Anecdotes de Coupe Davis

23 nov. 2025 à 12:04:00 | par Eli Weinstein

Aujourd’hui, dimanche 23 novembre, aura lieu la finale de la Coupe Davis entre l’Italie et l’Espagne. Il s’agit là du point d’exclamation qui vient sceller la saison de tennis. Depuis 1900, et le début de cette compétition, quel que soit son format, il s’y passe toujours des histoires insolites. En voici quelques-unes.

Qui de l’Italie ou de l’Espagne va soulever le Saladier d’argent, si cher aux cœurs des joueurs de tennis ? On le saura demain. On a déjà vécu une très belle semaine, mais le meilleur (on l’espère) est à venir. En attendant de passer une après-midi sur le canapé, à regarder la crème de la crème du tennis mondial s’envoyer sur le terrain, pendant qu’on avale du pop-corn (n’oubliez pas de mâcher) de manière frénétique, tout en se préparant à une période de déprime absolue sans tennis à la télévision, je vous propose de revenir sur quelques histoires/anecdotes qui ont accompagné ces finales à travers les siècles (ben oui, il y en a eu deux, alors camembert).

Du Noah dans le texte

Pour commencer, je vous propose une petite anecdote qui remonte à la finale de la Coupe Davis (by BNP Paribas à ce moment-là) entre la France et la Croatie, à Lille, en 2018. Il s’agit de la dernière finale de l’ancien format « home and away ». J’avais la chance d’être l’homme de terrain durant cet événement. De fait, j’étais assis juste derrière la chaise du capitaine français : Yannick Noah. J’entendais presque tout ce qui se passait sur le court, lorsque ce dernier échangeait avec ses joueurs aux changements de côté, ou bien lorsqu’il se levait pour parler à l’arbitre de chaise. Nous sommes dans le dernier match de la rencontre (à ce moment-là, on ne le savait pas encore, mais Marin Cilic allait donner le point de la victoire en battant Lucas Pouille). La France est menée 1-2 et les choses sont justement mal engagées pour Lucas Pouille qui est déjà mené d’un set et un break par Marin Cilic. Un point plus ou moins litigieux tourne en faveur des Croates, ce qui suscite une vague de colère (à base de mauvaise foi) de l’équipe de France et tous ses supporters. Noah se tourne et regarde son banc. Ils échangent rapidement, puis le « cap » se lève pour aller parler avec l’arbitre, James Keothavong. En raison de la bronca ambiante, il est impossible d’entendre ce que les deux hommes se disent. Un peu plus tard dans le match, un scénario quasi identique a lieu et, à nouveau, Noah se lève pour se rapprocher de l’arbitre et lui dire ce qu’il pense de cette décision… Je ne vous fais pas un dessin, mais autant vous dire qu’il ne paraissait pas vraiment satisfait.

Plus tard, beaucoup plus tard, j’étais à la soirée de clôture avec les deux équipes et toutes les personnes faisant partie de près ou de loin de l’organisation. Je discutais avec James, qui est un ami, et je lui demande : « Il t’a dit quoi Noah les deux fois où il est venu te voir pendant le match ? »

Et là, il me répond que la première fois qu’il s’est levé, il lui a juste dit : « On m’a dit qu’il fallait que je vienne te parler, alors me voilà. Mais je n’ai pas vraiment de chose à te dire… » Et la deuxième fois, il lui a demandé : « Comment est la météo à Londres en ce moment ? » Car James est anglais.

J’adore cette histoire. Dans les deux cas, Yannick Noah était un des seuls dans le stade (avec Lucas sans doute) à savoir qu’il n’y avait aucune raison de s’émouvoir des décisions arbitrales. Mais il savait aussi que se lever et faire semblant de ne pas être content calmerait les ardeurs des uns et des autres. Un peu de psychologie dans ce monde de brutes. Pour la petite histoire, James était mort de rire en me racontant tout ça.

Dan Evans roi d’la fête

En 2015, la Belgique recevait la Grande-Bretagne pour la finale de la Coupe Davis. La rencontre se disputait à Gand au « Flanders Expo », une grande salle d’exposition un peu comparable à la Porte de Versailles. L’équipe belge compte alors dans ses rangs David Goffin et un certain Steve Darcis, qui est l’actuel capitaine de l’équipe belge de Coupe Davis. Les Britanniques ont, quant à eux, la chance d’avoir pour cette rencontre Andy Murray dans leur équipe, ce qui leur permettra de remporter 2,5 points sur 3. La moitié restante était l’œuvre de l’autre Murray, Jamie, associé à son frère en double. La Grande-Bretagne remporte la finale 3-1, sans qu’il y ait vraiment eu match.

A l’issue de cette rencontre, plus ou moins à sens unique, toute l’équipe d’organisation, dont j’avais toujours la chance de faire partie (oui, je sais, je suis privilégié et j’en suis conscient), était conviée dans un pub, privatisé en ce dimanche 29 novembre. Ne manquaient que les joueurs pour que la fête batte son plein. Je vais tout de suite tuer le suspense : ils ne sont jamais venus. Ils ont préféré faire la fête ailleurs, entre eux, ce qui est tout a fait compréhensible. Néanmoins, alors qu’on n’en était plus à notre première bière (belge pour le coup), la porte du pub s’ouvre et Dan Evans, alors 6e joueur, qui n’avait pas foulé le court du week-end, fait son entrée. Au vu de sa démarche, on espère tous qu’il n’est pas venu en conduisant, car il est incapable de mettre un pied devant l’autre. Clairement, il avait entamé les hostilités auparavant et n’en était pas, lui non plus, à son premier godet. Il s’approche du comptoir, où j’étais solidement accoudé, et commence à payer des tournées. Au bout d’un (court) moment, il s’aperçoit (je ne sais toujours pas comment) qu’il n’avait plus de liquide et tend avec difficulté sa carte bleue à la barmaid. Celle-ci insère la carte dans le terminal et lui présente afin qu’il tape son code. Que nenni ! Evans n’était pas en état de taper quoi que ce soit, mais, en revanche, en était pleinement conscient. Il procéda donc tout simplement à l’énonciation de son code PIN à haute voix. Et évidemment tellement discrètement que tout le pub avait eu le loisir d’en profiter ! La scène était cocasse. J’ai même vu quelqu’un lui coller une petite claquette derrière la nuque. Avec zéro chance de se faire griller par Evans, dont le temps de réaction était d’à peu près 30 secondes pour se retourner et essayer de comprendre qui venait de « gifloter » l’arrière de son crâne. Il était alors classé aux alentours de la 200e place mondiale et ses plus beaux jours étaient encore devant lui. Avec un ami, également présent ce soir-là, on en rigole encore. Thanks, Dan !

Agassi relance Oakley

L’anecdote suivante n’a pas eu lieu en finale, mais au premier tour de l’édition 1992 de la Coupe Davis. Néanmoins, il s’agit d’une histoire qui concerne l’équipe des États-Unis, championne cette année-là, grâce à une victoire en finale face à la Suède.

Nous sommes donc fin janvier/début février 1992. Les 31, 1er et 2 pour être précis. Les États-Unis d’Agassi, Sampras, McEnroe et Leach reçoivent à Hawaï l’Argentine de Martin Jaite et Alberto Mancini. La rencontre est à sens unique, car les Américains réalisent un 3-0 qui les qualifie pour le tour suivant.

Mais là n’est pas le focus. Encore une fois, il s’agit de fête et de célébration. Je précise que cette fois-ci, je n’y étais pas. En revanche, j’ai mené l’enquête. Après avoir scellé la rencontre en dominant le double grâce à la victoire de McEnroe-Leach sur Frana-Miniussi, les futurs vainqueurs de la campagne 1992 décident de sortir pour fêter (dignement ou pas) leur qualification. Parmi les fêtards, il y a évidemment « Dédé », qui était rarement le dernier à profiter de ce genre d’occasion. Petit détail important : la règle veut que lorsqu’une équipe gagne 3-0, les deux matchs du dimanche, même s’ils comptent pour du beurre, doivent malgré tout être disputés, billetterie oblige ! Heureusement, ces matches ne sont alors plus joués en trois, mais seulement en deux sets gagnants. Je dis heureusement, parce qu’André Agassi n’était pas vraiment en état de jouer un match à niveau d’intensité professionnelle aux meilleurs des cinq sets, alors qu’il avait, la veille, bu avec une intensité pour le coup très professionnelle.

Pour ne pas avoir à exposer ses yeux encore très marqués de la veille, celui qui remportera Wimbledon quelques mois plus tard, décide d’enfiler une paire d’Oakley pour masquer sa mine des mauvais jours. Je cite volontairement le nom de la marque, parce que ce n’est pas anodin pour l’anecdote. Pour une raison qui reste à ce jour un mystère, Martin Jaite parvient à perdre ce match (sans doute parce qu’il voulait vite quitter Hawaï et rentrer chez lui). Pour une raison encore plus mystérieuse, André Agassi réussit à remporter ce match facilement, 7-5 6-3.

Mais l’anecdote arrive après. Car Tennis Magazine (version US) décide alors de mettre en une du numéro qui suit une photo d’Agassi en action durant ce fameux 5e match (qui était tout sauf fameux a priori) avec ses Oakley sur le nez. Et cette parution a pour effet ricochet de booster les ventes du lunetier qui, visiblement, n’allait pas très bien. On est quelques jours après la rencontre. Agassi est rentré chez lui et on sonne à sa porte. Un livreur lui demande de signer la réception d’un colis en provenance de Jim Jannard, patron d’Oakley. Il s’exécute, puis le livreur actionne la rampe automatique de l’arrière du camion et sort de celui-ci une « Dodge Viper » rouge. Le livreur donne les clefs de la voiture à Agassi et s’en va. Il s’agit d’un cadeau du patron d’Oakley, remerciant « Dédé » de lui avoir permis de relancer sa société. Comme quoi, il ne faut jamais banaliser une victoire, quelle qu’elle soit…

Encore Yannick

On est 1991, à Lyon (je n’y étais toujours pas). C’est la finale de la Coupe Davis. La France de Guy Forget et Henri Leconte mène 2-1 face à l’Amérique d’Agassi, Sampras, Flach et Seguso. Le miracle est déjà en marche avec la victoire de Leconte sur Sampras le vendredi. Puis les deux « Frenchies » sont venus à bout des géants du double Flach-Seguso en 4 sets. Rappelons que Leconte, trois mois auparavant, avait été opéré du dos pour la troisième fois, entamant ensuite un sprint de manière à être prêt fin novembre. Disons que ce n’était vraiment pas gagné et pourtant, il y est parvenu. Le seul point noir de cette entame de finale est la défaite de Forget face à Agassi. Ça ne passe pas, et malgré le résultat positif du samedi en double, Yannick Noah - encore lui (je suis fan et c’est moi qui choisis de qui je parle, donc c’est comme ça et pas autrement) ! - est tendu. Il sent bien que son joueur numéro 1 n’est pas dans les meilleures dispositions psychologiques à la veille d’affronter Sampras, qu’il avait pourtant battu en 5 sets, quelques semaines plus tôt, en finale à Bercy.

Tous ceux qui l’ont eu comme capitaine vous le diront : Yannick Noah a une force énorme dans la gestion de la psychologie. Certes, il ne fait pas un sans-faute, comme ce choix d’aligner Gasquet et Herbert pour le double de la finale en 2017. Ils ont quand même gagné ce match me direz-vous, mais il ne sont pas passés loin de la correctionnelle et on aurait pu être à 1-2, avant un Goffin-Tsonga le lendemain qui tournera en faveur du Belge...

Néanmoins, « Yann » est un guide, et ça, d’aucuns ne le contesteront. A ce sujet, je fais une aparté sur une scène que j’ai cette fois vécue lors de la demi-finale de Fed Cup by BNP Paribas (c’était le nom en 2018) perdue face aux États-Unis, à Aix-en-Provence. A l’issue de la rencontre, Noah a convoqué tout son staff et l’équipe dans les vestiaires pour leur faire un débrief en direct. Vingt minutes plus tard, ils sont tous ressortis avec les yeux rouges. Pas l’un ni l’une d’entre eux qui n’ait pleuré durant ce monologue du « cap ».

Mais revenons à Gerland, la veille de ce dimanche qui allait par la suite devenir magique.

Forget était tendu et Noah, son pote de toujours, le savait mieux que personne. Il voyait bien que la défaite du vendredi n’était pas digérée et avait très peur des conséquences sur son « Guitou », le lendemain, face à Sampras, alors 6e mondial. De fait, lui aussi était tendu et n’arrivait pas à trouver le sommeil. D’un coup d’un seul, pendant la nuit, il se dit qu’il allait faire de son mieux pour aider Forget. Il sort du lit qui, de toute façon, ne lui servait pas à grand-chose à ce moment-là, enfile un pantalon et une chemise et part dans Lyon. Il se retrouve rue Mercière, connue pour ses bars. Une espèce de « rue d’la soif » lyonnaise. Dans son élément, Noah commence à boire des coups avec des inconnus, tout en leur demandant de faire un maximum de bruit le lendemain pour aider Forget à dominer Sampras. Il raconte : « J’entre dans un premier bistro, je tombe sur des supporters, je commence à boire des canons avec eux et je leur dis : “Oui ! Faut encourager Guy ! Allez les gars, c’est pas gagné ! Faut y aller demain ! Faut pas le lâcher ! ” Et ainsi de suite, de troquet en troquet, j’ai fait toute la rue. Les gens étaient phénoménaux. Ils promettaient tous de donner de la voix comme jamais. Et le lendemain – franchement, j’en ai encore la chair de poule –, ils n’ont pas encouragé Guy : ils l’ont littéralement porté. Je n’ai jamais vu un joueur soutenu d’une façon aussi inconditionnelle. »

Noah terminera la nuit au petit matin, avant de rejoindre l’hôtel, de faire une sieste et de repartir pour Gerland. La suite, on la connaît, Saga Africa et compagnie. Merci Guy, merci Yannick.

Et surtout, merci la Coupe Davis pour tout ça.