« L'autorité de la mode est tellement absolue qu’elle nous force à être ridicules sous peine de le paraître » - Joseph Sanial-Dubay
« C’est de la mode, donc c’est stylé » ; l’esprit manipulé par ce biais cognitif, certains, comme Layvin Kurzawa et Hugo Ekitike, n’hésite pas à se vêtir de façon originale, quitte à être ridicules en ressemblant à des personnages du SAV des émissions d’Omar et Fred aux yeux des profanes. Dans le monde des suiveurs du tennis, et notamment sur X, il existe un courant affirmant que Casper Ruud est « surcoté ». Que son classement - 6e cette semaine, 2e en septembre 2022 - ne reflète pas son niveau réel, et n’est dû qu’à des titres sur terre battue dans des « petits » tournois. Depuis dimanche le Norvégien a définitivement enterré cet argument, par ailleurs souffreteux de base : gagner autant de compétitions, même dites « mineures » est déjà un exploit. Peu de joueurs peuvent se targuer d’avoir le palmarès de Ruud, qui a encore de nombreuses belles années devant lui.
Après dix trophées glanés lors d’ATP 250 - neuf sur ocre, un sur dur extérieur -, le joueur de 25 ans a soulevé celui de Barcelone. Le sacre le plus important de sa carrière. Un ATP 500. En battant Stéfanos Tsitsipás, l’homme face auquel il s’était incliné sept jours plus tôt en finale à Monte-Carlo, un Masters 1000. Car, ce qu’omettent de souligner ses détracteurs en pointant du doigt le palmarès de Ruud, ce sont toutes les grandes finales déjà atteintes. Celle du Masters, et trois en Grand Chelem : deux à Roland-Garros, et une à l’US Open en 2022 où il est passé à un victoire de faire coup double en devenant numéro 1 mondial. Pas mal pour un joueur « surcoté ».
Bilan face au top 10, et au top 5
« Bof, il a eu des tirages faciles, il n’a battu qu’un seul top 10 en Grand Chelem ». Voilà ce que rétorquent régulièrement les anti-Ruud. Une statistique à relativiser. D’abord, le natif d’Oslo ne s’est mesuré que huit fois à des membres de cette élite en Majeur. Lors des quatre premières, il n’en faisait lui-même pas partie, et n’était pas encore top 20. Lors des quatre suivantes, il s’est incliné contre Rafael Nadal, Carlos Alcaraz et Novak Djokovic - à chaque fois en finale - et a battu Holger Rune. Au total, arrivé sur le circuit principal très jeune, à 17 ans, il a disputé 40 duels face à des adversaires du top 10. Bilan : 14 victoires, 26 défaites.
Depuis qu’il a lui-même intégré ce cercle fermé, il a compilé 11 succès pour 14 revers. Ses limites ressortant davantage face au top 5 : 4 victoires pour 16 défaites, et une en quatre matchs depuis qu’il a lui-même connu la joie d’être parmi les cinq meilleurs de la planète. De quoi donner un peu de grain à moudre, et du sens, aux juges le martelant comme surcoté, à condition toutefois d’y apposer la mention « pour un joueur passé à un match d’être numéro 1 mondial ». Néanmoins, après les trois échecs, contre Nadal, Djokovic et Alcaraz, il a franchi un cap en battant le Serbe à en demi-finale Monte-Carlo la semaine passée. Sa première palme face à un numéro 1 du classement ATP. En quatre tentatives, toutes contre Djokovic.
« Je préfère regarder la peinture sécher plutôt que de te regarder jouer » - Nick Kyrgios
L’autre raison pour laquelle Ruud est critiqué, c’est son style de jeu. « Je préfère regarder la peinture sécher plutôt que de te regarder jouer ; ennuyeux à mourir », lui avait tweeté Nick Kyrgios en octobre 2019. En guise de bataille dans une guerre d’ego, aussi. Agacé par le cirque de l’Australien à Rome quelques mois plus tôt, lorsque celui-ci avait fini par envoyer valdinguer sa chaise et quitter le court de son propre chef, Ruud avait célébré son succès comme un joyeux drille. Lui, l’homme qui s’est sobrement contenté de sourire après son sacre à Barcelone. De quoi témoigner d’à quel point le comportement de Kyrgios lui avait tapé sur les nerfs ce jour-là. « Pourquoi ne pas célébrer ? Il est devenu complètement fou, ce n’est pas mon problème si c’est un idiot sur le court », avait-il répondu à un média norvégien plusieurs moi plus tard, interview qui avait provoqué le tweet de Kyrgios.
Un reproche qui ressemble beaucoup à un délit de « gendre idéal ». Véritable gentleman des terrains, le meilleur joueur de l’histoire de son pays, devant son père Christian Ruud, ne fait jamais de vague. Aucun jet de raquette ni de mot plus haut que l’autre contre les arbitres, toujours fair-play, pas de « COME ON ! » tonitruant - à traduire en norvégien, pour ceux qui maîtrisent - ; rien pour pimenter les rencontres. De quoi faire de « Casper Ruud » l’antonyme de « charisme » pour certains. Pourtant, Björn Borg, pape du genre, a été la première vraie rock star du tennis. Le poids de son palmarès monumental a aussi pesé dans la balance me répondrez vous sans doute, à raison. Mais en se concentrant uniquement sur le jeu, le Nordique a de sérieux atouts.
« Je dois être plus agressif » - Casper Ruud
La lourdeur de son coup droit, mariage du lift et de la puissance, est de loin l’une des plus impressionnantes du circuit. Elle n’a pas grand chose à envier à celle du Dominic Thiem de la grande époque. Il est capable d’envoyer des gifles bourrées d’effet d’une violence à décorner les bœufs. Et il a su faire évoluer son jeu. « Chacun a son propre style de jeu, avait-il expliqué à Madrid en 2023. Moi, je déteste faire des erreurs en voulant faire des coups gagnants surpuissants. Mais je dois légèrement changer ça mentalement, être un peu plus agressif, prendre davantage de risques. Les meilleurs joueurs du monde sont offensifs, ils cherchent à prendre le contrôle des points. Ces derniers temps, j’ai un peu trop espéré que l’adversaire fasse la faute. »
S’il faut du temps, et du travail, pour mettre les changements en place, il a réitéré cette volonté en début de saison. « J’ai été un peu trop passif l’an passé, je veux être plus agressif », a-t-il analysé lors de l’United Cup. À la parole, il a allié les actes. En venant aussi terminer les échanges au filet beaucoup plus souvent. Résultat, après près de cinq mois, il a déjà disputé trois finales - ATP 250 de Los Cabos, ATP 500 d’Acapulco, en outre de celle à Monte-Carlo et de son sacre à Barcelone - et plus de victoires sur dur que lors de toute la saison 2023. Une volonté d’évolution, sans cesse recherchée par les plus grands comme Nadal, Federer et Djokovic, guidée par un but : remporter un titre du Grand Chelem d’ici la fin de sa carrière. Et clouer définitivement le bec des haters par la même occasion, grâce à un style de jeu plus complet.
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