Le stress dans le tennis : l’ennemi intérieur

24 févr. 2025 à 18:36:37 | par Eli Weinstein

Le stress est inhérent au tennis. Le joueur ou la joueuse qui vous dit qu’il ou elle ne ressent pas de stress est sans doute en train de mentir. A moins qu’il ne s’agisse de l’exception qui confirme la règle. Onze joueurs ou joueuses sur dix vous confirmeront que le stress est omniprésent, du premier au dernier jour d’une carrière. A certains moments plus puissant qu’à d’autres, jusqu’au point où il peut vous mettre sur la paille. Témoignages.

« Avant la finale, j’avais très peur. J’ai pleuré de huit heures du matin jusqu’à midi. Impossible de m’arrêter. Je cherchais, mais je ne trouvais pas le courage pour aller disputer cette finale. Je suis allée voir mon préparateur mental et il a été très clair. Il m’a dit : « Si tu n’as pas envie d’y aller, n’y va pas. Pourquoi t’infliger ça ? Le tennis est un jeu. Jouer veut dire être forte, aller au-delà de tes limites, mais aussi prendre du plaisir. Tu dois sentir que tu es au bon endroit et dans les bonnes conditions. Donc ne t’inquiète pas et tout simplement, ne joue pas. Je lui ai répondu, stupéfaite et toujours en larmes : Comment est-ce que je peux ne pas jouer ? Il m’a laissée et m’a dit d’y réfléchir mais de ne pas m’inquiéter, que s’il fallait annuler, on annulerait. J’ai réfléchi, j’ai pensé à tous mes rêves et j’ai réussi à me remotiver. Et j’y suis allée… Ce n’est qu’à 6-4 4-3 break que, pour la première fois du match, j’ai vu le stade dans lequel je jouais. Avant cela, je ne sais pas où j’étais, mais pas sur ce court. »

En 2010, Francesca Schiavone est devenue la première joueuse italienne à remporter Roland-Garros. En finale, elle a battu l’Australienne Sam Stosur, qui était l’immense favorite. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Schiavone avait deux rêves dans le tennis : gagner Roland-Garros et devenir Top 10 mondial. Ce jour-là, elle a fait d’une pierre deux coups. Sauf que, à quatre heures du début du match, elle a failli ne même pas quitter son hôtel. Submergée par le stress, l’Italienne, qui avait donc l’occasion de réaliser le/les rêves de sa vie, était pétrifiée, pleurant telle la fontaine de Trevi. La réaction de son préparateur mental est sans doute ce qui lui a permis de finalement reprendre ses esprits, disputer le match et devenir une championne pour l’éternité.

George Homsi, préparateur mental ou coach en gestion des émotions, qui travaille notamment avec Arthur Cazaux, explique ce qu’a fait le « prépa mental » de Schiavone de la manière suivante : « Il a relativisé. Il lui a fait prendre conscience que victoire ou défaite, ce n’était pas la fin du monde. En disant ce qu’il a dit, il l’a obligée à se demander si elle était en capacité de se faire plaisir. Accepte de ne pas y aller si tu ne peux pas te faire plaisir. Et puis, ses larmes du matin étaient un signe qu’elle était en train de se mettre en condition, car pleurer est une façon d’évacuer le stress. Donc finalement, après avoir pleuré quatre heures, Schiavone avait effectué un gros travail d’évacuation et de conditionnement mental sans s’en apercevoir. »

 Venus Williams : « Le tennis est principalement mental »

On entend souvent dire que le tennis est un sport qui se joue avec les jambes, mais surtout avec la tête. Venus Williams, septuple vainqueur en Grand Chelem, disait : « Le tennis est principalement mental. Bien sûr, il faut avoir beaucoup de compétences physiques, mais on ne peut pas bien jouer au tennis sans être un bon penseur. Vous gagnez ou perdez le match avant même d'entrer sur le court. »

L’aspect mental est très lourd dans ce sport où l’on se retrouve seul face à son adversaire, à devoir sans arrêt être dans la recherche de solutions. Certes, aujourd’hui, le règlement permet de communiquer ouvertement avec son staff, mais cela reste tout de même limité. La grande majorité du temps, on est seul face au précipice, celui de la défaite, de la déprime, de la honte. 

Le stress est une réaction naturelle du corps face à une situation perçue comme exigeante ou menaçante. Plusieurs facteurs peuvent le déclencher dans la vie quotidienne : pression professionnelle, problèmes financiers, relations personnelles, événements de vie majeurs, santé… 

Si le tennis est souvent décrit comme un sport mental autant que physique, c’est que, sur le circuit professionnel, la pression est omniprésente : chaque match, chaque point, peut faire basculer une carrière. Ce stress est le fardeau numéro 1 pour les joueurs et joueuses. Ils vivent sous l’exigence constante de la victoire. Un mauvais tournoi peut impacter le classement, réduire les gains financiers et affecter la confiance en soi. Les attentes extérieures peuvent également être grande source de stress. On n’a pas envie de décevoir, qu’il s’agisse de l’entraîneur, de la famille, les fans, ou pire, les sponsors qui imposent des résultats pour la poursuite de l’aide financière. L’épuisement mental, en raison de l’éloignement des proches, ou encore la peur constante de la blessure, sont autant d’éléments qui peuvent et sont souvent déclencheurs de ce foutu stress.

Homsi explique : « Le stress, c’est la tension qui provient du fait qu’il y a quelque chose qui est important pour moi, mais que je ne maîtrise pas l’assurance de l’avoir. Je suis joueur de tennis, je suis stressé car j’ai besoin de gagner. En l’occurrence, besoin est synonyme de Je n’ai pas. Je suis dans le manque et je dois aller chercher à l’extérieur ce que je n’ai pas maintenant. A partir de là, j’ai une tension car je ne suis pas sûr de gagner. Mais je le veux vraiment, et comme je ne maîtrise pas tout, je suis tendu. »

Guillermo Coria : « Tout à coup, mon corps s’est retrouvé envahi de crampes »

Au-delà des larmes, le stress peut avoir une conséquence physique directe à la fois sur la qualité du tennis, mais aussi juste sur la capacité des muscles de fonctionner. En 2004, les deux Argentins Guillermo Coria et Gaston Gaudio s’affrontent pour le titre à Roland-Garros. Petite parenthèse pour dire que c’est la dernière finale avant 2024 où ne figure pas au moins un membre du « Big 3 ». Et sur les 19 finales qui ont suivi, Rafael Nadal en a remporté 14 (il n’a jamais perdu en finale…). Mais revenons à nos deux « gauchos » et cette finale folle de Roland-Garros 2004.

En entrant sur le court, Guillermo Coria est l’immense favori. En arrivant à Roland, il avait déjà en poche le titre à Buenos Aires, une finale à Miami, la victoire à Monte-Carlo et la finale à Hambourg (ATP 1000). Il était classé numéro 3 mondial. Son compatriote, quant à lui, n’avait que la finale de Barcelone dans son escarcelle en 2004, et il n’était même pas tête de série, avec une 44e place au classement mondial. Durant les deux premiers sets, cela s’est ressenti, avec un Gaudio paralysé par l’événement. Après une heure de jeu, le score était déjà 6-0 6-3 en faveur de Coria. Gaudio explique qu’il était submergé par la peur durant les deux premiers sets et qu’il était donc incapable de jouer correctement au tennis.

Gaston Gaudio n’aurait jamais dû gagner Roland-Garros en 2004. Face à lui se trouvait un joueur en maîtrise absolue de ses moyens. Mais au milieu du 3e set, Coria s’est mis à penser à la victoire : « Je suis devenu très nerveux à la moitié du troisième set. Je menais deux sets à zéro et j’ai commencé à me dire que j’étais proche de la victoire… J’étais en pleine confiance, mais je craignais les crampes. Et tout à coup, mon corps s’est retrouvé envahi de crampes », raconte-t-il. Il sentait que son adversaire retrouvait petit à petit ses moyens, tandis que lui se rapprochait petit à petit du Graal, mais sans y être encore. La finale bascule à 4-3 Coria dans le 3e set, lorsque le public lance une « ola » interminable à laquelle fini par participer Gaston Gaudio. Derrière sa ligne de fond de court, celui qui était surnommé « El Gato » (le chat) avait posé sa raquette et levait les bras à chaque fois que la vague lui passait dessus. Ce moment de décontraction absolue lui a permis de chasser toutes ses peurs. De l’autre côté du filet, Coria entamait quant à lui le début d’un cauchemar qui ne se terminera jamais.

Gilles Simon : « Bizarre ça, depuis quand je fais des aces ? »

Envahi par le stress, Coria est perclus de crampes. Il ne peut plus bouger, frapper, penser. Cet état de paralysie totale durera jusqu’au cinquième set. Ce n’est qu’ à ce moment que la partie s’équilibre enfin, mais le momentum est clairement du côté Gaudio. Malgré cela, Coria aura deux balles de match, mais sans réussite, et c’est bien Gaudio qui finit par s’imposer.

On est désormais en 2016, dans les vestiaires du court Arthur-Ashe. Court sur lequel s’apprêtent à rentrer Stan Wawrinka et Novak Djoovic pour s’affronter en finale de l’US Open. Pas la peine de refaire le CV de Novak Djokovic. Il est en revanche intéressant de savoir qu’à ce moment-là, Stan Wawrinka est double champion en Grand Chelem et a gagné ses dix dernières finales sur le circuit. Et pourtant, il raconte qu’avant la finale, il était nerveux comme jamais il ne l'avait été auparavant : « Dans le vestiaire, je tremblais. Cinq minutes avant le match, quand Magnus (Norman, son entraîneur) a commencé me parler, je me suis mis à pleurer. J'étais complètement secoué. »Ce sentiment ne l’avait pourtant jamais gagné avant ça : « Après ma demi-finale contre Nishikori, je me sentais super bien, a-t-il expliqué ce jour-là. Hier (entre la demi-finale et la finale), je me sentais très bien aussi, j'étais content, tout allait bien. Mais ce matin (dimanche matin de la finale), j'ai commencé à avoir ce sentiment, celui que tu as quand tu ne veux absolument pas perdre. Venir sur le court pour une finale de Grand Chelem, être si près et si loin à la fois, c'est pour ça que j'étais aussi nerveux. C'est aussi bête que ça. »

Contrairement à Coria, ce sera un « happy end » pour Wawrinka, mais il est « pile poil » dans ce qu’évoquait Homsi : « Pourquoi je suis stressé sur un court de tennis ? Parce que mon bonheur ne viendra qu’avec l’acquisition de la victoire. De fait, je mets mon bonheur en dehors de moi. Et la clef pour cela est d’arriver sur le court en ayant déjà ce que je veux. » Ce jour-là, fort heureusement pour lui, Stan Wawrinka avait des certitudes : « Mon physique était là, je savais que mon jeu était là et que j'allais avoir une opportunité de gagner ce match. » Ses certitudes se sont avérées au final encore plus puissantes que son stress et lui ont permis de s’en débarrasser. Pourquoi ? Car il s’est concentré sur ce qu’il avait et non pas sur ce qu’il voulait.

Vers la fin de sa carrière, Gilles Simon, qui a été 6e meilleur joueur mondial, qui a remporté 14 titres sur le circuit, qui a disputé des quarts de finale en Grand Chelem, qui a remporté plus de 500 victoires en carrière, avait un souci de lancer de balle. Le lancer de balle est un geste que les joueurs répètent sans doute des centaines de milliers de fois dans une carrière. C’est quelque chose qu’ils sont capables de faire les yeux fermés, littéralement. Mais lorsque soudain le stress vient s’insinuer, alors tout devient difficile, même le lancer de balle.

On est à Parme pour un tournoi « covid » qui s’est monté lorsque l’ATP cherchait à combler les trous dans le calendrier en raison de la pandémie. Simon joue Pedro Martinez au premier tour. Les deux joueurs sont certes programmés sur le central, mais en l’occurrence devant dix personnes grand max. Le Français sert le premier. Il attaque par un ace et, au lieu de se réjouir, se dit : « Bizarre ça, depuis quand je fais des aces ? » A 15/0, Simon sert une première/deuxième par souci de ne pas vouloir servir une deuxième balle. Le retour de Martinez n’est pas maîtrisé et retombe en coup droit penalty pour Simon. Les jambes déjà très lourdes (le match a démarré depuis 1 point), il parvient tant bien que mal à atteindre la balle, mais ne parvient pas à faire mieux qu’un coup droit qui vient mourir au milieu du filet. A 15/15, sa première balle est faute. Sur sa deuxième, il est tellement envahi par le stress qu’il en lâche sa raquette au moment de l’impact. Le score est maintenant de 15/30. Le match a démarré depuis 4 minutes et le Niçois est déjà à 180 pulsations minutes et n’arrive plus à voir clair. Il concédera ce premier set 6-0, puis 6-4 au deuxième en retrouvant un peu ses esprits.

Le vrai souci pour Gilles est que Roland-Garros était au prochain arrêt et qu’il allait sans doute se retrouver sur un (très) grand court, devant « 10 000 » (comme il dit), avec la possibilité de ne pas pouvoir servir une deuxième balle. Homsi rappelle que la honte est « un élément déterminant dans le déclenchement du stress. L’idée du jugement des autres est très perturbante pour le perfectionniste qu’est le joueur de tennis. Il sait qu’il sera jugé par son entraîneur, par le public, par ses proches, par les téléspectateurs… Bref, autant de regards que le joueur ne souhaite pas décevoir. Au final, le résultat est totalement inversé. Mais la réaction est naturelle. On peut comprendre qu’avoir peur de se « ridiculiser » devant la planète entière peut générer du stress. »

Gilles Simon a perdu son premier tour à Roland-Garros en 2021 face à Marton Fucsovic 6-4 6-1 7-6(5). « Ça ne s’est pas aussi mal passé que je le craignais, raconte le Français. Je pense même que si je gagne le tie-break du troisième set, il peut ensuite se passer un truc… »

Alizé Cornet : « J’ai souvent eu envie d’arrêter le tennis à cause du stress »

On est en 2012 à l’US Open, Mardy Fish a battu au 3e tour un certain… Gilles Simon (la transition est toute faite) et l’Américain, comme il dit lui-même, va disputer « le plus grand match de ma vie, un huitième de finale à l’US Open, un jour férié, le jour de l’anniversaire de mon père, sur le court Arthur-Ashe, sur CBS et face à Roger Federer ! ». Durant le match face à Gilles, Mardy Fish a subi, pour la première fois pendant un match, une crise de panique. Il y était habitué depuis quelque temps, mais jamais pendant un match. A un changement de côté dans le dernier set, il regardait l’heure et a lu 1:15 du matin. Il s’est mis à paniquer en se disant qu’il allait gagner le match, puis qu’il allait devoir se rendre en conférence de presse, faire ses soins, manger, se coucher très tard, être fatigué le lendemain. Autant de pensées qui ont fait qu’il ne se souvient plus de rien entre ce moment-là et le moment où il s’apprête à répondre à une question en conférence de presse. Le match, il l’a gagné, sans savoir comment, pourquoi… Le problème est qu’il sait qu’il ne peut pas rejouer dans ces conditions et il n’a qu’une crainte, qu’une pensée, qui le hante à chaque seconde depuis cet incident : que cela se reproduise au prochain match. Et le prochain match, on sait ce que c’est. 

Dans la voiture qui l’amène au stade pour affronter « Rodge », Mardy Fish enchaîne les crises de panique. Toutes les quinze minutes, son coeur s’emballe sans qu’il puisse le contrôler. Il raconte : « Ma femme me répétait : Ne joue pas, tu n’as pas besoin de jouer, ne joue pas. Je l’entendais, mais je ne l’écoutais pas. Puis d’un coup, sa parole a atteint mon cerveau. Et j’ai immédiatement décidé de ne pas jouer. Pour la petite histoire, il a quasiment fallu attendre trois ans avant que je rejoue. »

Ce stress est tellement puissant qu’il a eu le meilleur de l’Américain. Lorsqu’il refuse l’obstacle, Mardy Fish a 30 ans. Tout le travail, tous les sacrifices qu’il a pu faire dans sa vie l’avaient été précisément pour ce moment. Sa vie entière a été tournée autour de la venue de ce jour et pourtant… Foutu stress.

Pour Alizé Cornet, le stress est « une des raisons principales pour laquelle j’ai arrêté ma carrière ». Au cours d’une conversation téléphonique, Alizé m’a expliqué son ressenti : « J’ai toujours adoré le tennis et je me rendais bien compte que je pouvais faire de ma passion mon métier. Mais cette cohabitation permanente était trop pénible. Ça arrive à son pic les jours de match, mais c’est un stress permanent. L’angoisse permanente de la blessure, de ne pas y arriver, de ne pas être à la hauteur. Et les jours de compétitions, s’ajoute à cela le stress de perdre, de ne pas voir ses efforts récompensés. Et tout ça, c’est en permanence, vu que nous, les joueurs de tennis, on a la chance mais aussi la malchance d’avoir des tournois toutes les semaines, et par conséquent d’avoir cette relation avec le stress tout le temps. »

Alizé a commencé sa carrière à 15 ans. Elle s’est fait connaître aux yeux de la planète tennis avec ce fameux match perdu face à son idole, Amélie Mauresmo, au deuxième tour de Roland-Garros, sur le court Suzanne-Lenglen. C’était en 2005. Notre conversation a eu lieu il y a quinze jours, soit vingt ans plus tard ! Et pourtant, lorsque je lui demande si ce sentiment s’est atténué au fil des années, elle me répond : « J’ai souvent eu envie d’arrêter le tennis à cause du stress. J’avais envie d’une vie « normale » sans stress au quotidien. Ces peurs, avec lesquelles on vit chaque jour, sont épuisantes. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a énormément de joueurs et de joueuses qui entrent en dépression. A un moment donné, l’être humain n’est pas fait pour vivre avec un tel niveau de stress permanent. J’ai toujours eu cette croyance de me dire que lorsque j’arriverais à la fin de ma carrière, je serais beaucoup plus apaisée. Que mes deux dernières années ne seraient que du bonus, que je serais sur le court juste pour le fun… Mais c’était complètement une chimère. Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Jusqu’à la dernière seconde, j’avais la même boule au ventre en entrant sur le court. Tout pareil que quand j’avais vingt ans. C’était hyper décevant de voir qu’il n’y avait aucune amélioration au bout de 20 ans de carrière. La leçon est que si on ne trouve pas de solution mentale pour mieux vivre, alors ces émotions ne disparaissent pas comme par magie parce que c’est la fin. » 

J’ai demandé à Alizé si elle pouvait me raconter un moment où le stress s’était manifesté de façon très clair, avec une incidence directe sur une performance. Il a fallu qu’elle fasse d’abord le tri vite fait, avant de trouver un exemple marquant : « Il y a plein de moments dans ma carrière où j’ai senti que je perdais pied pendant les matches à cause de ça. Mon degré très élevé de combativité m’a plus ou moins permis de lutter contre cette perte de moyens, mais il y a des fois où ça l’emportait. J’étais sur le court et je n’arrivais plus à respirer. La dernière en date est quand je me suis rendue à Andorre pour disputer un 125 K (catégorie de tournoi WTA). C’était fin 2023. Je jouais mon tableau final pour l’Open d’Australie 2024. Je n’étais pas encore sûre d’avoir la wild card (la FFT et Tennis Australia ont un accord d’échange de wild cards pour leurs Grands Chelems respectifs), et je voulais absolument passer le cut pour ne pas avoir à la demander et y aller par mes propres moyens. Il suffisait que je gagne ce match (demi-finale du tournoi face à Marina Bassols Ribera). Je suis arrivée sur le court et je n’ai pas pu jouer au tennis. J’étais complètement tétanisée. En tribunes, s’ils étaient cinq, c’était le bout du monde. D’ailleurs, pour moi, le stress n’a jamais eu aucun rapport avec le nombre de personnes qui me regardaient jouer. Au contraire même. Pour moi, ç’a toujours été l’enjeu qui m’a tétanisée. Et là, donc, impossible de jouer sur ce match. Comme je l’ai dit, j’étais tétanisée, respiration bloquée, crise de panique, la totale quoi. Evidemment, je perds en deux sets (6-4 6-2). Au moment où ça arrive, sur le court, tu relativises et tu te dis : Pourquoi je me mets dans des états pareils? Ça n’a pas de sens. Il y a quand même une partie rationnelle, tu ne perds pas complètement pied à te rouler par terre comme un enfant de cinq ans. Je me disais : Mais ressaisis-toi, ce n’est qu’un match de tennis, tu ne vas pas mourir. Et après le match, c’est affreux, car il y a la désillusion d’avoir complètement raté le rendez-vous, et surtout la manière dont tu l’as raté. Perdre, c’est une chose, mais en te sabordant comme ça, c’est le pire à vivre. »

Au-delà des crises de paniques sur le court, de l’angoisse d’avant-match, de la peur de ne pas être au rendez-vous, de ne pas atteindre l’objectif, Alizé subissait un malaise permanent, celui du manque de sommeil. Elle raconte : « La façon dont le stress s’est exprimé le plus durant ma carrière, c’est que j’ai été très sujette aux insomnies. C’était un truc au long cours. J’ai eu des gros, gros problèmes de sommeil et j’ai su, après coup, que c’était dû à ce stress au quotidien. La petite anecdote est que je n’ai quasiment pas dormi de ma carrière. J’ai très, très peu dormi durant ma carrière à cause de ça. J’ai pris ma retraite à Roland-Garros, ça fait donc neuf mois et depuis, je n’ai plus jamais fait une nuit blanche, je n’ai plus jamais fait une insomnie. C’est là que tu vois que psychologiquement, le tennis est un truc de fou. »

Effectivement, le tennis est « un truc de fou », comme dit Alizé. Tous ces joueurs y ont laissé de sérieuses plumes. Certains ne pouvaient plus jouer, d’autres ont fait des dépressions, mais heureusement, ce n’est pas le cas pour tous. Les puristes avancent, et dans ce cas, je pense qu’ils ont raison (pas que je me prenne pour un puriste, loin de là), que c’est ce qui fait la beauté de ce sport. Bien entendu que cela joue énormément sur la dramaturgie d’un match. Dans le cas de Mardy Fish, c’est trop, mais d’aucuns disent qu’une des plus belles finales de Roland-Garros, depuis maintenant 20 ans, est bien ce jour de juin 2004, lorsqu’à la fois, mais chacun son tour, Gaston Gaudio, puis Guillermo Coria ont été attrapés, broyés, puis rejetés par ce stress si puissant et difficilement évitable. Se retrouver tout seul face au précipice de la défaite est si difficile, mais à la fois si bon lorsqu’on ne tombe finalement pas.

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