#WeAre10nis Comment Novak Djokovic nous a appris à aimer

9 déc. 2021 à 06:00:00 | par Steven Oliveira

#WeAre10nis Comment Novak Djokovic nous a appris à aimer
Novak Djokovic
We Are Tennis fête ses 10 ans ! A cette occasion, nous vous faisons revivre cette décennie incroyable à travers une série d’articles sur les faits et joueurs qui ont marqué ces 10 dernières années.

Roi de la décennie, Novak Djokovic aura su compter, en plus de son talent, sur son plus proche conseiller : Pepe Imaz. L’Espagnol est à la fois une oreille attentive, un coach mental, un orateur et un Cupidon qui n’envoie pas de flèches mais des câlins pour propager de l’amour à ceux qu'il rencontre.

Il n’est jamais évident d’être le petit frère de l’un des meilleurs joueurs de tennis de l’histoire. Si cela n’a pas empêché Serena Williams de faire encore plus fort que sa sœur Venus, l’histoire a été différente pour Marko Djokovic, trois ans plus jeune que Novak. La preuve : quand le roi Serbe est bien installé dans le top 100 mondial dès l'âge de 18 ans, Marko, lui, traîne autour de la 1700e place à l'heure d'atteindre sa majorité. S'il arrivera finalement à grimper jusqu'au 571e rang mondial, le bilan final de Marko Djokovic sur le circuit ATP sera de quatre défaites pour... zéro victoire. Ce qui est peu. Rapidement conscient qu'il ne pourra jamais marcher sur les traces de son frère, grand roi de la décennie, il va alors traverser une longue phase de dépression, jusqu'à une rencontre avec un certain Pepe Imaz. Ancien tennisman professionnel, l’Espagnol a longtemps été considéré comme un joueur talentueux, mais aussi comme un type colérique et boulimique. Particularité du bonhomme : celui qui était 146e mondial en mai 1998 s’intéresse aux livres de psychologie et remplace les insultes par des câlins à lui-même. Cela fonctionne sur le court, où il va même faire un deuxième tour à Roland-Garros face à Carlos Moyá, avant de stopper sa carrière pour fonder à Marbella un mélange entre une académie et un club de tennis qui s’intitule Amor y Paz. Comme son nom l’indique, l’amour et la paix intérieure sont au centre de l’institution dans laquelle on n'apprend pas seulement à taper dans une petite balle jaune. C’est là-bas que Marko Djokovic s’est rendu en 2011, avant d’abandonner sa carrière professionnelle pour donner des cours à Amor y Paz, et c’est là-bas que Novak Djokovic a rencontré Pepe Imaz quelques mois plus tard, constatant l’impact bénéfique qu’a eu l’espagnol sur son petit frère. Son nom est pour la première fois sorti dans la presse en 2014, La Rioja le présentant comme « l’homme clé de la préparation de Djokovic au niveau émotionnel ». Depuis, Nole a remporté quinze nouveaux titres du Grand Chelem, portant son total à vingt, et a terminé à cinq autres reprises la saison avec le statut de n°1 mondial sur les épaules. Mieux : Djoko s’est canalisé et a appris à aimer.

Free hugs

Pepe Imaz n’est pas un coach mental comme les autres. Il ne se définit d’ailleurs pas comme tel. Il serait « juste un type qui dialogue » avec les joueurs. Thibaut Nilles, préparateur mental qui travaille notamment avec le Rugby Club de Massy Essonne, estime que ceci est pourtant la base du coaching mental : « Djokovic peut le contacter et discuter pendant quatre heures comme il peut l’appeler seulement cinq minutes et ça suffit. J’ai par exemple eu un joueur récemment qui jouait à 14h30 et qui m’a appelé le matin même de la rencontre car il avait juste besoin de parler. Il était stressé, il avait besoin d’être rassuré, d’extérioriser avec quelqu’un d’extérieur en qui il a confiance. Et c’est ce que fait Pepe Imaz. Il est à l’écoute, il laisse les athlètes s’exprimer et ça leur fait énormément de bien. L’athlète peut ainsi dire ce qu’il a envie en toute sécurité, en sachant qu’il ne sera pas jugé ou critiqué ». Chez Pepe Imaz, les discussions se transforment parfois en ce qu’il appelle la gymnastique de l’âme - « Les gens font attention à leur corps, leur alimentation, ils font du Pilates, du yoga, mais ils en oublient que l’âme aussi a besoin d’exercice » -, où les auditeurs se mettent en cercle et écoutent son monologue d’une heure les larmes aux yeux. L'échange se conclut ensuite par une session de câlins. Oui, les accolades sont la pierre angulaire de l’institution Amor y Paz. Avant la pandémie, des hugs concluaient même chaque séance d'entraînement.  Marko Djokovic en a fait l’expérience lors de son arrivée à Marbella au moment où Imaz a voulu le prendre dans ses bras : « Ça ne se faisait pas trop chez les Djokovic de dire aux gens qu’on les aime. La société nous a inculqué l’idée que laisser transparaître ses sentiments, c’est pour les faibles. Ça m’a fait un bien fou. Je peux même dire aujourd’hui que Pepe a changé ma vie. » Il a aussi visiblement changé celle de son grand frère, Novak, qui s’est aussi pris au jeu des câlins collectifs. Après sa victoire au Masters 1000 de Toronto, en 2016, le Serbe a ainsi proposé à chaque spectateur présent d’enlacer la personne à leur côté pour former un hug géant avant d’expliquer sa démarche en conférence de presse : « C’était vraiment un moment extraordinaire. Je sentais que c’était le bon moment pour demander poliment à la foule de faire ça. Parce qu’au final, nous sommes tous ici pour la même chose. Nous sommes tous ici pour se rejoindre à travers le tennis, à travers la passion du sport. » Il y avait eu les cœurs de Gustavo Kuerten dessinés sur la terre battue de Roland-Garros, il y a ensuite eu les câlins de Novak Djokovic.

L’importance de l’aide extérieure

Si l’apport de Pepe Imaz sur Novak Djokovic est difficilement quantifiable, le Serbe est toutefois beaucoup moins colérique que par le passé, même s’il lui arrive toujours de s’énerver de temps en temps. Aujourd'hui, il arrive mieux à canaliser ses émotions et peut ainsi rester dans son match. Il est évident que l’Espagnol y est pour quelque chose, amenant la question de l'accompagnement psychologique sur la table. Si la pratique n'est pas encore démocratisée en France, elle l'est davantage dans les pays anglo-saxons, où la préparation mentale est considérée comme essentielle. Plusieurs exemples peuvent être présentés. Les All-Blacks ont notamment fait appel à un préparateur mental, Gilbert Enoka, après le Mondial 1999. Ce dernier est aujourd'hui l'entraîneur adjoint de l'équipe néo-zélandaise de rugby. On peut aussi penser à Phil Jackson, l'homme aux onze titres NBA, qui était toujours accompagné d'un préparateur mental et faisait parfois faire de la méditation à ses joueurs dix minutes avant un match. Reste une constante : aujourd'hui encore, les athlètes aiment souvent se tourner vers une aide extérieure à la structure du club. Thibaut Nilles : « Parfois, ils se disent que s’ils vont voir le préparateur mental du club, qui est salarié du club, ce dernier va tout balancer aux entraîneurs. Ce qui n’est pas du tout le cas. Alors parfois ils sont plus en sécurité en allant voir quelqu’un de l’extérieur. L’athlète appelle alors quand il en a besoin, il est autonome. C’est une aide à la performance. » Pratiquant un sport individuel, Novak Djokovic n’appartient pas à proprement parler à un club, mais Pepe Imaz reste cette personne de l’extérieur qu’il va voir quand il en a besoin. Le Serbe l'a notamment fait après sa "crise de résultats" en 2017 et a parfois appelé son ange-gardien espagnol pour qu'il l'accompagne sur certains tournois.

Un besoin d’amour perpétuel

Le câlin n’est finalement qu’un moyen de donner de l’amour à un athlète. Et pour Pepe Imaz, l’amour est primordial : « J’en reviens toujours à parler d'amour, et alors ? Tu as bu de l'eau hier, et avant-hier aussi, je me trompe ? Bah l’amour est aussi vital pour l’organisme que l’eau. » S’il n’a pas encore demandé à ses joueurs de rugby de s’enlacer, Thibaut Nilles ne s’interdit pas de le faire à l’avenir tant il trouve la démarche intéressante : « Les joueurs ont besoin de ça, ils ont besoin d’amour. Beaucoup d’athlètes disent qu’ils n’ont pas confiance en eux, qu’ils manquent d’estime de soi, alors qu’en fait ils manquent d’amour. La préparation mentale, c’est d’abord la connaissance de soi, puis l’acceptation et l’amour de soi. Si tu ne t’aimes pas, tu vas avoir du mal à progresser. Donc si les câlins peuvent aider à ça, tant mieux. » Et si Novak Djokovic a désormais rejoint Roger Federer et Rafael Nadal au palmarès en Grand Chelem, le Serbe reste toujours le "mal-aimé" du trio. Au point de voir le public se retourner contre lui lorsqu’il affronte le Suisse à Wimbledon ou l’Espagnol à Roland-Garros. Nole fait tout pour être apprécié à sa juste valeur, mais cela ne suffit pas. De quoi expliquer l’importance des câlins de Pepe Imaz. Ancien numéro 1 mondial, Todd Woodbridge avait évoqué le cas Djoko chez Sky Sports : « Novak est victime de son obsession d’être aimé. Il considère qu’il est victime d’une injustice. Plus que de laisser les gens l’aimer, il recherche depuis longtemps l’affection de tous. Il veut constamment s’assurer que les gens l’encouragent et l’applaudissent plus que les autres. C’est un comportement bizarre de sa part. C’est un joueur incroyable, il n’a pas besoin de suivre cette voie. » Étonnament, c’est en montrant ses failles que Novak Djokovic a reçu l’amour de toute une enceinte. Et pas n’importe laquelle : celle du stade Arthur Ashe, qui n’est pourtant pas l’endroit où il est le plus adulé. C’était lors du dernier US Open. Bousculé en finale par Daniil Medvedev, usé mentalement et physiquement, au bord du précipice dans le troisième set, le Serbe a vu les spectateurs l’acclamer comme jamais auparavant. Ému, Nole s’est alors caché dans sa serviette pour verser quelques larmes : « C’est quelque chose dont je me souviendrai pour toujours. C’est la raison pour laquelle, au moment du dernier changement de côté, j’ai juste pleuré. L’émotion était si forte. C’est aussi fort que de gagner mon 21e tournoi du Grand chelem. C’est ce que j’ai ressenti, en toute honnêteté. Ils ont touché mon cœur. Oui, c’était juste merveilleux. J’ai ressenti quelque chose que je n’avais jamais ressenti de ma vie ici à New York. Le public m’a fait me sentir très spécial... » Comme quoi, Novak Djokovic est comme la chanteuse Lorie. Lui aussi a besoin d'amour et veut des bisous tous les jours. Heureusement pour lui, il pourra toujours compter sur Pepe Imaz.

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