Ramasseur de balles : “une aventure humaine”

4 févr. 2021 à 12:00:00 | par Mathieu Canac

Sélection ramasseurs de balles, 2021
Chaque année, des milliers de jeunes passionnés de tennis visent un rêve : devenir ramasseur de balles à Roland-Garros. En raison de l'évolution des conditions sanitaires, plusieurs sélections, qui n'ont pu avoir lieu, ont été reportées à des dates encore indéterminées. Née en 2007, Nina Keiflin a elle brillamment passé la première étape lors d'une session organisée à Lagord, ville limitrophe de La Rochelle, le 9 janvier. En compagnie de Laurent, son père, et Arthur Bongrand, responsable des sélections des ramasseurs pour la FFT depuis 11 ans, la jeune joueuse de l'Union Saint Bruno, classée 15/1, est revenue sur cette expérience lors d'une interview croisée réalisée en appel visio.

 

We Are Tennis : La sélection pour Roland-Garros se fait en combien d’étapes ?
Arthur Bongrand : C'était notre première phase de sélection. Nous allons d’abord chaque ligue de France pour sélectionner les jeux. Ce week-end (9 et 10 janvier), nous étions à La Rochelle le samedi, puis à Blois le dimanche. Les jeunes sélectionnés participent ensuite à un stage de formation qui aura lieu pendant leurs vacances scolaires (si la pratique du sport et les rassemblements en salle seront autorisés à ce moment-là, ndlr). Pendant ce stage, nous faisons une deuxième sélection. Elle est moins difficile en ce qui concerne le nombre d’éliminés. Sur les 3000 participants au départ, 250 iront à Roland-Garros.

WAT : Nina, tu fais donc partie des sélectionnés pour le stage, félicitations ! Comment te sentais-tu à la fin de la sélection, tu étais confiante ?
Nina Keiflin :
A la fin, j'étais contente parce que j'avais réussi. Mais je n’oubliais pas qu'il y avait peu de sélectionnés, seulement 10 % environ. Donc je savais que je pouvais ne pas être prise si d'autres avaient été meilleurs que moi.

WAT : Arthur, pouvez-vous nous expliquer votre rôle, et comment se déroule une journée de sélection ?
Arthur :
Mon rôle, c'est déjà d'organiser cette journée en amont. Tous les jeunes français licenciés ayant entre 12 et 16 ans peuvent s'inscrire via le site internet des ramasseurs de balles. L'âge et la licence sont les deux seuls critères. Avant la journée, nous communiquons avec les parents au sujet des horaires, des lieux exacts. Il faut aussi s'organiser avec les clubs et les ligues qui nous reçoivent. Pendant la journée, c'est de la coordination d'équipes. Nous avons une dizaine d'encadrants présents sur place pendant la sélection. Les jeunes sont répartis par groupe, plutôt en fonction de la tranche d'âge pour ne pas générer de grandes différences de niveaux. Chaque encadrant a un groupe sous sa responsabilité, avec lequel il va suivre tous les ateliers. Et nous avons également un encadrant par atelier.

WAT : Et il a fallu s’adapter à la situation sanitaire
Arthur :
Depuis un an, nous sommes dans l'adaptabilité permanente. La situation est difficile pour beaucoup de monde. On s'attache à respecter toutes les directives gouvernementales, nous travaillons en relation étroite avec le ministère des sports. Sur nos journées de sélection, les jeunes portent le masque en permanence, nous avons limité le nombre d'inscrits (3500, pour 3000 participants après désistements, contre 4200 en 2019) Nous avons quatre terrains, donc un superficie d'environ 3600 m² pour 100 enfants. Ça fait plus de 30 m² par enfant. Tout le monde se désinfecte les mains tous les quarts d'heure, après chaque atelier. Nous prenons la température à l'entrée, et, malheureusement, nous n'accueillons pas les parents à l'intérieur cette année. Dans le contexte actuel, je trouve que c'est important de pouvoir proposer une autre activité que l'école ou la maison aux enfants.

WAT : Nina, comment as-tu découvert que tu pouvais participer à des sélections pour être ramasseuse à Roland-Garros ?
Nina :
J'ai été ramasseuse sur le tournoi Challenger de Bordeaux, et je m'y suis fait des copains qui m'ont expliqué qu'on pouvait s'inscrire pour être ramasseur à Roland-Garros. J'en ai parlé à mes parents, et au début ils n'étaient pas trop d'accord. Mais ils ont changé d'avis

.

WAT : Laurent, d'où venaient ces réticences à l'origine ?
Laurent Keiflin :
C'était essentiellement des réticences par rapport à l'organisation. Nina a passé la première épreuve, maintenant il y en a une seconde. Tout le mal qu'on lui souhaite, c'est évidemment d'aller à Roland-Garros. Au niveau scolaire, ça impliquerait une absence de plusieurs semaines. C'était la seule réticence que nous avions : savoir comment on allait s'organiser avec le collège, et est-ce qu'ils accepteraient que Nina manque les cours pour aller à Roland-Garros ? Mais de ce côté là, ça devrait aller. Un enfant que nous connaissons était allé à Roland-Garros. Le collège avait accepté sans souci. Et, quand Nina est allée ramasser à (Villa) Primrose (club où se joue le Challenger de Bordeaux), nous avions expliqué pourquoi Nina serait absente quelque temps, et ça avait été bien vu. La réticence était là, c'était essentiellement ça. Nina, ça lui plaît, c'est son truc, on le voit bien. Ce qu'on souhaite, c'est que ça continue.

WAT : Pour un enfant passionné de tennis, c'est un rêve d'aller ramasser à Roland-Garros. Avez-vous senti votre fille stressée avant la sélection, pendant le trajet ?
Laurent :
Non, pas vraiment. Nina joue au tennis, elle peut avoir du stress avant certains matchs, mais ce n'est pas une enfant qui stresse, ou montre son stress. Dans la voiture, elle n'était pas stressée. Elle était impatiente. Elle avait envie d'y être. En revanche, quand nous sommes rentrés, le lendemain elle m'a dit : "Je stresse un peu." Je me demandais pourquoi elle stressait, je pensais que c'était pour l'école ou autre, et non, c'était par rapport à l'attente des résultats de la sélection.

WAT : Nina, ton expérience de ramasseuse t’a aidée, j’imagine, pendant les exercices ? Quels ont été tes préférés ?
Nina :
On a commencé par un exercice qui était un peu comme le biathlon. Ça, ça allait, parce qu'il fallait juste faire des "rouler" (la technique de lancer consistant à rouler la balle au sol pour se l’envoyer entre ramasseur) et courir. Puis on a fait un exercice appelé "le morpion". Il fallait se dépêcher pour arriver en premier et placer notre plot (pour en aligner trois sur la grille) où on voulait, mais sur la réflexion et le morpion je n'étais pas très forte, donc ça ne m'a pas trop plu (sourire). Ensuite on a fait la "tournante de rouler". Ça, c'était bien, je suis arrivée deuxième. Il y avait aussi un atelier où il fallait être le plus rapide pour ramener des balles posées sur des plots. On a aussi fait le "lancer" (qui sert à envoyer les balles aux joueurs pendant les matchs). Bon, bah ça, ça allait. Il y avait aussi des exercices sur les "rouler", pour travailler la précision, la technique. Mon "rouler", je ne le faisais pas très bien. J’ai pu le corriger.
Arthur : C'est marrant, je crois que c'est la première fois que j'entends un enfant débriefer aussi vite sa journée de sélection. Parfois, on en rediscute avec eux pendant le stage suivant. Là, à chaud, comme ça, je pense que c'est la première fois. Pour chaque atelier à un but différent pour notre façon d'évaluer les jeunes. Il y a des exercices physiques, en rapport avec l'endurance, la vitesse, qui sont primordiaux pour nous, mais ce ne sont pas les seuls critères. A Roland-Garros, ils vont vivre pendant trois semaines ensemble. Nous sommes une quarantaine à les encadrer pendant le tournoi, mais nous ne pouvons pas être partout, tout le temps, donc nous avons besoin de faire confiance aux enfants, et qu'ils soient dans les meilleures conditions pour respecter les quelques règles que nous mettons en place. Le morpion, qui se dispute en équipe en donnant des conseils à celui qui va placer le plot, nous permet de voir comment les enfants se comportent en groupe. Donc, Nina, ne t'inquiète pas, nous ne regardons pas uniquement si tu gagnes ou si tu perds. Nous regardons aussi comment tu te comportes après une victoire ou une défaite. Si un enfant, après une défaite, se remotive pour la manche d'après, c'est hyper positif. S'il reste un minimum humble après une victoire et se reconcentre pour la manche d'après, c'est une bonne chose aussi. Tous les exercices nous permettent d'avoir un avis le plus général possible sur chaque enfant.

WAT : L'état d'esprit est donc important.
Arthur :
Si un enfant est très bon sur les exercices physiques et techniques, mais qu'il est très individualiste pendant les jeux d'équipe, un peu "moi je, moi je", ça ne nous plaît pas trop. Nous essayons alors de le titiller un peu pour savoir si c'est vraiment dans sa nature, où s'il arrive à respecter les autres. Observer l'esprit d'équipe des enfants, c'est un moment important pour nous.

WAT : Nina, tu disais avoir conscience que très peu de jeunes sont retenus. Pendant la sélection, on arrive à mettre ça de côté, oublier la compétition pour plaisanter, rigoler avec les autres ?
Nina :
Oui, oui ! Dans mon équipe, j'étais avec des gens très gentils. C'était cool ! On parlait ensemble. Par exemple, quand ils n'arrivaient pas très bien à faire certains exercices, je leur expliquait, comme le "rouler", et ils m'ont remerciée.
Arthur : Parfois, nous voyons l'inverse. Des jeunes qui n'osent pas trop donner des conseils, parce qu'ils ont peur que l'autre enfant soit retenu à leur place s'ils les aident trop, donc c'est marrant d'entendre Nina dire ça. Elle est altruiste !

WAT : Si tu vas à Roland-Garros, pour quel joueur ou quelle joueuse aimerais-tu ramasser ?
Nina :
Djokovic ! C'est mon joueur préféré. J'aime bien son revers, et il varie. Un peu. Et il a l'air drôle, aussi ! Chez les filles, j'aime bien Barty et Halep.

WAT : En tant que joueuse, tu t'inspires des ces joueurs et joueuses ?
Nina :
Pas spécialement. J'aime bien faire des amorties. J'en fais beaucoup (sourire). J'aime bien attaquer aussi.

WAT : Arthur, vous qui avez déjà été ramasseur à Roland-Garros, pouvez-vous décrire l'expérience à Nina ?
Arthur :
Ce que j'en ai retenu avant tout, c'est l'aventure humaine. Oui, être auprès des champions quand on a entre 12 et 16 ans, c'est vraiment un rêve. J'ai eu la chance de ramasser pour Andre Agassi, dont j'étais fan, en 2003. Mais au fil du temps, ce que j'en ai retenu, ce sont les amitiés créées avec les autres ramasseurs de balle. Aujourd'hui, mes meilleurs amis sont d'anciens ramasseurs, j'ai été en colocation avec deux anciens ramasseurs, je pars en vacances avec d'anciens ramasseurs. C'est difficile de trouver un autre endroit où 200 enfants se côtoient et apprennent à se connaître tous les jours pendant trois semaines en participant à l'organisation d'un tournoi du Grand Chelem. C'est ce que j'essaie de transmettre le plus possible aux enfants.

WAT : Nina, tu as déjà pu nouer quelques affinités avec certains que tu aimerais retrouver pour la suite ?
Nina
: C'était court, seulement une demi-journée, mais j'étais avec des gens gentils. J'espère qu'ils ont pu passer cette première sélection.

WAT : Laurent, Nina est bonne élève, tout va bien ? Si elle va à Roland-Garros, elle aura la permission de manquer des cours ?
Laurent :
Nina est une bonne élève, donc je pense qu'il n'y aura pas de souci. Le collège devrait être d'accord. Si elle est retenue, elle va vivre une belle aventure humaine. Ce serait énorme pour elle. Ça la ferait certainement grandir, évoluer. Elle va apprendre des choses, rencontrer de nouvelles personnes. Ce serait quelque chose dont elle se souviendrait toute sa vie. Pour elle, qui joue au tennis, Roland-Garros, c'est le graal. Là, aujourd'hui, si on lui demande sa préférence entre ramasser à Roland-Garros et jouer à Roland-Garros, elle choisit ramasser. Quand elle a reçu le résultat, elle a hurlé de joie. Elle a gagné des matchs difficiles au tennis, mais elle n'avait jamais réagi comme ça. C'est vraiment autre chose.
Nina : Mais dans ma tête il y a encore la deuxième étape, donc je n'y suis pas encore.

 

 

Avantages

Découvrez les avantages WE ARE TENNIS

En savoir plus