Le tennis est un sport de traditions. C’est, aussi, ce qui en fait sa beauté. Le tournoi de Wimbledon en est la quintessence, avec son règlement obligeant les athlètes à évoluer tout de blanc vêtus. Pour l’avoir vécu de près, j’avoue que c’est beau. Et d’ailleurs, il n’est pas né celui qui assistera à une finale dans le SW19 entre deux joueurs, l’un portant un haut rouge et l’autre un haut rayé bleu et vert. Et c'est très bien ainsi, car certaines traditions valent le coup d’être préservées.
En revanche, il ne faut pas confondre tradition et immobilisme. Les joueurs et les joueuses de tennis sont tellement protégés qu’ils sont totalement inapprochables. Ce qui arrange bien les instances gouvernantes du tennis (ATP, WTA…). Celles-ci n’ont en effet pas besoin d’en faire plus qu’organiser une conférence de presse d’après-match - à condition qu’il ne soit pas « trop tard » ! - et éventuellement, ensuite, permettre à un journaliste ou deux - à condition qu’il s’agisse de représentants de médias majeurs - de pouvoir réaliser un entretien en tête-à-tête avec la joueuse ou le joueur. Ce dernier (l’entretien) dépasse rarement les cinq minutes.
Novak Djokovic : « Nous ferions bien de nous inspirer de la Formule 1 »
En Formule 1, c’est tout l’inverse. Il y a un monde fou sur le paddock. Les pilotes, les directeurs d’équipes, les ingénieurs, les invités... Tout le monde peut être approché par la presse avant même que la course n’ait démarré.
Au Qatar, ce dimanche, à l’occasion de l’avant-dernier Grand Prix de Formule 1 de l’année, Novak Djokovic, un invité parmi de nombreux autres, se promenait dans le paddock lorsqu’il a été abordé par les journalistes de Canal +. Ils lui ont demandé ce qu’il pensait du spectacle. Novak, qui a l’habitude du monde ultra cloîtré du tennis, a commenté cet accès libre avec des grands yeux ébahis de petit garçon : « Je trouve cela incroyable à quel point les portes sont grandes ouvertes aux invités et aux médias. Au tennis, ce n’est pas le même cas de figure. Mais nous ferions bien de nous inspirer de la Formule 1. » C’est une petite interview qui ne paye pas de mine, mais la réponse de Novak Djokovic, dans un français pas loin d’être parfait, en dit long sur ce que pense le Serbe de la gestion de son sport.
La gestion des athlètes dans le tennis est ultra verrouillée. On en arrive au point où les personnages génèrent de moins en moins d’émotion auprès du grand public. Cela ne va pas aller en s’arrangeant avec les départs de Roger Federer et maintenant Rafael Nadal. On sait tous que Novak Djokovic ne va pas tarder à suivre et il faudra ensuite s’enthousiasmer avec le jamais souriant Jannik Sinner ou encore l’« Iga-Swiatek » qui, si elle le pouvait, jouerait avec son casque vissé sur les oreilles pour ne surtout pas être affectée par les fans qui se saignent pour la voir jouer.
Netflix a bien essayé de relancer le tennis en mode « Drive to survive », sauf qu’eux aussi ont fini par tomber sur des portes closes. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard que la série « Break Point » a été annulé après seulement deux saisons. Même le golf a autorisé des accès incroyables aux caméras de la plateforme de streaming, permettant à sa série « Full swing » d’offrir du croustillant à ses téléspectateurs. Mais au tennis, rien. Avez-vous le souvenir d’être entré dans un vestiaire, en mode petite souris, pour suivre des conversations qui pourraient être choquantes, comme cela a été le cas avec Rory McIlroy qui insulte copieusement Phil Mickelson ?
Les journalistes sont dans les vestiaires après les rencontres et tout le monde parle à tout le monde
De plus en plus de tentatives satellitaires essaient aujourd'hui d’offrir une autre version du tennis comme l’UTS ou la Laver Cup. Signe d'une réelle menace pour le circuit traditionnel, on voit désormais des joueurs préférer disputer un UTS plutôt qu’un 250.
Novak Djokovic voudrait donc ouvrir les portes du tennis à certains invités et surtout à la presse. Cela se fait dans le sport pro américain. Si vous avez la chance d’assister à un après-match, vous verrez que les journalistes sont dans les vestiaires et que tout le monde parle à tout le monde. Pour vous donner un ordre de comparaison, sur les tournois du circuit, il y a des salons des joueurs où seuls certains journalistes (ceux appartenant à l’ITWA, International Tennis Writers Association) ont le droit de pénétrer. Mais parfois, ils doivent quand même être escortés par des salariés des instances gouvernantes. De quoi a-t-on peur ? Que pourraient découvrir ces membres de la presse derrière les portes de ces salons ? Mis à part un joueur qui fait une sieste sur un canapé ou quatre autres qui tapent le carton, pas grand-chose.
J’applaudis des deux mains (une des expressions les plus bizarres de la langue française) la prise de position de Novak. Sera-t-elle suivie des faits ? Est-ce pour lui une façon d’annoncer qu’il a l’intention de faire bouger les lignes ? Je ne sais pas, mais je l’espère. Et en revanche, ce que je sais, c'est que le tennis en a vraiment, mais alors vraiment besoin !