Bianca Andreescu : le conte défait

7 mars 2024 à 19:17:55 | par Mathieu Canac

En 2019, Bianca Andreescu se révélait à la face du monde en remportant Indian Wells à 18 printemps. Cinq ans plus tard, la voilà 145e mondiale, engluée dans des blessures à répétition.

« C’est une véritable ‘Cinderella story’ (un conte de fée à la Cendrillon) ! L’an passé, à la même période, je galérais avec mon tennis et mon physique, je jouais des tournois (ITF) 25 000 $ au Japon. Et maintenant – je peux dire le mot en ‘F’ ? – je suis la f-ing championne d’Indian Wells !  »

Le 17 mars 2019, Bianca Andreescu passait du statut de petit poucet à celui de nouvelle princesse du tennis. À 18 ans et neuf mois, la 60e mondiale, après avoir successivement vaincu Garbiñe Muguruza, Elina Svitolina puis Angelique Kerber, devenait la plus jeune joueuse à remporter le BNP Paribas Open depuis Serena Williams en 1999. Et la seule de l’histoire à le faire en tant que wild card. Solide. Encore plus en sachant qu’il s’agissait de son premier titre sur le circuit principal. Après avoir été ralentie par plusieurs longues blessures durant l’adolescence, elle avait fini par chausser ses bottes de sept lieues pour avancer à pas de géante.  

2019, année féérique…

Cette même année, début août, la Canadienne remportait un deuxième WTA 1000, riche en émotions, dans son pays natal, à Toronto. Un mois plus tard, elle faisait sa place parmi les reines du tennis en s’offrant la couronne de l’US Open. Au nez et à la barbe de l'impératrice Serena Williams, qui laissait passer sa dernière chance d’égaler le record absolu, toutes ères confondues, de 24 titres en Grand Chelem alors détenu uniquement par une Margaret Court Smith rejointe par Novak Djokovic en 2023. Mais revenons-en à nos moutons. Andreescu. Ou plutôt notre caméléon, tant elle est capable de s’adapter à n’importe quelle rivale. Une oasis au milieu du désert des jeux stéréotypés en puissance de l’époque.

Certes, la native de Mississauga aime mettre de l’intensité et lâcher des frappes intouchables grâce à son explosivité. Mais, véritable couteau suisse, elle sait aussi sortir le bon outil au bon moment. Amorties, lift, slices – y compris de coup droit –, lobs, changement des hauteurs et trajectoires, capacités défensives… Du fond de court, elle peut tout faire. Pour battre Kerber en finale à Indian Wells, elle n’avait pas hésité à marteler le revers de la gauchère allemande à coups de grandes balles hautes et bombées. « Oui, c’était le plan, avait-elle répondu en conférence de presse. Ce n’était pas non plus des ‘moonballs’ (des ‘ronds’), on n’est plus en U12 (sourire) ! Mais c’est vrai que ça y ressemblait parfois. »

…mais sans fin heureuse ; le début des galères

Un style varié, une capacité d'adaptation et une intelligence tactique qui a tourneboulé les meilleures de la planète dès son arrivée sur le circuit principal. Après ses huit premiers matchs face à des membres du top 10, elle comptait autant de victoires. De quoi voir en elle une potentielle future numéro 1 mondiale plusieurs fois sacrée en Majeur. C’est d’ailleurs avec un tennis varié similaire, mais encore plus complet grâce à davantage de qualités à la volée, qu’Ashleigh Barty s’est assise sur le trône de la WTA du 24 juin 2019 jusqu’à sa retraite surprise le 3 mars 2022. Un règne seulement interrompu quatre semaines par Naomi Osaka.

Seul hic, le physique de Bianca Andreescu est comme ce parquet d’une vieille maison à la campagne, la nuit, quand le silence impose sa loi : il craque beaucoup trop souvent (et fait tomber les esprits les plus créatifs dans des scénarios d’horreur rocambolesques). Depuis son triomphe de Flushing Meadows, elle n’a plus gagné le moindre tournoi. Parce que son corps l’empêche d’enchaîner les mois de compétitions et d’atteindre sa plénitude, en peinant trop souvent à endurer l’exigence du sport de très haut niveau.

« Je ne voulais plus entendre parler de tennis, je voulais vraiment arrêter ce sport »

Fin 2019, pour clôturer une saison commencée au 152e rang mondial et terminée au 5e, elle abandonne contre Karolína Plíšková lors de son deuxième match du Masters. Blessure au ménisque gauche. Fatal. Saison blanche en 2020. De retour en 2021, elle retrouve vite ses sensations. Très vite. Au point d’atteindre la finale du WTA 1000 de Miami face à Ashleigh Barty en avril, dès son troisième tournoi. Une reprise rêvée, qui vire au cauchemar. Chutant en se tordant la cheville en début de deuxième set, elle finit par jeter l’éponge. Censée reprendre à Madrid un mois plus tard, elle doit renoncer, frappée par le covid.

Plongée dans une spirale négative qui semble avoir découvert le secret du mouvement perpétuel, elle met fin à sa saison 2021 en octobre et ne commence la suivante qu’en avril en raison d’une blessure au dos. « Je voulais vraiment arrêter ce sport, confie-t-elle au Guardian fin août 2022. Je ne voulais plus entendre parler de tennis, ou de tout ce qui s’en rapprochait. Et puis, après trois mois, je me suis rendu compte que ça me manquait vraiment. J’ai besoin de ça (le tennis) dans ma vie. » Mais, semblant avoir fait un pacte avec son malheur plutôt que son bonheur, son corps la trahit de nouveau.

« Je crois fermement que mon niveau est top 10 »

En mars 2023, revenue à la 31e place de la hiérarchie planétaire après avoir été 121e dix mois plutôt, elle se tord la cheville gauche – encore à Miami ; ville maudite pour elle – et quitte le terrain en larmes, poussée dans un fauteuil roulant. Deux semaines plus tôt, elle avait montré de sérieux signes de montée en puissance, en s'inclinant seulement 6-3, 7-6 ¹ en 2h07 contre une Iga Świątek. Si elle reprend un mois après, elle connaît un nouveau coup dur durant l’été. La douleur « au (bas du) dos, à l’articulation sacro-iliaque pour être précise » ressurgit, et la contraint à déclarer forfait pour l’US Open. Depuis, la surnommée « Bibi » n’a toujours pas rejoué. Son dernier match remontant au 9 août 2023.

Mais celle qui pratique visualisation et méditation pour renforcer son esprit croit toujours en ses capacités. « Je crois fermement que mon niveau est top 10, et je suis toujours une gagnante de Grand Chelem, a-t-elle déclaré à The Canadian Press début août. 145e mondiale cette semaine, Bianca Andreescu a le jeu pour atteindre ses objectifs. À 23 ans, la Cendrillon d’Indian Wells 2019 peut encore espérer jouer plus d’une décennie. En se débarrassant des blessures pour s’écrire une fin de conte heureuse, plus proche de la version de Charles Perrault que de celle des frères Grimm.

 

 

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