Frances Tiafoe est le vrai « American Dream »

2 sept. 2024 à 14:48:30 | par Eli Weinstein

L’Américain Frances Tiafoe s’est qualifié, dans la nuit, pour les quarts de finale de l’US Open 2024, en battant Alexei Popyrin en quatre sets. Le natif de Hyattsville, dans le Maryland, juste à côté de Washington DC, est donc présent pour la troisième fois de suite en quart de finale à New York. Sa présence parmi l’élite ne tient pas du miracle, mais il s’agit là bel et bien de l’« American Dream » en chair et en os.

Frances Tiafoe est l’un des huit quart de finalistes de l’US Open 2024. L’Américain s’est qualifié en dominant le tombeur de Novak Djokovic, Alexei Popyrin, en quatre sets. 

Avant cela, il s’était défait, en cinq sets cette fois, de Ben Shelton à l’occasion d’un combat fratricide de plus de quatre heures.  

Pour atteindre les demi-finales, et égaler son meilleur résultat à New-York (demi-finale face à Carlos Alcaraz en 2022), il faudra réaliser un autre exploit avec, de l’autre côté du filet, un certain Grigor Dimitrov au sommet de son art Les deux hommes se sont déjà affrontés à trois reprises sur le circuit (je refuse de compter leur rencontre à la Laver Cup comme un match officiel), et le Bulgare mène 2-1.

Mais assez parlé de tennis ! Je voudrais profiter de cette occasion pour vous raconter l’incroyable histoire de Frances Tiafoe. 

Il est né en 1998 à Hyattsville - Etat du Maryland -, dans la banlieue de Washington DC. Ses parents, Constant et Alphina, étaient arrivés aux Etats-Unis deux ans auparavant, en provenance de leur pays de naissance : le Sierra Leone. Situé sur la côte ouest africaine et calé entre la Guinée et le Liberia, le Sierra Leone est un pays où plus de 60% de la population vit avec moins de 1,25 dollar par jour, avec des taux de chômage et d’analphabétisme très élevés. La guerre civile y faisait rage depuis 1991. Je ne vous fais pas un cours de géopolitique sur le Sierra Leone, mais vous aurez vitre compris pourquoi Constant et Alphina ont souhaité quitter leur terre natale pour se rendre dans le pays où « tout est possible ».

Les deux garçons passaient des heures dans un club de tennis et non dans les rues d’un énième ghetto.

C’est ce qu’ils ont donc fait (séparément) en 1996. Deux ans plus tard, après s’être rencontrés, ils étaient installés précairement dans le Maryland lorsque sont nés Frances et son frère jumeau Franklin. Le père des garçons avait décroché un job sur un chantier au Junior Tennis Champions Centre à College Park (une ville du Maryland). Une fois le chantier achevé, il a été embauché comme gardien principal du complexe. Ce job, toujours rémunéré faiblement, lui réclamait en revanche plus d’heures sur place. C’est pourquoi il s’est installé une chambre dans un local de stockage. Pendant ce temps-là, Alphina travaillait quant à elle comme infirmière et faisait beaucoup d'heures de nuit. Résultat, Frances et Franklin passaient beaucoup de nuits avec leur père, dans la pièce de stockage reconvertie en un studio occupé par trois personnes, dont deux enfants de trois ans… Dans cette pièce, il y avait deux tables de massage : l’une utilisée pour dormir par Constant et l’autre partagée par les deux petits. Les conditions de vie étaient, certes, loin d’être idéales mais la conséquence directe était que les deux garçons passaient des heures dans un club de tennis et non dans les rues d’un énième ghetto. 

S’il n’était pas à l’école, Frances avait l’habitude de s’asseoir sur un banc (duquel ses pieds ne touchaient même pas le sol) devant le court où avaient lieu les entraînements des grands. Il n'en ratait pas une miette. Il écoutait tout, mémorisait tout. Puis, une fois l’entraînement terminé, il prenait sa balle et sa raquette et allait reproduire tout ce qu’il venait d’apprendre face au mur d’entraînement.

Comme il aime le répéter lui-même, Frances était « un petit garçon noir tombé amoureux d’un sport de blancs ». Il parvient ensuite à passer enfin de l’autre côté du grillage, mais la vie n’y est alors pas forcément plus facile. En raison de sa pauvreté, il est moqué par les autres enfants, à base de « Pourquoi tu portes le même t-shirt tous les jours ? », ou encore « Ton gros orteil dépasse de ta chaussure, il faut que tu t’en rachètes une paire ! ». Frances n’en avait pas les moyens et les autres le savaient pertinemment.

A huit ans, alors que les deux frères étaient en âge de commencer à comprendre qu’ils n’avaient pas la même vie que les autres enfants du club - qui étaient pour la plupart souvent déposés en Rolls Royce avec chauffeur -, ils ont accompagné leur maman à un mariage au Sierra Leone. Ce voyage a été, comme on dit aux « States », un « game changer ». Il a eu pour effet d’ouvrir les yeux de Frances qui s’est rendu compte que sa vie n’était pas si misérable que ça. Il a tout de suite compris que, contrairement aux membres de sa famille, lui était de nationalité américaine et, de fait, avait des opportunités qu’eux n’auraient jamais.

Comment s’opposer à une telle passion d’un pré- adolescent ?

Plus déterminé que jamais, Frances passait de plus en plus de temps au club et cela, Misha Kouznetsov (un des coaches du club) l’a remarqué dès son premier jour en 2006. Il se souvient que lorsqu’il arrivait le matin, Frances était là. Lorsqu’il partait le soir, Frances était là. Il était tout le temps là. Alors Misha l’a pris sous son aile. Au départ de leur association, Frances n’était pas plus fort qu’un autre enfant de huit ans, mais il était omniprésent ce qui permettait à Misha de l’entraîner autant qu’il le souhaitait. Trois mois plus tard, le coach inscrivait le jeune Frances à des tournois et ce dernier battait les joueurs non seulement de sa catégorie d’âge, mais également au-dessus. 

Cet homme, qui a entraîné Frances jusqu’à l'âge de 17 ans, a tout lâché pour lui. Il l’amenait à tous les tournois, payait ses inscriptions, car il avait compris avant tout le monde que Frances avait les capacités de devenir joueur de tennis professionnel. Et c’est à l'âge de douze ans que « Big Foe », comme il est dorénavant surnommé sur le circuit, annonça à ses parents qu’il voulait devenir tennisman pro. Pas vraiment ce qu'ils avaient en tête pour lui, mais comment s’opposer à une telle passion d’un pré- adolescent ? 

A 14 ans, il voyage à l’étranger pour disputer des tournois. L'année suivante, il devient le plus jeune à remporter le prestigieux Orange Bowl. A 16 ans, il est invité à être sparring de Rafael Nadal avant Roland-Garros et, quelques mois plus tard, il reçoit une wild card pour les qualifications de l’US Open. Il passe professionnel et fait ses débuts en Grand Chelem en 2015 à Roland-Garros, où il obtient une wild card dans le cadre des échanges d'invitations entre tournois du Grand Chelem. En disputant ainsi le tableau final parisien à 17 ans, il égalise le record de précocité américain de Michael Chang et Pete Sampras à Roland-Garros.

La suite, on la connaît. Il a déjà intégré le Top 10 une fois. Il est aujourd’hui 20e mondial. Il a trois titres à son actif. Il a disputé plus de 30 tableaux finaux en Grand Chelem et s’était déjà hissé une fois en demie et deux autres fois en quart avant cette quinzaine new yorkaise. Il n’est pas loin de 12 millions gagnés en prize money. Et il pourrait être un des quatre derniers qualifiés à l’US Open 2024. 

Même Tiafoe le dit lui-même : « Je ne devrais pas être ici. Je suis allé à l’encontre de grosses cotes pour arriver où je suis aujourd’hui. »

Et pourtant, il est là. Comme quoi, l’« American Dream » est bel et bien réel.

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