Novak Djokovic fait (de nouveau) cancaner ses détracteurs

13 févr. 2021 à 17:36:00 | par Mathieu Canac

"C'est une des victoires les plus spéciales de ma carrière." Touché par une déchirure, Novak Djokovic est allé au bout de lui-même pour s'imposer 7/6 6/4 3/6 4/6 6/2 face à Taylor Fritz au troisième tour de l'Open d'Australie. Une victoire qui a déclenché une polémique. Héroïque pour ses fans, le numéro 1 mondial n'est qu'un fourbe simulateur pour ses détracteurs.

 

Une fois le verdict du court tombé, place à celui de la cour. D'assises. Sur le banc des accusés : Novak Djokovic. Depuis sa victoire épique face à Taylor Fritz au troisième tour de l'Open d'Australie, ses détracteurs, parfois plus inquisiteurs que juges, le taxent de simulation flagrante. Pour eux, ça ne fait aucun doute : sa blessure, c'est du flan. Rien qu'une vile stratégie visant à perturber l'adversaire. Lui faire croire qu'il est diminué, pour mieux le surprendre. Pourtant, au moment où le numéro 1 mondial prend son temps mort médical, tout va bien pour lui au tableau d'affichage. Bien que tendu, sur les nerfs à la fin d'une manche initiale remportée "seulement" 7/6 alors qu'il menait 5/2, le Serbe a le contrôle du match. Au moment du premier de ses trois appels au kiné, le score est de 7/6 6/4 en sa faveur et 2/1, sans break, pour l'Américain dans le troisième acte.

Ce serait un bien étrange choix que de vouloir volontairement casser le rythme à un tel moment. A priori, Djokovic est bien touché. "Tout se passait bien pour moi, puis, au début du troisième set, j'ai fait un mouvement rapide, explique-t-il à l'issue du match. En pivotant, j'ai senti une déchirure (au niveau du côté droit des abdominaux). Ça a été confirmé par le médecin." Diminué, il commence à grimacer, somber. Son adversaire revient à deux sets partout. Puis, dans l'ultime round, le revoilà frais comme un gardon. Les cachets font effet. 6/2 en 28 min. "Pendant le temps mort médical, je ressentais une énorme douleur, ajoute-t-il au micro d'Eurosport. J’hésitais à abandonner. J'ai pris la plus forte dose possible d'anti-inflammatoires." Étant donné le scénario du match, la blessure ne fait pas de doute. Mais, pour beaucoup, il l'a exagérée.

Si personne ou presque ne remet en cause les problèmes de dos dont Rafael Nadal parle depuis l’ATP Cup, le natif de Belgrade, lui, croule sous des suspicions pesantes à chaque pépin physique. Pourquoi ? À cause de son passif, sans doute. Depuis le début de sa carrière, le Belgradois gagne régulièrement des matchs en revenant de l’enfer. Au fil des ans, plusieurs joueurs lui reprochent d’en rajouter à ces occasions. 

"Il m’a fait un petit coup de bâtard lors du dernier US Open (2005). Il m’a bien fourré. Je m’en souviens encore. Il ne respirait plus, puis avait mal au pied, puis au mollet : ça passe moyen dans un cinquième set… Mais c’est oublié. Mine de rien, on s’entend bien." - Gaël Monfils, à Roland-Garros en 2006, au sujet du premier tour de l’US Open 2005 perdu 7/5 4/6 7/6 0/6 7/5, et marqué, entre autres, par une interruption de 12 minutes à 4/3 pour Monfils et 40-40 sur le service de Djokovic dans le cinquième.

"Il a mal aux deux chevilles alors ? Et à la hanche ? Et au dos ? Et des crampes. Et la grippe aviaire. L’anthrax. Le SRAS. Soit il a tendance à faire un peu trop appel au médecin, soit c’est le gars le plus courageux du monde. À vous de décider." - Andy Roddick, avant d’affronter Novak Djokovic en quart de finale de l’US Open 2008.

"Le troisième set a été frustrant, parce que je me suis laissé distraire quand il tombait presque au sol après ses frappes. Il semblait 'cramper'. Puis, à la fin de la manche, il s'est remis à glisser et courir dans tous les sens. S'il a simulé aux début des deuxième et troisième sets ? Je ne sais pas. J'espère que ce n'est pas le cas. Mais si c'était une crampe, la façon dont il a récupéré... C'est difficile de récupérer si vite puis jouer aussi bien qu'il l'a fait. Je suis frustré envers moi-même de m'être laissé perturber dans le troisième." - Andy Murray, après la finale de l’Open d’Australie 2015, où Novak Djokovic, vainqueur 7/6 6/7 6/3 6/0, a eu d'étranges pertes d’équilibre similaires à celles contre Juan Martín del Potro à Shanghaï en 2013.

"À chaque fois qu'il est en difficulté, il fait appel au soigneur. Je ne sais pas s'il a une douleur récurrente ou si c'est psychologique, mais à chaque fois qu'il est malmené, ça revient. Je savais que ça (le temps mort médical) arriverait à l’US Open (lors de leur quart de finale l’an passé), que ça arriverait ici ; et qu’il continuera à le faire dans le futur. Il le fait depuis des années.” - Pablo Carreño Busta, après sa défaite 4/6 6/2 6/3 6/2 face à Novak Djokovic en quart de finale de Roland-Garros 2020

"Vous avez vu le match comme moi. Il semblait avoir du mal dans les troisième et quatrième sets, puis il allait bien dans le cinquième, soyons honnête. Il était sur toutes les balles. Peut-être qu'il a réussi à surmonter sa blessure, je suis content pour lui s'il a pu récupérer aussi vite... Il avait l'air très bien dans le cinquième. Il bougeait bien, jouait bien. Je ne sais pas quoi dire. Vu comment il a joué dans le 5e, je ne vois pas de raison qu'il ne joue pas (le prochain match)." - Taylor Fritz, un brin désabusé, suite à son troisième tour de l’Open d’Australie perdu 7/6 6/4 3/6 4/6 6/2 contre Novak Djokovic.

L’accumulation de ces insinuations plus ou moins poussées donne matière à ses détracteurs pour cancaner. Mais, à moins d’avoir des pouvoirs dignes du Professeur Xavier, seul Djokovic lui-même sait s’il a exagéré ou non sa blessure contre Fritz. Et, au fond, peu importe. Simplement parce qu’il a le droit. Si on ne veut plus qu’un joueur puisse espérer stopper une dynamique en prenant un temps mort médical, il suffit d’interdire cette règle. En attendant, ça fait partie du jeu. Tout comme bluffer l’adversaire en lui laissant croire à un coup de moins bien pour entrer dans sa tête. Le tennis est un sport où l’aspect mental et psychologique est prépondérant. La ruse, sur le plan essentiellement pragmatique, n’est qu’un coup de plus pour tenter d’aller chercher la victoire. 

Chacun, selon sa philosophie et son éthique personnelle, verra en cette pratique une judicieuse tactique ou de l'antijeu indigne d’un champion. Mais, au niveau purement réglementaire, il est impossible de parler de “tricherie”. Quoiqu’il en soit, ce comportement supposément “truqueur” renforce chaque fois un peu plus le désamour de ses éreinteurs. Pour eux, Novak Djokovic est le méchant du film. Un rôle que ce dernier refuse d’endosser. Depuis toujours. “Peut-être aurait-il dû jouer son ‘personnage’ à fond, analyse Gilles Simon lors d’un entretien accordé à Paris Match fin novembre. On aurait aimé qu’il prenne le mauvais rôle.” Un point de vue partagé par John McEnroe. “Je pense qu’il devrait accepter d’être, en quelque sorte, le ‘méchant’", observe le gaucher sur Amazon Prime Video en 2019. 

Le tennis a besoin d'un vilain, d'un méchant. Daniil Medvedev a été capable d'accueillir ce rôle de méchant à bras ouverts, de transformer quelque chose de négatif en positif (pendant l’US Open 2019)”, ajoute l'Américain. Assumant sa “partie sombre” à New York, l’escogriffe russe avait fini le tournoi adulé du public. Ce dimanche matin, Djokovic doit affronter Raonic en huitièmes de finales sur la Rod Laver Arena. Si son corps le lui permet. “Je ne sais pas si je serai sur le court dans deux jours”, a-t-il lâché après son succès. “Une année, à Wimbledon, j’ai commencé avec un petit centimètre de déchirure (aux abdominaux), j’ai terminé le tournoi avec quatre, cinq centimètres et j’en ai eu pour quatre mois d’arrêt derrière”, a raconté Nicolas Escudé suite à la performance du Serbe sur Eurosport. Prenant la parole à son tour, Justine Henin a complété la pensée du Français : “Si on lui a annoncé pendant le match qu’il a une déchirure musculaire, c’était de la folie de poursuivre.” 

 

 

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