lorsque qu’elle est sur un court de tennis.

A Indian Wells, en 2000, elle donne, comme elle le déclare alors, sa foi à Jésus. « Tout a changé pour moi. J'ai compris que mon existence était entre les mains de Dieu. Ça m'a soulagée de la pression de gagner. J'étais beaucoup plus sereine dans les moments importants », explique-t-elle. Tout bascule après une conversation avec la joueuse américaine Linda Wild. Pierce raconte : « Elle avait quelque chose de spécial. Elle avait autant de considération pour une joueuse comme Steffi Graf que pour la femme qui nettoyait les vestiaires. J’ai passé un peu de temps avec elle et elle m’a expliqué qu’elle avait Jésus dans son coeur. Je voulais, moi aussi, avoir Jésus dans mon coeur. » Dès lors, tout change pour Mary Pierce. Et la vie devient plus simple.

Bernard Montalvan : « J’ai beaucoup soigné Mary durant ma/sa carrière.»

Chacun se raccroche à quelque chose pour franchir les épreuves de sa vie. Ça marche, ça ne marche pas. L’idée n’est en aucun cas de juger, mais bel et bien de comprendre. C’est donc avec une foi toute fraîche que la Française se présente à Roland-Garros, comme en témoigne ce chapelet qu’elle coince dans la bretelle gauche de sa robe noir et blanche devenue iconique.

Ça y est. Place au tournoi 2000. Ah non, pardon, encore un petit détail sur la construction de ce sacre. Car comme Rome, la victoire de Pierce à Roland-Garros ne s’est pas faite en un jour. En quinze non plus d’ailleurs. Je vous propose un retour rapide, je le promets, en 1995 à Melbourne. Cette année-là, Pierce remporte son premier titre du Grand Chelem. Moins d’un an après sa déception de Roland-Garros. Face à elle en finale, une certaine... Arantxa Sanchez Vicario. Cette fois-ci, sur une surface qui convenait beaucoup plus à la Française, l’Espagnole n’a pas existé et s’est inclinée 6-3 6-2. Il est important aussi de préciser, et vous comprendrez dans quelques lignes, qu’en demi-finale, Mary Pierce avait disposé de Conchita Martinez. En 1997, elle redisputera une finale à Melbourne, mais s’inclinera face à sa future partenaire de double, Martina Hingis.,

Bref, lorsque Mary Pierce est sur le point d’entrer sur le court à Roland-Garros en 2000, face à l’Américaine Tara Snyder, ce n’est plus du tout la même joueuse qu’en 1994. Elle a déjà remporté un titre du Grand Chelem. Elle a donc aussi disputé une autre finale, toujours à Melbourne, en 1997. Et surtout, elle est en paix. En revanche, comme elle le dit elle-même, c’est physiquement que ça péchait. La douleur au bras/épaule était si forte, qu’à trois jours du tournoi, Pierce envisageait de se retirer. C’est à ce moment-là que s’est mise en marche l’équipe médicale du Docteur Bernard Montalvan pour, non seulement remettre Mary Pierce en selle, mais aussi et surtout lui redonner espoir.

Bernard Montalvan se souvient : « J’ai beaucoup soigné Mary durant ma/sa carrière. Je me souviens que c’était une joueuse qui était, entre guillemets, facile à soigner. Je dis ça, car elle avait clairement une grande confiance en moi. Lorsque je lui disais de faire des choses, elle suivait le protocole à la lettre. Rien de plus, rien de moins. Donc à partir du moment où l’on a compris qu’elle pourrait jouer et que la douleur était gênante mais pas handicapante, on s’est mis au travail. Et dès lors, comme je vous le disais, elle a été, comme à son habitude, d’une grande rigueur. C’est vrai qu’elle était très soulagée de savoir qu’elle allait pouvoir jouer, car en arrivant, elle pensait que c’était cuit. Mais s’agissant de ces athlètes de très haut niveau, le soutien psychologique et moral est d’une importance primordiale. Une fois en confiance, ils sont capables de déplacer des montagnes. Et c’est exactement ce qu’elle a fini par faire en remportant le tournoi. Ce n’était pas simple. Elle avait énormément de soins à réaliser avant et après ses matchs, mais comme elle savait que c’était possible, alors ce n’était plus du tout un problème, mais juste la routine. »

Pierce confirme les dires de Montalvan : « Avant Roland, je n'avais pas de bons résultats. Je suis arrivée à Paris sans confiance, je ne jouais pas bien, j'étais blessée à l'épaule. Trois jours avant le tournoi, je ne savais pas si je pourrais jouer. J'avais au moins deux heures de soin chez le kiné avant de taper la balle et, après les matches, à nouveau deux heures chez le kiné. Tous les jours, j'étais presque la première arrivée et la dernière partie du stade, parfois vers 22 heures. C'étaient de longues journées... »

Conchita Martinez : « Le souci, c’est qu’au second set, Mary était en grande confiance.»

Après sa victoire du premier tour 6-3 6-1, Pierce se souvient avoir entendu une petite voix intérieure lui dire C’est peut-être cette année : « Je n’ai rien dit à personne. J’ai gardé ça pour moi et j’ai continué match par match. » Et le fameux match après match s’est très (très) bien passé jusqu’en quart de finale. Après avoir disposé de Snyder au premier tour, Mary Pierce s’est débarrassée de Barbara Rittner 6-1 6-1. Au troisième tour, c’est face à une autre Française, Virginie Razzano (wild-card cette année-là), qu’elle s’est promenée 6-4 6-0. En huitième, la Suédoise Asa Svensson n’a pas fait le poids face à la boxeuse de fond de court et s’est inclinée 6-2 6-1. Puis les choses sérieuses, si j’puis dire, ont commencé en quart de finale face à Monica Seles.

Ce match est alors la neuvième confrontation entre les deux championnes. Ce sera aussi la dernière. Avant le match, Seles menait 5-3 dans leurs face-à-face, mais Pierce restait sur deux victoires : Moscou en 1998 et Hilton Head aux US, sur terre battue (américaine certes, mais terre battue tout de même), en avril 2000 soit deux mois à peine avant ce quart de finale. Et la couleur est vite annoncée par la future gagnante du tournoi avec ce coup mythique : on est dans le premier jeu, sur le service de Pierce. Le score est aux égalités. Le point démarre et Pierce se trouve très vite mise en difficulté par un coup droit long de ligne dont Seles avait le secret. Pierce, pas la meilleure « bougeuse » (invention de mot), parvient à toucher cette balle. Sa défense est suivie d’une deuxième lame en revers que Pierce va chercher miraculeusement. Elle renvoie une balle haute à mi-hauteur, que Monica Seles s’apprête à « dégommer ». Mary Pierce se remémore : « Sur ce dernier coup que j’ai déjà ramené par miracle, je sais que Seles va la jouer dans le côté opposé. Donc je pars en courant le plus vite possible et je me retrouve avec la balle juste sur moi. Je n’ai même pas le temps de réfléchir. Par réflexe, je saute en l’air et je tape la balle entre mes jambes. C’est déjà un miracle que j’arrive à toucher cette balle. Le deuxième miracle est que cette balle entre dans le court et le troisième miracle est que le coup devient un lob gagnant ! Je n’avais jamais fait ça de toute ma carrière et je ne l’ai, bien sûr, jamais refait. »

Ce coup restera comme l’un des plus beaux coups du tennis, hommes et femmes confondus. Ce tweener gagnant est réalisé à un bon mètre du sol. Le tweener est un coup très rare dans le tennis féminin. Le tweener gagnant encore plus, qu’il soit féminin ou masculin. Ce qu’elle a réalisé à ce moment-là est tout simplement, j’insiste, un des plus beaux coups de l’histoire du tennis. Elle finira par perdre ce set, mais remportera les deux suivants pour aller défier son amie, rivale d’un jour et partenaire de double dans ce même tournoi : Martina Hingis.

En entrant sur le court Philippe-Chatrier, qui est encore à l’époque « Le Central », en ce magnifique jeudi ensoleillé de juin, Pierce est menée 10 à 5 dans leurs face-à-face par sa cadette de cinq ans. Mais au bout d’une heure et demie de jeu, le score est de 6-4 5-4 avantage Pierce. Balle de match pour la Française. Balle de finale. Le point sera remporté par Hingis sur une faute en revers de Pierce. La Suissesse égalisera à cinq jeux partout, puis elle remportera la deuxième manche 7-5 pour envoyer cette demi-finale vers une troisième manche décisive. La Française se détache 3-1, puis 4-2. Dans le septième jeu, elle commence à ressentir des crampes au mollet, mais plus rien n’arrêtera Mary Pierce. Score final : 6-4 5-7 6-2.

Ne reste plus qu’un match. Ne reste plus que LE match. Face à elle : Conchita Martinez une joueuse qui, à date, était menée 9-6. La situation n’est plus la même. Pierce est déjà lauréate en Grand-Chelem (Open d’Australie 1995), également finaliste à Melbourne en 1997 et donc finaliste malheureuse en 1994 à Roland-Garros.

Martinez se souvient de ce match : « Je me souviens être très nerveuse. Tellement que le premier set est passé très vite (6-2, Pierce). Après, j’ai réussi à me relâcher et le deuxième set a été beaucoup plus compétitif. Le souci, c’est qu’au second set, Mary était en grande confiance. Et une Pierce en confiance était une Pierce très dangereuse ! Son jeu était basé sur des grosses frappes du fond, donc forcément, lorsqu’elle était en confiance, elle pouvait lâcher ses coups et pour nous, ça ne devenait pas injouable, mais presque. Concernant le public, je me souviens très bien qu’il n’était pas hostile du tout envers moi. Bien évidemment qu’ils encourageaient Mary et qu’ils voulaient tous la voir gagner, mais néanmoins, ils étaient très respectueux envers moi. J’étais très triste de perdre ce match, car s’incliner en finale de Grand Chelem n’est jamais simple, qui plus est à Roland-Garros pour une Espagnole. Mais cela étant dit, je me souviens m’être rapidement dit que malgré la défaite, je restais tout de même la deuxième joueuse la plus forte du tournoi. Concernant l’atmosphère, c’était bien sûr spécial, car elle était Française et on était en France, mais je ne pense pas que c’était la même folie que pour la victoire de Yannick. »

Mary Pierce n’avait pas le droit à l’erreur. C’était son jour. Elle était évidemment stressée et nerveuse, il s’agissait tout de même d’une finale de Grand Chelem à la piaule ! Mais forte de son expérience, elle a utilisé des leviers pour faire redescendre un peu tout ça : « Je suis rentrée sur le court en me disant, Ok Mary, c’est juste un autre match. Je m’imaginais que je disputais un deuxième tour et ça m’a permis d’être moins stressée. »

Mary Pierce : « Le moment où je gagne est très difficile à décrire, car c'est tellement incroyable.»

Le premier set n’est pas une formalité, mais presque. Cette fois-ci, ce n’est pas Mary qui est trop nerveuse, mais son adversaire du jour : Conchita Martinez. Il a fallu à peine plus de 40 minutes pour que Pierce empoche la première manche sur un score de 6-2. La deuxième manche sera plus disputée. Martinez revient à la vie, mais c’était trop tard, comme elle aime le dire.

Juste avant de jouer la balle de match, Pierce s’est à nouveau remise en condition de dédramatisation du moment : « Juste avant la balle de match, je me suis dit : Ok Mary, pense comme si c’était un autre point, 30-15 par exemple. »

Je me permets de faire pause. Ce que Mary Pierce oublie de mentionner, c’est que la balle de match gagnante est la troisième dans le jeu, et qu’il y a aussi eu, entre la première et la deuxième, une balle de débreak à défendre. Mais c’est la force des grands de se focaliser uniquement sur le positif. Il n’empêche que la fin de match était très tendue.

Puis arrive l’après-match : « Le moment où je gagne est très difficile à décrire, car c'est tellement incroyable. C'est le moment qu'on espère pendant toute sa carrière. Ce sont toutes les années d'entraînement, toutes les souffrances, tout ce qu'on a fait pendant 15 ans pour un moment de victoire, de gloire, de récompense. C'est extraordinaire ! »

Après une belle poignée de main durant laquelle elle est félicitée dignement par Conchita Martinez – le contraire aurait été étonnant tant Conchita était et est toujours une personne profondément gentille –, Mary se retourne vers son clan avec un regard aussi heureux qu’incrédule. Elle l’a fait et n’en croit pas ses yeux. Comme un symbole, en plus de Martina Navratilova sur le podium pour lui remettre le trophée, il y avait Françoise Dürr, invitée de dernière minute pour un merveilleux clin d’oeil à l’histoire. Car avant Pierce, c’était elle la dernière Française à avoir soulevé la Coupe Suzanne-Lenglen. Avant le podium, Nelson Monfort a bien tenté une interview, mais Pierce était aux abonnés absents. Elle ne pouvait pas aligner deux mots tant elle était submergée par l’émotion.

Quelques minutes plus tard, Pierce recevait le trophée des mains de Martina, embrassait longuement Françoise Dürr, puis jetait un long regard sur la coupe avant de la brandir : « J'ai fait très attention à bien la regarder, bien lire ce qui était écrit dessus, bien l'embrasser, parce que je ne l'avais pas fait quand j'avais gagné l'Open d'Australie (en 1995). En Australie, c'était mon premier titre et je pensais que j'allais pouvoir rentrer chez moi avec le trophée. Quand on m'a pris le gros pour me donner le petit, j'étais tellement déçue de ne pas l'avoir bien regardé... À Roland-Garros, je l'ai vraiment chéri et pris le temps de m'imprégner de tout, tout, tout : des émotions, des sentiments, des bruits. Je me disais : Voilà, je l'ai fait ! Je suis au sommet, j'ai atteint mon rêve d'enfant. Quand j'étais petite, je regardais Roland-Garros à la télé avec mon père, et il me disait : Un jour, tu vas jouer Roland-Garros. Un jour, tu vas gagner Roland-Garros. C'était le rêve. » Et pour la petite histoire, elle réalisera le doublé en s’imposant également en double aux côtés de Martina Hingis. Pas trop mal pour une joueuse qui, à trois jours du tournoi, se voyait déclarer forfait.

Le rêve est devenu réalité et Mary sera (depuis l’Ère Open) à jamais la première.

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