Federer - Djokovic : le monument de Roland-Garros 2011

6 juin 2020 à 09:00:00

Lorsque Roger Federer et Novak Djokovic s’affrontent pour la première fois à Roland-Garros, c'est une demi-finale. Le plus âgé des deux mène alors 13 - 9 dans leur face-à-face, et 4-3 en Grand Chelem. Pourtant, il n’est que l’outsider de ce match considéré, par sa qualité de jeu, comme l’un des plus monumentaux de l’histoire du tennis.

Certains fans de Rafael Nadal et Roger Federer auraient voulu que Novak Djokovic reste dans l'ombre de leurs chouchous. En homme invisible. Mais, en 2011, le Serbe prend la lumière au point de devenir le paronyme de ce rêve : un homme invincible. Avant d'affronter le Suisse en demi-finale de Roland-Garros - redifusée ce jeudi à 13 h par Francetv sport - il réussit le début d'année parfait. Aucune défaite pour 7 trophées dont l'Open d'Australie, son deuxième titre du Grand Chelem. "La confiance boostée par la victoire en Coupe Davis 2010", comme il le dit, il compte 41 succès consécutifs. Il n’est qu’à une unité du record du meilleur début de saison de l'histoire établi par un John McEnroe finalement tombé devant Ivan Lendl en finale de Roland-Garros 1984. Égaler "Big Mac" lui permettrait aussi de s’asseoir sur le trône de l’ATP pour la première fois de sa carrière.

Habitué à être chassé, Federer, numéro 3 mondial, est cette fois dans le rôle du chasseur. Il reste sur 3 revers récents - à Melbourne, Dubaï et Indian Wells - face au 2e du classement. Pas de quoi ébranler ses certitudes pour autant. Il a confiance en ses coups de fusil pour venir à bout de sa nouvelle bête noire. "J'ai bien joué en Australie, j'ai bien joué à Dubaï, j'ai bien joué ici, déclare-t-il suite à son élimination en demi-finale d'Indian Wells contre Djokovic. Perdre ne signifie pas que je joue mal. Si je ne jouais pas bien et que je sentais ne pas avoir les armes, le jeu, l'état d'esprit ou la condition pour y arriver, alors ce serait un problème. Mais ce n'est pas le cas."

Malgré trois défaites de suite contre Djokovic, Federer a confiance en ses armes

Dès les premiers échanges, Djokovic axe le jeu sur le revers adverse pendant la phase de construction. La stratégie payante de leurs trois derniers duels. "Oui, ça faisait partie de ma tactique d'aller sur le revers de Roger, concède-t-il après la demi-finale de l'Open d'Australie quatre mois plus tôt. Je n'essayais pas de frapper chaque balle aussi fort que possible. Je voulais construire le point puis, quand la bonne occasion se présentait sur mon coup droit, avancer dans le court et attaquer. J'étais plus agressif que je le suis habituellement face à lui." Porte d'Auteuil, l'intensité monte d'un cran. Ça frappe fort. Très fort. Les deux hommes refusent de reculer. C'est une marelle tennistique : pour toucher le ciel, il faut avancer.

Pas de round d'observation, le Bâlois et le Belgradois se rentrent dans le lard d'emblée. Djokovic break d'entrée, Federer débreak dans la foulée. Le troisième jeu donne le tournis aux aiguilles de l’horloge. Après 20 minutes, le score n’est que de 2/1. À 3/2, rebelote. Le scénario break, débreak s'écrit à nouveau. Puis, à 5/4 15-40 sur le service helvète, le "Djoker" se procure deux balles de set. En vain. Son rival les écarte avec autorité et, porté par les acclamations du public à chaque point glané, il empoche la mise au jeu décisif. 7 point à 5 après avoir été mené 5-4. "Le premier set a été très long, qui sait ce que ça peut donner si je le gagne", regrette le perdant à l'issue du combat.

Après cette éprouvante manche initiale de 1 h 10, les suivantes sont plus rapides. Dans la deuxième, le chouchou du Central écarte une balle de break dès le jeu d'ouverture puis déroule. Il creuse l'écart à 2/1, et conserve l'avance jusqu'au bout. Le stade l'applaudit à s'en éclater les tympans pendant que, manichéen, il balance sifflets et huées à "Nole" lorsque celui-ci a "l'impudence" d'aller vérifier une marque. 6/3. Le niveau de jeu est inouï. Le court Philippe-Chatrier est une toile sur laquelle deux maîtres laissent courir leurs crayons pour dessiner les contours d’un chef-d'œuvre. "Pouah… C’est du tennis pur", commente Gaël Monfils en admirant le tableau avec Jo-Wilfried Tsonga lors d’un direct sur Twitch.

"Novak voulait montrer qu’il était le boss"

Troisième set ; Djokovic prend l’avantage d’entrée. Et cette fois, il tient bon. 6/3. Place au bouquet final. Sans artifices, ils continuent à faire des étincelles en s’envoyant des pétards. Une erreur, de la part du Serbe, d’après Tsonga. "Tactiquement, sur ce match, Novak se trompe un peu, estime le Manceau. Il donne du rythme à Roger, alors qu’à certains moments il aurait peut-être été judicieux de jouer plus bombé. On voit qu’il essaie de lâcher des coups extraordinaires là ou l’année suivante il lui aurait fait une 'rondelle' sur le revers. Je pense que Novak, ne perdant pas un match à cette période, voulait vraiment montrer qu’il était le boss en battant Roger dans sa filière, en demi-volée du fond."

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S’appliquant à varier zones, effets et trajectoires tout en étant ultra offensif, Federer se promène au service dans la quatrième manche. À 4/4, il n’affiche qu’un point perdu sur son engagement. Pourtant, c’est à ce moment qu’il se fait surprendre. Break. 5/4 en faveur du natif de Belgrade, qui sert pour égaliser à deux rounds partout. "Et là, 'Rodge' fait un super jeu, s’extasie Monfils. C’est fabuleux. Il mange Djoko en revers, et on sait que pour manger Djoko dans la diag’ revers, il faut se lever tôt." À 0-30, le Suisse s’offre trois occasions de débreak en ponctuant un échange intense par un revers long de ligne qui caresse la bande du filet. Pas de place pour les politesses. Federer serre le poing, Djokovic rit jaune. Quelques instant plus tard, il ne sourit plus du tout.

"Pour manger Djoko dans la diag’ revers, il faut se lever tôt"

Regard dans le vide, sonné par un coup droit adverse, le champion venu des Balkans perd son avantage. 5/5. Mais il n’est pas homme à se laisser abattre. Très vite, il retrouve ses esprits pour se procurer deux nouvelles occasions… que son antagoniste efface avec un service gagnant, puis un ace. Si la pression attire tous les regards dans son costume d’apparat, les deux stars de la fête, eux, la snobent. 6/5 contre lui, 30-30, le Serbe, à deux points de la sortie, place un amorti de revers imparable. Nouveau tie-break. Federer, illisible au service ce jour-là, le boucle sur un ultime ace. Son 18e. Total colossal face à un relanceur comme Djokovic, a fortiori sur terre battue. Le stade exulte, le Suisse aussi. Il secoue l’index, hurle pour délivrer sa rage de vaincre et expédie une balle vers les tribunes.

"C’est rare de le voir aussi content, et ce n’est pas une finale, c’est fou", fait remarquer "la Monf'". "Je crois que ça lui tenait vraiment à cœur de stopper la série de Novak", ajoute "Jo". Classé deuxième plus belle joute de la dernière décennie par Eurosport, cet affrontement est un monument érigé par deux des plus illustres architectes du sport. "C’était l’un des matchs les plus attendus de ma carrière et j’ai réussi à être au meilleur de ma forme, se réjouit le vainqueur. Je suis très fier de ma performance. Ça va certainement rester comme une victoire plus spéciale que d’autres." En finale, il cèdera devant Rafael Nadal. Encore. Toujours. Djokovic, lui, reprendra sa marche en avant. Sacré à Wimbledon puis l’US Open, celui qui était connu pour ses blagues et imitations n’est plus là pour faire le pitre. Il préfère les titres. Le paronyme est en route vers son paroxysme.

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