Wimbledon, le plus grand tournoi du monde. Le faiseur de rois, celui qui désigne les géants du tennis en les couronnant. Mais pour que la légende soit complète, il fallait bien qu’elle comporte son lot d’échecs et de champions restés sur le pas de la porte. De Von Cramm à Roddick, en passant par l’incontournable Rosewall, rétrospective de ceux qui auraient tout donné pour ne pas faire partie de ce Top.
Gottfried Von Cramm
Roland-Garros l’a fait roi – non seulement il a gagné deux fois, en 1934 et 1936, mais il a su se faire aimer du public français à une époque où la haine de l’Allemand était la chose la mieux partagée de Dunkerque à Marseille – mais Wimbledon a toujours refusé ses avances. Tel Poulidor coincé entre Anquetil et Merckx, Gottfried Von Cramm a eu, il est vrai, le malheur de se coltiner successivement deux géants du jeu lors des trois finales consécutives qu’il a disputées à Londres : en 1935 et 1936, il doit s’incliner face à la légende britannique Fred Perry, tandis qu’en 1937 il est aux premières loges pour assister à l’émergence du futur auteur du Grand Chelem calendaire, Donald Budge.
En trois finales, Von Cramm ne gagnera pas un seul set. Un regret précis ? Peut-être la deuxième tentative. Alors qu’il vient de battre Perry en finale de Roland-Garros, il est victime d’une déchirure musculaire lors du premier jeu de leur revanche londonienne. La partie est à sens unique (6/1 6/1 6/0), le public incrédule et l’Allemand impassible, refusant d’abandonner pour ne pas dévaluer le succès de son adversaire. A 28 ans, Von Cramm demeure toutefois dans la force de l’âge. Son heure aurait encore pu venir à Wimbledon sans un petit moustachu autrichien…
Fred Stolle
« Le vieux cheval », un surnom hérité de ses succès tardifs en Grand Chelem après avoir perdu ses cinq premières finales, n’a pas pu profiter des verts pâturages de Wimbledon. Vainqueur à Roland-Garros en 1965 et à l’US Open en 1966, l’Australien a imité le baron Von Cramm en perdant trois années de suite en finale à Londres. En 1963, dans une finale entre deux joueurs vierges de tout titre en tournois du Grand Chelem, il est dominé par l’Américain Chuck McKinley, qu’il avait jusque-là battu 4 fois sur 6. Mais McKinley, joueur universitaire qui, une fois son diplôme validé, choisira d’exercer à la Bourse plutôt que de passer professionnel, évolue « sur un nuage », admettra Stolle après sa défaite en trois sets : « Il m’a pris à la gorge. A la fin, je ne savais même plus où servir ou quoi tenter avec la balle. » Malheureusement pour lui, cette première finale était sans doute sa meilleure chance : les deux années suivantes, il s’incline face à sa bête noire, son compatriote Roy Emerson, de manière serrée en 1964 (6/1 12/10 4/6 6/3), puis plus sèchement en 1965 (6/2 6/4 6/4). Il n’en a pas pour autant fini de son mauvais karma à Wimbledon, où il connaîtra encore des désillusions en tant qu’entraîneur, dans le seul Grand Chelem où son poulain Vitas Gerulaitis ne disputera jamais la finale, malgré un jeu taillé pour l’herbe.
Ken Rosewall
Six juillet 1974 : la tornade américaine Jimmy Connors souffle sur le All England Club, bousculant les codes de jeu autant que ceux du décorum. Sa victime en finale est balayée en une heure et demie, 6/1 6/1 6/4. Ken Rosewall, bientôt 40 ans, ne remportera jamais Wimbledon… et l’absence de son nom au palmarès apparaît tellement inconcevable qu’elle sera en grande partie à l’origine de la naissance de la notion même de « maudit de Wimbledon » ! Vingt ans plus tôt, « le petit maître de Sydney » était déjà à l’affiche de la finale londonienne, battu alors par le vieillissant Jaroslav Drobny, non sans avoir manqué plusieurs balles d’égalisation à deux manches partout. En cas de cinquième set, ses jambes de 20 ans lui auraient conféré un avantage certain sur son adversaire tchécoslovaque…
Pas grave, le temps semble jouer pour lui : c’est sûr, Ken Rosewall gagnera très vite Wimbledon. En 1956, deuxième finale, perdue en quatre sets encore, contre son ami et partenaire de double Lew Hoad. Il a encore le temps ? Oui, bien sûr. Il n’a même pas encore soufflé ses 22 bougies… Mais Ken Rosewall a aussi contribué à forger sa malédiction anglaise. Plutôt que de persévérer dans sa quête du plus grand tournoi du monde, l’Australien se laisse happer par les sirènes du professionnalisme dès la fin 1956, se fermant du même coup les portes des tournois du Grand Chelem. Il ne revient pas à Wimbledon avant 1968, et l’ère Open. Deux ans plus tard, à presque 36 ans, il retrouve la finale sur le Centre Court, 14 ans après la précédente. Et c’est encore un compatriote qui le met en échec : John Newcombe l’emporte sur un cinglant 6/1 au cinquième set. Le temps joue maintenant contre Rosewall. En 1974, à sa quatrième défaite en finale, il était déjà trop tard. L’ère Borg - Connors avait débuté.
Ivan Lendl
Un joueur a-t-il consenti plus de sacrifices qu’Ivan Lendl pour remporter Wimbledon ? A une époque où il s’agissait pour les tennismen d’adapter leur jeu à la surface proposée, et non de l’imposer à des surfaces uniformisées, Ivan Lendl a tout tenté afin de remporter le seul tournoi d’envergure manquant à son palmarès. Se muer en serveur-volleyeur forcené en traversant la Manche ? Check. Défier (et battre) les spécialistes dans le cadre hyper-sélectif de l’épreuve préparatoire du Queen’s ? Check. Déclarer forfait à Roland-Garros pour mieux préparer Wimbledon ? Check. A deux reprises, même, préférant en quelque sorte l’ombre à la proie : la première année où il boycotte Paris, en 1990, le titre revient à Andres Gomez, un joueur qu’il avait battu 17 fois en 19 rencontres !
Mais Lendl a le malheur de tomber dans ce qui est probablement l’époque la plus concurrentielle jamais vue sur gazon. Il joue ses premières demi-finales à Wimbledon en 1983 et 1984, battu par les géants Américains McEnroe, puis Connors. Il parvient ensuite à atteindre deux finales, en 1986 et 1987, battu à chaque fois par des acrobates de la volée planant à haute altitude, Boris Becker et Pat Cash. Il réalise enfin un dernier bloc de trois demies entre 1988 et 1990. Rien à faire : Becker et Stefan Edberg lui barrent la route. Et histoire de boire le calice jusqu’à la lie, lors de sa dernière saison passée au sein du gotha, en 1992, il regarde 30 aces de Goran Ivanisevic lui filer sous le nez en l’espace de trois sets. Saleté de fatalité.
Andy Roddick
Un cas particulier. Il aura suffi d’un homme pour que Wimby dise « non » à Andy, et faire ainsi que l’histoire d’amour finisse mal. Cet homme, c’est évidemment Roger Federer. A cause de lui, et seulement de lui, Andy Roddick ne gagnera jamais Wimbledon, malgré une demi-finale en 2003, puis trois finales en 2004, 2005 et 2009. L’édition 2004 aurait pu – dû ? – être celle de Roddick. Encore au contact du Suisse dans leur rivalité (2 Grands Chelems à 1 pour Federer), l’Américain gagne le premier set de la finale, puis, à une manche partout, se détache 4-2 dans la troisième. Mais la pluie s’invite et empêche « A-Rod » d’enfoncer le clou. Une demi-heure plus tard, c’est un Federer calmé, plus juste tactiquement, plus agressif, qui débreake et empoche le set au tie-break. Le match a basculé, le futur recordman de victoires en Grand Chelem triomphe en quatre actes (4/6 7/5 7/6 6/4).
« J’ai fermé la porte à double tour et il est passé par la fenêtre », lâchera l’Américain, dépité. C’était « le » match qui pouvait changer beaucoup de choses dans la suite de sa carrière. Surclassé en 2005, il se crée une dernière chance de soulever la coupe de Wimbledon, sur le tard, en 2009, mais trouve encore son meilleur ennemi sur sa route… ainsi que ses propres doutes et échecs passés, à l’image de cette volée haute « facile » expédiée hors des limites du terrain sur balle de deux manches à rien en sa faveur. Il perd finalement 16-14 au cinquième set. Son dernier fait d’armes en Grand Chelem.
Bonus :
Patrick Rafter
Lui n’a perdu « que » deux finales à Wimbledon. Mais le fait que le dernier serveur-volleyeur pur et dur vu au sommet du tennis mondial n’ait jamais été couronné sur les courts du All England Club sonne comme une aberration. Heureux lors de ses deux finales remportées à l’US Open (il affronte Greg Rusedski en 1997, puis Mark Philippoussis en 1998), l’Australien a en revanche joué de malchance à Wimbledon. Vainqueur d’Andre Agassi en demi-finales des éditions 2000 et 2001, à chaque fois à l’issue de parties sublimes, il a ensuite buté sur la dernière marche. En 2000, il mène un set à rien contre Pete Sampras, 4 points à 1 dans le jeu décisif du deuxième, mais perd sa lucidité et voit l’Américain le coiffer en quatre manches. En 2001, il est emporté par le « miracle Ivanisevic », victime, comme Moya, Safin, Rusedski, Roddick et Henman avant lui, d’un invité croate, 125e mondial, persuadé que « Dieu voulait [s]a victoire. » Rafter sera passé à deux points du titre dans un cinquième set perdu 9/7…