« En danger de mort ». Oui, de mort. C’est bel et bien le ressenti évoqué par Thomas Muster et Udo Plamberger lorsqu’ils tapent la balle en double au Brésil, en septembre 1996. À São Paulo, la paire autrichienne se retrouve en effet cernée en plein milieu d’un terrible traquenard. Venu pour défendre les chances de leur pays en barrages de Coupe Davis face au duo Gustavo Kurten/Jaime Oncins, le binôme fait ce qu’il peut. Mais comment gagner une rencontre, quand on pense d’abord à sauver sa peau ? Il faut dire que le public sud-américain – réputé pour son côté très très chaleureux – fait tout, absolument tout, pour déstabiliser l’adversaire. Tout commence comme d’habitude : des huées, des conspuassions et des noms d’oiseaux envolés dans la langue locale. Puis, les choses sérieuses suivent : des pierres sont jetées sur le court, en direction de l’ennemi. Enfin, les supporters qui ont eu la bonne idée d’amener des petits miroirs s’en servent en les tournant vers le soleil de sorte à éblouir l’étranger.
En route pour le cinquième set
Le tout, dans une ambiance à faire frémir Teddy Riner sur un tatami ou Mike Tyson sur un ring. Pourtant, Muster n’est pas n’importe qui à l’époque. Celui qui a atteint la première place ATP en début d’année est encore troisième mondial quand il se pointe sur ces terres hostiles, et s’arrache avec son compère pour faire tant que possible abstraction de l’enfer qu’ils subissent en se concentrant sur le jeu. À deux reprises, les deux malheureux parviennent à égaliser malgré les conditions déplorables et la terreur ressentie (7-6, 4-6, 6-3, 3-6). En cette période où les tribunes ont davantage de liberté qu’aujourd’hui et peuvent se permettre certains excès qui ne sont plus d’actualité, l’excellent joueur de tennis doit ainsi savoir contrôler ses émotions et faire l’impasse sur n’importe quel élément extérieur pour espérer en sortir triomphant. Mais dans le set décisif, instant plus intense émotionnellement parlant, c’en est trop et les hommes craquent.
Prize money sucré et amende salée
Du haut de sa chaise, l’arbitre portugais Antonio Marque, passif mais surtout tétanisé à l’idée d’une potentielle émeute, ne prend pas le risque d’infliger des points de pénalités à la team brésilienne, malgré elle avantagée par l’outrance de ses fans. Ce qui dépite Thomas Muster, averti un peu plus tôt par Marque pour des gestes obscènes à l’attention du public. Avec son collègue Plamberger, il décide de quitter la partie et de rentrer aux vestiaires. Tout simplement. Le lendemain, en guise de solidarité, le clan autrichien refuse de participer aux deux derniers simples dominicaux et réclame un report du match en terrain neutre. Mais la sentence est irrévocable : la nation d’Europe centrale est disqualifiée, puisqu’il est considéré qu’elle a abandonné. « La plupart des choses dont les spectateurs ont été accusés n'étaient pas fondées », justifiera Brian Tobin, le président de le Fédération Internationale de Tennis qui privera également les perdants de leur prize money et qui sanctionnera leur meilleur élément d’une amende de plusieurs milliers d’euros. La vie n’a pas de prix.
(Pour les germanophones, petit résumé ci-dessous du périple autrichien au Brésil)
A lire ou à relire :
"Avantage, public" épisode 1 : Hingis-Graf à Roland-Garros, 1999
"Avantage, public" épisode 2 : Croatie-Argentine, finale de Coupe Davis, 2016
"Avantage, public", épisode 3 : le festival Medvedev à l'US Open, 2019