Si vous lisez ces lignes, c’est qu'a priori vous êtes fan de tennis. J’imagine que la grande majorité d’entre vous pratique le tennis. Et je n’ai aucun doute sur le fait qu’une vaste partie des pratiquants que vous êtes sont des passionnés, comme moi, qui s’inscrivent régulièrement à des tournois, de manière à vivre « le grand frisson » (à notre niveau !), qu’ils soient non-classés, 30/1 ou 5/6. On sait tous qu’il se passe des histoires fabuleuses sur ces tournois.
Aujourd’hui, à 72 heures du coup d’envoi du premier Grand Chelem de l’année, où il se passe des choses incroyables tous les jours alors que le tournoi n’a même pas commencé, je vais vous offrir une pause dans la saga de vous-savez-qui, pour vous raconter mon histoire, qui vous fera rire sans doute, et à laquelle j’espère que peu d’entre vous s’identifieront, même si certains sont forcément déjà passés par là.
Avec mon modeste classement à 15/4, je me suis inscrit au tournoi de Cagnes-sur-Mer (grâce à mon fils qui m’a motivé pour le faire). Mon 1er tour, à 30/1, aurait dû être une formalité, au détail près que je ne savais plus jouer au tennis. J’ai serré les fesses, me suis focalisé à mettre la balle dans le court et ai imploré tous les dieux de ce sport de fou pour que ça suffise. Et ça a suffi. 3 heures de match tout de même…
Toi mon coco, tu vas courir aujourd’hui
Le match d’après, à 15/3, j’étais redevenu moi-même. Je savais à nouveau faire un coup droit, servir une première et être un chouia audacieux. C’est passé crème : 6-2 6-3 et 1h30 de match mais dans un semi-indoor.
Mon 3e match, à 15/2 cette fois-ci, ne s’est pas joué sur Greenset comme les deux premiers, mais sur terre battue. Et oui, les joies des tournois de club, où tu joues sur deux surfaces et trois conditions de jeu différentes ! Mon adversaire avait une technique très propre, mais n’avait pas la condition physique qui allait avec. Je pense qu’il avait dû un peu forcer depuis le foie gras, sans s’arrêter jusqu'à la galette. Avec un esprit d’analyse aussi développé que le mien (lol), je me suis dit : « Toi mon coco, tu vas courir aujourd’hui ». 35 amorties plus tard (dont au moins la moitié étaient totalement pourries) et près de 2h45 de match perturbé par un employé municipal qui avait décidé, perceuse en main, que le moment était propice pour consolider les attaches du grillage autour du court, je gagne à nouveau en perf !
Ce qui m’amène à mon match d’hier, le 4e donc, équivalent d’une demi-finale en 250, à 15/1 cette fois-ci. Du coup, là, je joue en maxi perf. Mon adversaire, quel qu’il soit, aurait dû se dire en arrivant, soit « Quoi ? Mon adversaire est 15/4 ? Il doit bien jouer, je dois me méfier », ou bien « Pfffff mon adversaire est 15/4, je vais l’atomiser ». Quoi qu’il arrive, je partais avec cet avantage psychologique. Soit il a peur, soit il me prend par-dessus la jambe. Mais à aucun moment en revanche, je n'avais pu entrevoir le scénario d'un match face à adversaire ayant 33 ans de moins que moi !
Jade, 14 ans, s’entraîne à l’Academy Mouratoglou. Il est là, timide, me vouvoie, haut comme trois pommes. Et là, je me dis : WTF ! Tous les scénarios étaient fracassés. Celui-ci, je ne l’avais pas vu venir du tout. Lui, il est 15/1 ! Mais c’est génial. Je vais enfin avoir un 15/1 dans mon palmarès. Ça vaut des points un 15/1. Il doit savoir jouer au tennis me dis-je, mais ça doit être jouable.
Je comprends un peu mieux Guillermo Coria
Et en effet, il jouait bien, même très bien. Mais comme prévu, il était limité par sa dimension physique. Lorsque je servais fort et sur lui, il ne pouvait rien faire. Il était nerveux et commettait des fautes directes. Petite avance rapide à 6-1 5-2 pour moi. A ce moment-là, cette terrible pensée de la possibilité de battre un 15/1 me traverse à nouveau l’esprit. Puis tel le joueur de tennis schizophrène à souhait, je me contredis en pensant « Ne pense pas à ça ». Un ami, coach, m’avait dit de penser au jeu, pas à l’enjeu. Je me repassais cette phrase philosophique pour essayer d’enrayer l’autre partie de mon cerveau qui se voyait déjà en train d’annoncer le score au juge-arbitre. Les deux doubles fautes qui ont suivi ont commencé à me stresser. Sur la 3e balle de match, il a réussi à prendre le contrôle du point. 5-3. 5-4. 5-5. 6-6. Je démarre le tie-break tambour battant en pensant à Marat Safin : « Il faut jouer un tie break si tu veux le gagner » disait-il. Je mène rapidement 4-0, et je me dis que le cauchemar n’aura finalement peut-être pas lieu... J’ai perdu le tie-break 7-5.
Et là, c’est dur. Il faut tout recommencer alors que j’avais la victoire à portée de la main. Et pourquoi ? Quel prize money ? Quel point ATP ? Les efforts à fournir pour repartir sur un 3e set étaient-ils nécessaires ? Je vous jure que je me suis posé toutes ces questions au changement de côté. Puis il faut continuer. Je n’allais pas non plus abandonner ! Mené 2-0, je reviens à 2 partout. Il avait pris le dessus, c’était très net, mais je n’abdiquais pas. A 5-3 pour lui, j’ai sauvé 2 balles de match, puis je l’ai poussé à faire deux doubles avec une ruse de vieux briscard, en lui faisant croire que j’allais retourner ces deuxièmes balles deux mètres à l’intérieur du court. Je breake et sers à 4-5 pour égaliser à 5-5. Sauf que mes jambes, elles, en avaient décidé autrement. Je m’incline au bout de près de 3 heures de jeu, 6-4 au 3e.
Aujourd’hui, j’ai mal partout, j’ai des ampoules aux pieds, les ongles rouges/violets, les cuisses en feu, les mollets courbaturés de ouf, mais surtout, j’ai mal à la tête. De manière imagée, mais j’ai mal. Je comprends un peu mieux Guillermo Coria qui se trimballait face à Gaudio en finale de Roland-Garros. Qui a eu des balles de match sans jamais pouvoir ressentir la satisfaction de les transformer.
Quel sport de fou. J’envisage de prendre ma retraite après ce désastre, quoi que, le fait de l’avoir partagé avec vous m’a fait du bien.
Bien joué Jade. Et maintenant, place à l’Open d’Australie.