Vendredi dernier, l’ultime nom prononcé durant la réalisation du tableau féminin par le maître de cérémonie du tirage au sort de Wimbledon - qui, au passage, ferait bien de sortir de son village de temps à autre de manière à apprendre à prononcer un nom étranger correctement - a été celui de la Hongroise Panna Udvardy, classée 82e au monde. Automatiquement, le nom sous le sien était celui de la tête de série numéro 2 du tournoi, qui avait été placé en deuxième, au tout début de la cérémonie : Aryna Sabalenka !
C'est dans la voiture officielle qui les amenait de l’hôtel à Wimbledon, qu’Udvardy et son coach, Bastien Fazincani, ancien entraîneur d’Alizé Cornet (avec qui Udvardy joue en double), mais aussi de Dalma Galfi, Jana Fett, Katarina Zavatska, Natalia Vikhlyantseva etc… ont appris la nouvelle. Le Français raconte la « breaking news » : « On était dans la voiture et on suivait le tirage en direct sur le téléphone de Panna. Elle avait une oreillette et moi l’autre. Les noms sortaient les uns après les autres et pas le sien. Elle commençait à flipper que son nom n’y figure pas du tout et, en même temps, elle voyait le nom de Sabalenka se rapprocher et elle se disait limite « J’espère qu’ils m’ont oubliée ! ». Quand le verdict tombe, sa première réaction est celle d’une personne dégoûtée. Elle se dit qu’elle n’a aucune chance. En plus, alors qu’elle revenait de blessure avant Roland-Garros, elle recommençait là à vraiment bien jouer. Depuis quatre jours, elle jouait bien sur gazon. Elle avait explosé Sloane Stephens à l’entraînement, bref, les voyants étaient au vert pour passer un ou deux tours à Wimbledon. Mais ce qui l’a stressé le plus est qu’affronter une joueuse de ce calibre est synonyme de Centre court ou court n°1. »
La peur de ne pas bien faire devant toute la planète est forcément un peu stressant, surtout contre une fille comme Sabalenka, qui est capable de vous asphyxier et de vous battre en 40 minutes sans que vous ayez compris ce qui vous arrive.
On n’est pas loin du candidat à « The Voice » qui fait les quelques pas qui l’amènent à l’avant de la scène juste avant son audition à l’aveugle.
A partir de là, il fallait gérer les 72 à 96 heures qui les séparaient du coup d’envoi de ce match. Udvardy est une joueuse qui évolue principalement sur le circuit secondaire, elle n’est donc pas habituée à ce type de rencontre. C’est la première fois qu’elle affronte une joueuse aussi forte et, surtout, c’est un baptême (du feu) s’agissant de jouer sur un « show court » d’un tournoi du Grand Chelem. Fazincani explique comment son rôle de coach dans un cas comme celui-ci va bien plus loin que conseiller une certaine prise en coup droit ou un effet en deuxième balle : « J’ai bien vu qu’elle n’était pas bien. Alors je lui ai dit que je lui laissais la journée pour broyer autant de noir qu’elle le souhaitait, mais qu’après, on allait changer d’état d’esprit. »
Le reste de la journée, Bastien a passé son temps à dédramatiser au maximum. Chaque fois que sa joueuse faisait allusion au match, il sortait le bon mot de manière à en rire et faire baisser la tension au maximum face à quelqu’un proche d’affronter la peur de sa vie. On n’est pas loin du candidat à « The Voice » qui fait les quelques pas qui l’amènent à l’avant de la scène juste avant son audition à l’aveugle.
En revanche, dès le lendemain matin, la ligne éditoriale bascule. Le coach insiste désormais sur le discours intérieur que sa joueuse doit tenir : « Je lui ai dit « Fais attention, tout le monde va t’en parler, qu’il s’agisse de ton cercle proche, de la presse, d’autres joueuses ». Je lui ai répété un discours du genre « Si tu n’es pas confiante, ce n’est pas grave, mais tu fais semblant de l’être, en mode Fake it until you make it ». »
Pour se préparer à un tel rendez-vous, il est souhaitable de faire quelques séances d’entraînement sur un grand court. Le duo s’est évidemment tout de suite renseigné quant à cette possibilité. Ils sont tombés sur un refus à la limite du rire. Je vous rassure, Sabalenka a, quant à elle, bien pu fouler le Centre Court et y taper quelques balles, au même titre que les autres très grands. S’agissant d’Udvardy, elle a eu le droit de profiter du court n° 3 pendant une petite séance. Le 3 à Wimbledon est l’équivalent du court 14 à Roland-Garros. « C’est mieux que rien, mais on est à des années-lumière des conditions de jeu du Centre Court », lâche Fazincani. L’Antibois d’adoption a donc immédiatement mis en place une petite routine qui constituait à passer quotidiennement un quart d’heure en tribune sur le Centre Court et sur le 1. Ces moments permettaient de mieux prendre la température et l’ambiance de ces courts, mais aussi de mieux parler du match, permettre à la joueuse de mieux le visualiser.
Fazincani et Udvardy font le trajet qu’empruntent les uns et les autres lorsqu’ils se dirigent vers ce court mythique.
Arrive le matin du match et là, enfin, un peu de reconnaissance de la part du tournoi, qui organise une petite visite guidée des lieux pour ceux qui, comme Panna Udvardy, n’ont jamais eu la chance de fouler le gazon du Centre Court. Accompagné de l’ancien joueur et coach Jamie Delgado, officiant désormais comme consultant pour le AELTC, Fazincani et Udvardy font le trajet qu’empruntent les uns et les autres lorsqu’ils se dirigent vers ce court mythique : « On passe par un salon qui fait aussi office de musée avec de nombreux trophées, cadres dédicacés… Puis, on emprunte l'escalier qu’on voit les joueurs prendre le jour de la finale et on arrive sur le court. C’était vraiment bien, ç’a permis à Panna de se détendre un peu. Car elle se demandait vraiment comment elle allait faire pour trouver son chemin pour aller du vestiaire au terrain ! »
Pour la petite histoire, le matin du match, il pleuvait, comme toujours à Wimbledon, mais cette année même sur le Centre Court ! L’entraînement a donc eu lieu sur les courts couverts qui sont des terrains en dur et non pas en gazon ! Je vous rappelle qu’il s’agit du « meilleur » tournoi du monde… Passons.
Le moment du match arrive enfin. La dernière accolade se fait devant la porte du vestiaire, puis « les joueuses partent vers le court avec leurs accompagnateurs et moi, je prends la direction de la « box » joueurs qui, à Wimbledon, est très loin du court. J’ai dû traverser une grande foule et lorsque je suis enfin arrivé dans la loge, l’échauffement était déjà presque terminé », raconte Fazincani.
Une heure et deux minutes plus tard, Aryna Sabalenka s’était qualifiée pour le deuxième tour, après avoir battu Panna Udvardy 6-3 6-1. Le résultat est décevant pour le duo, mais l’expérience reste importante : « C’est toujours décevant de perdre, mais je trouve que Panna n'a pas trop mal joué. En termes d’attitude, c’était parfait et le match n’a pas non plus duré trois quart d’heure, ce qui peut facilement être le cas avec Aryna si elle est en chauffe. Mais je suis surtout content que Panna et moi ayons pu avoir cette expérience. Déjà parce que c’est quelque chose d’unique, et surtout parce que lorsque ça se reproduira, ça ne sera plus une première. »
Bastien Fazincani a fait ses classes à Sartrouville dans le club de tennis de son enfance. Il avait pour habitude, avec son BFF d’alors, de se faire un « McDo » après les grands matches par équipe. Mardi dernier, à la fin de son match, son pote lui a envoyé une photo de lui dans le dit fast-food et « Babasse », son nom de scène, lui a envoyé celle-ci. Beau clin d’oeil.
