La grande histoire de l'association de Yannick Noah
À l’écouter, Yannick Noah doit beaucoup à Arthur Ashe. En 1971, l’Américain – premier joueur noir à remporter un tournoi du Grand Chelem – est en tournée à Yaoundé. C’est sur l’un des rares courts de la ville qu’il échange quelques balles avec Noah, dont la famille franco-camerounaise est revenue sur ses terres d’origine quelques années plus tôt. « C’est grâce à lui que j’ai pu vivre mon rêve, relatait en 2017 le vainqueur de Roland Garros 1983 au média français Tennis Actu. Il a rapidement parlé de moi à la fédération, ici en France. J’y suis ensuite venu à l’âge de 12 ans, en sport-étude, il m’a conseillé, j’ai suivi sa carrière… C’était mon idole. C’était Arthur Ashe. » Un quart de siècle plus tard, c’est encore en se référant à son modèle que Noah lancera Fête le Mur en 1996, une association qui vise à introduire et pérenniser la pratique du tennis dans les quartiers populaires. L’initiative fait directement écho à la National Junior Tennis League, un programme initié par Ashe en 1969, qui prodiguait des cours de tennis aux enfants américains issus de milieux défavorisés. « J’ai toujours trouvé ça très chic, très beau… Arthur Ashe m’a encore inspiré, confiait encore Noah au média français Tennis Actu. Mon rêve, c’était justement de pouvoir développer le tennis dans les banlieues ici, en France. »
Si la balle jaune est au cœur du concept de Fête le Mur, la structure n’a jamais circonscrit son action à la seule surface des courts : l’association offre aussi bien des leçons et des raquettes aux enfants que des sessions de soutien scolaire, des vacances éducatives, ou encore des sorties culturelles. « On s’en fiche de former des cracks du tennis, ce n’est pas du tout l’objectif, explique la directrice générale, Séverine Thieffry, qui accompagne Noah sur le projet depuis sa création. Nous, on veut utiliser ce sport comme outil social. » Aujourd’hui présente dans plus de 130 quartiers et 70 villes en France métropolitaine, Fête le Mur a d’abord dû batailler pour continuer à exister : « On a ouvert nos deux premiers sites à Aix-en-Provence et Marseille, sans du tout avoir de moyens, poursuit Thieffry. Ça avait été financé directement par le conseil général. On a vraiment galéré les premières années… Je suis restée un an bénévole, et, début 1997, j’ai dû dire à Yannick : “Écoute, il va falloir que je trouve du travail, parce que là, je n’ai plus du tout d’argent.” » Coup de bol, à un an du Mondial en France, Google n’existe pas encore, l’Internet français est embryonnaire et la télévision reste le mastodonte médiatique incontesté. Fin janvier 1997, Noah, invité sur le plateau de l’émission 7 sur 7 d’Anne Sinclair, affiche son amertume quant à l’échec de Fête le Mur et au sort des banlieues : « Là-bas, il y a urgence, mais les jeunes n’entendent rien de plus que des promesses. Pour avoir souvent rencontré des hommes politiques, j’ai le sentiment qu’ils s’en foutent totalement. »
Son appel à l’aide sera entendu. « Progressivement, on a pu trouver des partenaires fidèles, confirme Séverine Thieffry. GDF Suez depuis 1999, BNP Paribas depuis 2000... Carrefour, la FDJ, Le Coq sportif, Babolat nous aident aussi depuis plus de 20 ans. » De quoi permettre à Fête le Mur de s’installer progressivement dans le paysage associatif. En 2005, ses cursus d’éducation par le tennis et ses pro grammes d’aide à l’orientation professionnelle, à la réussite scolaire et au développement du sport féminin lui permettaient même de se voir décerner l’agrément gouvernemental Jeunesse et Éducation populaire. Dès 2013, l’association inaugurait aussi sa première antenne outre-mer sur l’île de La Réunion, bientôt suivie de l’ouverture d’autres sites en Guadeloupe, à Mayotte et en Guyane. Six ans plus tard, elle devenait également lauréate de Tremplin Asso, un programme de subventions récompensant les structures actrices de la cohésion sociale dans les quartiers populaires. « Ça nous a vraiment propulsés, poursuit Séverine Thieffry. On a pu embaucher de nouveaux alternants, en CDD et CDI, par exemple. »
Yannick Noah, lui, n’aura jamais cessé d’empiler les kilomètres pour l’association, dont il aura inauguré de nombreux sites, visitant inlassable ment les sections locales, année après année.
Venu assister à Marseille au tournoi national de Fête le Mur en 2017, l’ex-numéro 3 mondial avait esquissé un bilan d’ensemble de ces plus de deux décennies d’engagement associatif : « Au début, les gens étaient un peu sceptiques. Et puis, ils sont surpris de voir que les gamins se comportent bien. Ils sont sympas. À travers le tennis, on essaye de les encadrer, de leur inculquer des valeurs. Les gosses sont bien. Ils sont très beaux. À la fin, la question que pose aussi Fête le Mur, c’est : qu’est-ce qu’on fait, en tant que citoyens, pour ces banlieues et ces gamins qui y vivent ? La banlieue, il y a trop de gens qui en parlent et qui n’y ont jamais mis les pieds. En parler, c’est bien, mais il faut y aller. Il faut agir. » Arthur Ashe n’aurait pas dit mieux.
Mon rêve, c'était de pouvoir développer le tennis dans les banlieues ici, en France