Gillou,
Oui, je me permets de t’appeler ainsi, car j’ai eu la chance de suivre ta carrière, en grande partie, sous mes yeux. J’étais à Shanghai quand Novak t’a prêté (ou donné, on ne le saura jamais) ses chaussettes, la veille de votre affrontement en quart de finale du Masters 1000.
Tout comme j’étais à Ostrava pour tes débuts, un peu manqués, en équipe France de Coupe Davis. Ta 2e victoire à Marseille, face à Gaël, 7-6 au 3e et le « kebab » gagné, ton match sur une jambe à Bercy contre Ljubicic, lorsque t’arrives à le battre à coup d’amorties (pourtant pas ta spécialité)... Je me souviens de tout ça comme si c’était hier. J’ai tellement d’autres exemples en tête, même des histoires inracontables, mais à un moment donné, il faut passer à autre chose, un peu comme ce que tu fais maintenant.
Comment oublier la finale à Madrid ?
L’idée n’est pas de retracer toute ta carrière, ça serait bien trop long. Mais comment ne pas prendre un peu de temps pour parler de cette incroyable année 2008 ? C’était une année de mutant, durant laquelle t’as joué 78 matches. Tu remportes le titre à Casablanca où tu bats quatre joueurs français en cinq matches, en privant au passage Julien Benneteau d’un des dix titres qu’il a loupés. Ensuite, tu t’envoies Indianapolis et enfin, Bucarest pour finir. Mais tu fais aussi une demie à Toronto, où tu bats Roger Federer, la première de tes deux victoires face à lui en 2008. Tu atteins aussi les demies à Rotterdam. Et comment oublier la finale à Madrid qui se jouait alors en indoor ? Cette semaine-là, t’as tout de même battu Blake (11e), Andreev (20e), Karlovic (21e) et surtout Rafael Nadal, qui était donc « el numero uno ». Un match de ouf ! Avec ce challenge sur balle de match qui t’ouvre les portes de la finale.
Evidemment, l’année 2008 s’achève pour toi en feu d’artifice avec une première qualification pour le Masters. Une victoire sur Roger Federer en match de poule (la fameuse seconde) et cette cruelle défaite face à Novak Djokovic en demi-finale, avec ce passing court croisé qui méritait tellement mieux.
Au-delà du joueur que tu étais, c’est le bonhomme dont j’aimerais parler un peu. Tu sais que tu n’es pas comme les autres. Tu es clivant et tu ne laisses jamais insensible. Tu as d’ailleurs fait des sorties médiatiques qui, elles non plus, n’ont pas laissé les gens indifférents.
Avec les commentateurs, tu n’as pas non plus toujours été tendre, mais cette pratique d’auto-défense est clairement un mécanisme de protection rapprochée que tu as mis en place. Evidemment qu’il y a eu des fois où tu as pu grandement m’énerver (tout comme, de mon côté, j’ai pu t’agacer plus d’une fois). Mais lorsque je repense à tous les échanges que j’ai eus avec toi, à l’image du dernier en date, sur le court, au Challenger de Pau, après ta victoire sur Ruben Bemelmans, quand je t’ai dit qu’a ton âge tu commençais à avoir une sacrée expérience et que tu m’as répondu « toi aussi ! », j'avoue que ça me plaît ! J’aime ton côté taquin, hyper cynique, cassant, mais aussi sympa. En fait, en repensant à tout ça, je me dis que j’entretenais un peu avec toi une relation d'amour vache. De laquelle je garderai un très bon souvenir.
Jérôme Potier, ton entraîneur d’alors, avait placardé le Centre National d’Entrainement de feuilles indiquant la direction de la salle de musculation.
2022 est une année particulièrement pénible en termes de fins de carrières. Ça commence à être pesant. A chaque fois que l’une ou l’un d’entre vous arrête, c’est une énième claque de réalité que je me prends par rapport au temps qui passe. D’abord Jo-Wilfried Tsonga, ensuite Serena Williams, puis Roger Federer. Et maintenant toi. Tu vas nous manquer. Nous te manquerons peut-être moins, mais au bout de quelque temps, je suis certain que toi aussi, tu auras un peu de nostalgie.
En tant que joueur, tu nous as régalés. Tu étais ce petit bonhomme pour qui Jérôme Potier, ton entraîneur d’alors, avait placardé le Centre National d’Entrainement de feuilles indiquant la direction de la salle de musculation. Qui pouvait croire qu’un jour tu deviendrais le 6e meilleur joueur de tennis sur la planète ? Certainement pas moi. Toi en revanche, je suis certain que tu y as toujours cru et t’as bien fait.
Avant de te saluer, je voulais te montrer cet entretien sur lequel je suis retombé qui, je trouve, est très représentatif de ton personnage. On était jeunes et beaux…
Je te dis donc au revoir Gilles (avec un peu d’avance, pour ne pas tomber dans le maelström des articles prêts depuis que tu as annoncé ta fin de carrière).
Au joueur de tennis, je dis adieu, mais à l’homme je dis à bientôt, car tu es bien trop passionné par ce sport pour trop t’en éloigner.
Et si tu pouvais finir en « faisant péter », comme tu aimes le dire, à Bercy, alors ce serait génial.
Salut l’ami.
