L’ÉVOLUTION DU JEU SUR GAZON À WIMBLEDON

24 juin 2025 à 09:48:23 | par Eli Weinstein

Historiquement, Wimbledon a toujours été reconnu comme le Grand Chelem des attaquants. Pour gagner « Wimb », il « suffisait » de faire service-volée, avoir une « main » et ne pas se frustrer en retour de service dans des matchs sans rythme. Aujourd’hui, Novak Djokovic, Rafael Nadal ou encore Simona Halep sont des exemples vivants qui prouvent que, pour s’imposer dans le SW19, ce n’est plus au filet que ça se passe, mais bel et bien sur la ligne de fond de court.

Au mois de juin, le tennis professionnel connaît son plus fort contraste coloré, lorsqu’il passe de l’ocre de Roland-Garros au vert de Wimbledon. Jadis, ce contraste ne se limitait pas au nuancier du tennis, il s’appliquait bel et bien au style de jeu qui y était disputé. C’était le vrai grand écart du tennis, entre les échanges à rallonge du fond du court à Paris et les points en deux coups de raquette à Londres. Mais ça, c’était avant. Si le jeu s’est un peu accéléré à « Roland », il s’est surtout considérablement ralenti à « Wimb », mettant quasi totalement à la cave le service-volée légendaire d’un Stefan Edberg ou d’une Martina Navratilova.

Comment c’était avant ? Pourquoi ce changement ? Quelles en sont les conséquences ? Les réponses après la pub.

Ça va ! Je rigole. Dieu merci, on peut encore lire un article sans être interrompu par un influenceur qui vous explique comment devenir milliardaire en restant couché sur son transat à Bali.

Au siècle dernier, remporter le tournoi de Wimbledon du fond du court était tout simplement impossible, ou presque. Il n’y a qu’à voir la liste des vainqueurs dans les années 80 et 90 : McEnroe, Navratilova, Ivanisevic, Navratilova, Stich, Navratilova, Becker, Navratilova, Edberg, Navratilova, Cash. Vous l’aurez compris, Martina, la Tchèque ensuite naturalisée Américaine, avec ses neuf victoires, a « légèrement » dominé le tournoi. Cette joueuse et ces joueurs ont tous en commun d’avoir été de redoutables serveurs et volleyeurs. Wimbledon se gagnait au filet et non pas de la ligne de fond de court. Mais ça, c’était avant.

Agassi se souvient : « Le match contre McEnroe a été le plus propre que j'ai joué.

Alors comment est-on passé de noms tels que Michael Stich, Martina Navratilova ou Pat Cash sur le palmarès de Wimbledon, à Rafael Nadal, Lleyton Hewitt, Conchita Martinez ou encore Marion Bartoli ? La réponse est simple : le gazon n’est plus le même. Le changement s’est fait en 2001. Jusque-là, le gazon sacré était à 70% de l’Ivraie vivace (Ryegrass) et 30% de la Fétuque Rouge Traçante (Creeping Red Fescue). Depuis, Wimbledon est passé au 100% Ivraie. Comme l'a déclaré Eddie Seaward, ancien jardinier en chef de Wimbledon, dans un article du New York Times de 2010 : « La différence de temps de réaction entre l'ancien et le nouveau gazon est d'un dixième de seconde. Les rebonds sont également légèrement plus élevés et, ce qui est particulièrement remarquable pour les joueurs et les spectateurs, plus réguliers. » L’effet est immédiat. Il suffit de comparer l’affiche de la finale 2001 du simple messieurs et celle de 2002. La première a vu Goran Ivanisevic battre Patrick Rafter, alors qu’à peine 365 jours plus tard, c’est Lleyton Hewitt qui dominait David Nalbandian. Pour les plus jeunes d’entre vous qui connaîtriez mal les anciens du tennis, si je devais faire une comparaison, c’est comme si l’on passait d’une finale entre Giovanni Mpetshi Perricard et Reilly Opelka, à une finale entre Gilles Simon et Casper Ruud. Du coq à l’âne.

La métamorphose du gazon a donc changé à tout jamais le destin du tournoi. Désormais, le titre est devenu accessible à tous durant l’été londonien et non plus seulement aux « gros » serveurs et serveuses. Bien sûr, il y avait déjà eu des exceptions avant même que le changement de gazon n’ait lieu. Prenez par exemple la victoire d’Andre Agassi en 1992. On se souvient tous du style de jeu de l’Américain. C’était un attaquant, certes, mais du fond du court. Le Kid de Las Vegas se souvient : « Deux de mes trois premiers adversaires étaient des joueurs de fond de court [à l'exception de Derrick Rostagno], qui étaient toujours difficiles à affronter sur gazon. Chesnokov m'a fait frapper beaucoup de balles, mais j'ai commencé à peaufiner mon jeu face à [Christian] Saceanu (qualifié), au quatrième tour, où j'ai frappé une balle propre. J'ai laissé mes coups filer. »

Agassi n'a jamais été sérieusement menacé lors de cette victoire 7-6(1), 6-1, 7-6(0). Son premier « client » sur gazon a alors été, en quart de finale, un certain… Boris Becker.

Les deux ne s’appréciaient pas vraiment et n’étaient d’ailleurs jamais partis en vacances ensemble. Au moment où ils s’affrontent, Agassi mène 5-3 dans leurs face-à-face, alors qu’il avait perdu les trois premières fois contre l’Allemand. Clairement, celui qui, quelques années plus tard, se mariera avec une Allemande en la personne de Steffi Graf, avait compris comment il fallait jouer Becker. Et surtout, « Dédé » comme on l’a surnommé en France, avait compris que Becker tirait la langue dans la direction où il allait servir juste avant de lancer sa balle. Des années plus tard, Agassi raconta à Becker cette ruse qu’il avait décryptée, et Boris lui répondit qu'une fois, il était rentré chez lui en disant à sa femme : « C’est comme s’il lisait dans mon cerveau! ». Bref, tout ça pour dire qu’Agassi a battu Becker en cinq sets en quart de finale, en le retournant comme personne ne l’avait encore jamais fait.

Puis, cela a été le tour de John McEnroe. Agassi se souvient : « Le match contre McEnroe a été le plus propre que j'ai joué. McEnroe avait un service différent de Boris. C'était un artiste. Je n'ai jamais joué un tennis parfait dans ma carrière, mais j'ai joué des matchs où je me sentais en contrôle et où je ne quittais jamais la troisième vitesse. Contre McEnroe, j'avais le sentiment d'avoir une vitesse supérieure à laquelle je pouvais passer si besoin. J'étais discipliné dans les risques que je prenais et tout a fonctionné. »

« Rodge » s’est bien appliqué à enfiler sa tenue à l’issue du match. Mais pour se rendre compte, quelques secondes avant de prendre en main le trophée, qu’il avait mis son pantalon... à l’envers !

Face à Ivanisevic en finale, Agassi n’était pas favori. Il avait déjà perdu trois finales de Grand Chelem. En résultait logiquement qu’il était outsider pour ce match, ce qui lui permit d’entrer sur le court sans pression. Le « no pressure » était le leitmotiv d’Agassi durant ce tournoi. Il faut rappeler qu’il ne s’était pas entraîné la moindre seconde sur gazon avant de se présenter à Wimbledon cette année-là. Les seuls moments où il avait eu du gazon sous les pieds en amont du tournoi étaient ceux passés durant les parties de golf qu’il avait disputées à Las Vegas ou en Floride. Agassi revient sur l’enjeu du match : « À l'époque, les gros serveurs avaient l'avantage, mais si un joueur parvenait à effectuer un premier retour, il pouvait prendre le contrôle du point. Pour moi, c'était très difficile sans un gros service, alors je devais tenter ma chance. »

« Goran était un as de la gâchette, poursuit Agassi. Quand les occasions se sont présentées au début des deuxième et troisième sets, je les ai saisies. Le quatrième set semblait inévitable. J'étais à la limite, je ne pouvais rien faire. Il enchaînait les aces et les coups gagnants. Les vannes s'étaient ouvertes et j'étais dans une situation délicate. Au cinquième set, j'ai servi le premier. C'était un avantage, car tant que je tenais mon service, la pression était sur Goran pour égaliser. Je n'ai jamais eu l'impression d'avoir l'avantage jusqu'à la fin du match. Au début du cinquième set, il tenait facilement le service et j'étais en difficulté. À 4-5, il a commis deux doubles fautes pour être mené 0/30. Il a manqué son premier service sur le point suivant et j'ai alors pensé que je pourrais peut-être le gagner. Il m'a fait un ace sur son deuxième service. À 15/30, il a frappé un service impossible à retourner. À ce stade, je pensais que nous allions nous livrer une bataille titanesque et qu’elle ne durerait que le temps que je tiendrais mon service. Mais à 30/30, j'ai réussi à forcer Goran à frapper une demi-volée, que j'ai récupérée pour frapper un passing.

Sur la balle de match, il a alors manqué son premier service. Le public a commencé à se demander si Goran allait commettre une troisième double faute dans le jeu. À ce stade, tout allait trop vite. Je savais que je ne voulais pas regretter de ne pas avoir saisi ma chance sur une balle de match. Je me souviens d'avoir frappé de toutes mes forces, de l'avoir touchée, et de voir Goran, au milieu du terrain et déséquilibré, envoyer son revers dans le filet. »

Ce jour-là, André Agassi remporte son premier titre du Grand Chelem et surtout celui que personne ne pensait qu’il serait un jour capable de gagner. Sa victoire est une anomalie dans le palmarès de Wimbledon ancien gazon. Il a fallu un miracle pour qu’il s’adjuge le tournoi. C’est pourquoi je pensais nécessaire de faire cette parenthèse. J’entends certains dire, en lisant ces quelques phrases, « Et Borg alors ? C’était peut-être un serveur et volleyeur ???!!! », en mode sarcasme plus plus, genre moi, je connais le tennis. Bien sûr que non, mais à Wimbledon, le Suédois ne faisait que ça. C’est au filet qu’il est allé chercher ses cinq titres à Londres et pas autrement.

Revenons donc à cette métamorphose du gazon et la possibilité, désormais offerte à tous, de s’emparer du trophée. C’était une issue inévitable. La vérité est que Wimbledon avait peur de devenir un tournoi uniquement promis à des joueurs et joueuses monostyliques. Le tournoi ne voulait en aucun cas que des « servebots » comme Goran Ivanisevic prennent le contrôle du Centre Court. Il fallait changer quelque chose et c’est exactement ce qu’ils ont fait. Cependant, ils ne l’avoueront jamais. Toutes les théories de l’évolution des balles, des raquettes, des physiques des joueurs sont avancées pour éviter d’avouer que tout ça a été fait exprès.

Andy Roddick a bien essayé de s’emparer du trophée (à trois reprises) à coup de premières balles à plus de 230 km/h, mais cela n’a pas suffi. Face à lui, à chaque fois, un certain Roger Federer était là pour le contrer. L’Américain y est presque parvenu mais sans succès. Federer, pourtant un attaquant, un vrai, pas comme Agassi, avait compris qu’à Londres, c’est du fond qu’il s’imposerait. Pour Federer, ce n’était pas la même qu’Agassi, car il avait tout de même un gros service. Il pouvait donc s’appuyer sur ce dernier pour gagner ses mises en jeu, mais c’est au retour de service qu’il faisait la diff ! Petite anecdote qui n’a rien avoir avec le « schmilblik », même si un peu quand même. En 2007, Federer domina Nadal en finale et pour la remise du trophée, le Suisse revêtit la tenue que Nike lui avait confectionnée, avec un blazer blanc et un pantalon, blanc lui aussi, Wimbledon oblige. Soucieux de son look, mais aussi de vouloir marquer l’histoire et d’être classe sur les photos, « Rodge » s’est bien appliqué à enfiler sa tenue à l’issue du match. Mais pour se rendre compte, quelques secondes avant de prendre en main le trophée, qu’il avait mis son pantalon... à l’envers ! Il s’en est aperçu lorsqu’il a voulu mettre ses mains dans ses poches, constatant alors qu’elles étaient orientées dans le mauvais sens. Vers la quatrième minute de la vidéo ci-dessous Roger l’explique mieux que personne.

Depuis la victoire d’Ivanisevic en 2001, il n’y plus eu un seul serveur-volleyeur qui se soit imposé à « Wimb ». Quand on observe de plus près le palmarès à partir de 2003, on ne trouve que cinq noms : Djokovic, Federer, Nadal, Murray et Alcaraz. Certes, deux d’entre eux sont plus offensifs que les trois autres, mais on est tout de même loin du jeu de Stefan Edberg ou de Martina Navratilova. Bien sûr qu’il s’agit majoritairement du « Big 4 » et qu’au même titre que sur les autres Grands Chelems, ils ont dominé de bout en bout, mais auraient-ils été aussi triomphants si la surface était restée rapide comme elle l’était jadis (C’est toujours bon de placer le mot jadis au moins une fois dans un papier) ? On ne le saura jamais.

En revanche, on peut imaginer que la situation aurait été plus compliquée au vu des études qui ont été faites sur l’évolution de la surface et la façon dont cela a concrètement affecté le jeu.

Pour commencer à comprendre, prenons quelques stats de Pete Sampras qui a remporté le tournoi sept fois, et notamment de 1997 à 2000 inclus. En 1997, 1998 et 2001, l’ancien recordman de Grand Chelem (14), dont tout le monde pensait que son record ne serait jamais battu (lol), avait une fréquence de services-volées sur l’ensemble de ses services, respectivement de 81, 82 et 80 %.

De son côté, pour son premier titre dans le SW19 en 2003, Roger Federer affichait, lui, un pourcentage de 48%. L’année suivante, ce même pourcentage était à 24%. Pire. En 2006, il n’effectuera que 30 services-volées en tout et pour tout sur l’ensemble du tournoi, contre 313 en 2003.

En 1997, sur l’ensemble du tournoi, il y a eu 66% de services-volées derrière la première balle. Là, on ne parle plus seulement de Roger Federer, mais de l’ensemble du plateau. En 2017, ce pourcentage est descendu à un petit 10 %… Les organisateurs peuvent nous expliquer ce qu’ils veulent, mais les chiffres sont les chiffres et ils ne mentent pas.

Marion Bartoli : « Pour moi, "Wimb" n'est pas le Grand Chelem le plus lent.»

J’ai eu la chance d’échanger avec une ancienne (pas si ancienne) lauréate de Wimbledon, en la personne de Marion Bartoli, sur l’évolution de la surface dans le sud de Londres. Voici ce qu’elle avait à dire sur les différents thèmes que j’ai pu aborder avec elle.

Son style de jeu en arrivant à Wimbledon en 2013 :

« Le même que d'habitude, je n'ai pas changé. Agressive, collant à la ligne de fond, prenant la balle tôt, coupure de trajectoire, dictant le jeu, exactement ce que je faisais habituellement. Après, pour être totalement honnête, selon moi, mon meilleur niveau de jeu à Wimbledon, ce n’était pas en 2013 mais en 2011. Lorsque je bats Serena en particulier, sur le court numéro 1, c'est pour moi le meilleur match de gazon que j'ai réalisé. Mais après, pour gagner un Grand Chelem, il faut autre chose que simplement bien jouer. Ça a été ma grande force en 2013 justement. Le "autre chose", j'ai été capable de le mettre en place, parce que j'avais eu l'expérience de 2007 avec ma finale perdue, puis de 2011 avec cette victoire sur Serena. Et en 2013, tout le puzzle s'est mis en place. Mais sinon, j'avais exactement le même style de jeu que les années précédentes. »

Sa stratégie pour l’édition 2013 :

« Ma stratégie, c'était très simple encore une fois, et c’est ce que j'ai toujours appliqué à Wimbledon, à savoir être en domination du point le plus possible. Ne pas être en défense. Et si jamais je devais être en défense, coller à la ligne de fond et repartir avec un jeu de jambes agressif, en coupure de trajectoire, donc ne pas me laisser décrocher au niveau de la ligne de fond de court. Ça, c'était très, très important. Pourcentage de première balle élevé, bien sûr. Sur gazon, ça aussi, c'est capital. Et puis, au retour de service, j'avais quand même toujours la capacité de mettre en danger mes adversaires. Donc beaucoup de séances passées à faire énormément de retours parce que c'était vraiment ma force sur gazon. L'année où je gagne à Wimbledon, IBM avait sorti des stats : j'avais breaké plus de 50% des fois toutes mes adversaires, et en particulier en finale Sabine Lisicki qui était une grande serveuse. Je passais énormément de temps à travailler mon retour de service, mais mon jeu était vraiment basé sur des coupures de trajectoire, prendre la balle tôt et diriger le point. »

L’évolution de la vitesse du gazon à Wimbledon :

« La vitesse à Wimbledon a beaucoup évolué. Lorsque j'ai joué mon premier Wimbledon chez les juniors en 2001, c'était vraiment extrêmement rapide. Il n'y avait pas plus de deux ou trois échanges. Au retour de service, c'était difficile de retourner. Dès que tu faisais un bon slice, c'était quasiment injouable. Même lorsque je fais finale en 2007, c'était beaucoup plus rapide. Et puis par la suite, le gazon a été changé pour les Jeux Olympiques en 2012, puisqu'ils n'avaient pas le temps de refaire pousser un nouveau gazon. Il fallait donc que le gazon soit plus résistant pour assurer à la fois Wimbledon, puis derrière, les Jeux olympiques. Et après, ils ont gardé ce gazon-là qui a effectivement réduit la vitesse des courts à "Wimb". Et ça s'est réduit encore petit à petit. C'est-à-dire que moi, quand je revenais pour jouer les Légendes, je m'apercevais vraiment que chaque année, c'était de plus en plus lent. Alors que quand je le remporte en 2013, ça restait quand même une surface rapide. Les rebonds étaient bas et dès que tu accélérais, ça prenait encore beaucoup de vitesse. Ça s'est beaucoup ralenti. Au point qu’en 2023, la dernière fois que j'ai joué les Légendes, j'ai trouvé ça vraiment extrêmement lent. »

Si elle en a discuté avec d’autres joueuses ou joueurs :

« J'ai 20 ans de recul sur "Wimb", donc oui, et on a tous le même avis effectivement. J'ai pu en discuter avec Roger (Federer), avec Serena (Williams) aussi. Et elle aussi trouvait que le gazon était considérablement ralenti par rapport à ses premiers succès. C’est vraiment un avis commun de la part de tous les joueurs et joueuses avec qui j'ai pu aborder le sujet. ».

Les raisons de cette évolution selon elle :

« Je pense que c’est pour que le public ait plus d'échanges à regarder. Qu'il y ait des matchs avec plus d'échanges du fond du court et pas uniquement des services-volées comme à l'époque de Pete Sampras ou de John McEnroe. Moi, Pete Sampras, c'était mon idole absolue et je suivais donc tous ses matches à Wimbledon. C'étaient uniquement des services-volées ou des "chip and charge" et montée au filet. Ils ont voulu que le gazon devienne un jeu qui ressemble aux autres surfaces. Et après, il y a aussi eu un problème d'entretien. Comme je le disais, il fallait que le gazon puisse résister à l'enchaînement Wimbledon / Jeux Olympiques en 2012. »

Si Wimbledon est le Grand Chelem le plus lent :

« Pour moi, "Wimb" n'est pas le Grand Chelem le plus lent. Tout simplement parce que les échanges sur terre battue sont, malgré tout, toujours beaucoup plus longs que quand on est sur gazon. Donc non, pour moi, il n'est pas le Grand Chelem le plus lent. En revanche, même si le gazon s'est ralenti, il y a une particularité qui est vraiment spécifique à cette surface : les déplacements. Le court reste très glissant et il faut donc arriver à se déplacer comme si on était sur des oeufs, mais quand même le plus rapidement possible. C'est une technique de jeu de jambes qui est très particulière. Il faut beaucoup d'agilité au niveau des pieds. La transition de la terre battue au gazon est vraiment difficile à faire, même si les joueurs y arrivent, bien sûr, à force de l'habitude. Mais tu es quand même obligé de faire une préparation physique différente. Les fessiers travaillent beaucoup plus, le bas du dos travaille beaucoup plus, tu es nettement plus bas en termes d'assise. Les premiers entraînements sur gazon, tu es toujours perclus de courbatures quand tu les termines, parce que sur terre battue, tu as quand même joué de manière générale plus haut avec plus de "top spin". Là, il faut jouer beaucoup plus à plat, voire en slice. Il faut être beaucoup plus bas au niveau des jambes, beaucoup plus bas au niveau du centre de gravité. Donc non, je ne pense pas que "Wimb" soit le Grand Chelem le plus lent, mais en revanche, celui qui nécessite le plus d'adaptation, oui, et ça de manière certaine. »

Les images qui lui reviennent de son titre :

« Il y en a beaucoup. Je pense à mon premier match contre Elina Svitolina sur le court 14. C'était un match de fin de journée. Il avait plu, on avait attendu toute la journée. Je ne la connaissais pas du tout. C'était une petite jeune qui arrivait, je savais qu'elle était entraînée en France. J'avais bien sûr vu tout de suite ses qualités de déplacement et que c'était une contreuse, mais ça avait été un match long. Je me rappelle du match contre McHale. On était programmées en premier match mais finalement, on avait commencé à 19h30 ! Il avait fallu attendre toute la journée. Je me rappelle donc une première semaine assez pluvieuse avec beaucoup d'attente, où j'avais fait aussi de grosses relances de préparation physique pour, cette fois, être prête en deuxième semaine. Cet enchaînement crucial m'avait justement coûté Wimbledon en 2011. À notre époque, on ne jouait pas le dimanche. Par contre, on enchaînait lundi et mardi. Et en 2011, cet enchaînement Serena lundi et Lisicki mardi m'avait tuée. Au début du troisième set contre Lisicki, j'avais eu une grosse baisse physique. Là (en 2013), je m'étais vraiment préparée justement le samedi et dimanche, à la fois avec du repos et avec vraiment un "reset", l’idée de repartir sur un autre tournoi. Parce que la deuxième semaine en Grand Chelem, c'est un autre tournoi et j'avais su parfaitement le gérer. Je me rappelle vraiment de tous ces moments de gestion qu'il avait fallu avoir, justement grâce à l'expérience. Et puis après, bien sûr, la finale avec tout le cérémonial, la tension avant le match et puis l'explosion de joie quand je gagne. Je me suis vraiment servie de mes expériences précédentes, pour réussir à beaucoup mieux gérer que lors de ces éditions où j'avais eu la possibilité d'aller chercher "Wimb" et où je n'y étais pas arrivée. Forcément, l'expérience fait une différence. Pouvoir en discuter avec Amélie (Mauresmo) aussi, ça m'avait beaucoup aidée. Et puis je me rappelle bien sûr de mon papa qui était venu pour la finale et de la joie partagée ensemble avec l'accolade qu'on a, tous les deux, quand je monte dans la "players box" et que je tombe dans ses bras. Ça restera un moment unique pour moi. Il y a aussi mon fameux ace sur la balle de match. A chaque fois que je suis à l'entraînement et que j'essaie de le refaire, quand j'y arrive, il y a cette image contre Lisicki, avec la craie qui monte en l'air et la voix de l’arbitre qui dit "Game, set and match, miss Bartoli". Ce sera pour toujours gravé dans ma mémoire. »

Ce témoignage de Marion est très intéressant. Non seulement en raison de la qualité de son analyse technique sur ce que demande physiquement le gazon, mais aussi par rapport à cette seconde évolution du gazon, que je n’avais pas encore mentionnée jusque-là, à savoir la mise en place en 2012 d’un gazon capable de supporter à la fois le Grand Chelem et les Jeux Olympiques dans la foulée.

Pour terminer, voici quelques citations de joueuses et de joueurs éclectiques, mais qui disent tous grossièrement la même chose :

Roger Federer : « J'avais l'impression que c'était lent, que je n'avais pas vraiment d'impact… Je ne pense pas avoir réussi un ace dans les deux premiers sets. […] Je pense vraiment que Wimbledon n'a pas été le plus rapide dans l'ensemble. »
Denis Kudla : « Tout le monde pense que c'est la puissance du service et la façon dont il arrive au filet qui comptent, c'est tout le contraire. Ce sont les relanceurs qui gagnent sur gazon. C'est de loin le tournoi du Grand Chelem le plus lent. Ces courts sont tellement lents en ce moment, c'est fou. »
Belinda Bencic : « Je pense que l'herbe est plus haute. Je me souviens que le service était plus efficace autrefois. Maintenant, tout le monde peut le renvoyer, comme sur dur. »
Milos Raonic : « Depuis mes premières années ici, je pense que la vitesse du court a progressivement diminué. Et désormais, je ne pense pas qu'il soit plus rapide que n'importe quel autre tournoi du Grand Chelem, c'est pour moi une certitude. »
Marat Safin : « Merci aux gens d'avoir rendu les courts plus lents. Les courts sont devenus de plus en plus lents au fil des années. Maintenant, vous pouvez jouer depuis la ligne de fond de court et plus personne ne s'approche du filet. »
Nick Kyrgios : « Ce n'est plus du gazon. C'est lent. Lent. Essaie de l'arroser, remettons-le en gazon ! Merci. »
Dustin Brown : « Chaque surface a ses propres caractéristiques et les courts de Wimbledon et de gazon devraient être plus rapides. J'avais le sentiment, même lors des deux derniers tournois auxquels j'ai participé, que jouer à Roland-Garros pourrait parfois être un peu plus rapide, simplement en raison des balles et des courts. »
John McEnroe : « Je me suis demandé : "Est-ce que je regarde vraiment la finale masculine de Wimbledon ?" […] Le spectacle est encore plus beau si on a un serveur-volleyeur face à un joueur de fond de court. »

Wimbledon n’est plus le Grand-Chelem le plus rapide. Certains (pas Marion Bartoli) disent même que c’est devenu le plus lent des quatre. Mais est-ce une si mauvaise chose ? La réponse est très subjective. Pour les organisateurs du tournoi, la réponse est clairement non. Ils veulent plus de spectacle. Ils veulent des échanges plus longs. Ils veulent de la diversité dans le palmarès. Force est de constater qu’ils ont eu ce qu’ils recherchaient. Manque de chance, ils sont tombés sur le « Big 4 ». Perso je trouve que c’est une excellente initiative et je prends beaucoup plus de plaisir à regarder les matches sur gazon. Et vous ?

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