Quand Marion Bartoli, dernière vainqueur de Wimbledon en date, a annoncé subitement mettre un terme à sa carrière sportive cet été, c’est pour, explique-t-elle, arrêter les souffrances au quotidien qu’exigerait la pratique du tennis au plus haut niveau. Cas à part ou situation généralisée ?
La retraite sportive anticipée de Marion Bartoli a de quoi interpeller. Par la soudaineté de l’annonce. Parce qu’elle venait de conquérir son premier tournoi du Grand Chelem à Wimbledon. Parce qu'elle n’avait jamais semblé aussi forte et sûre de sa force. Parce qu’elle n’a que 28 ans. Et enfin parce que l’argument numéro un avancé par l’intéressée pour justifier sa décision est : « Mon corps ne suivait plus ». Quoi ? Les entraînements quasi-barbares qu’elle s’infligeait avec son coach de père, l’intensité des matchs et le rythme harassant des saisons. A l’écouter, la notion de plaisir avait totalement disparu pour laisser place à une souffrance trop envahissante et finalement insoutenable. Le tennis de très haut niveau n’est plus un jeu, pas même un métier, ce serait une forme de torture que le joueur ou la joueuse s’impose, condition inhérente de la réussite. « C’est un travail du quotidien avec son corps pour outil, reconnaît l’ancien joueur et consultant Julien Varlet. Pour gagner, il faut faire en sorte de maîtriser cet outil à 100 %, voire 150 %, tout en devant prendre en compte ses spécificités. Certains sont plus fragiles de la hanche, d’autres du dos ou des genoux. La souffrance, elle est là, pour tous, à un moment ou à un autre d’une carrière. » La Française n’est d’ailleurs pas la seule à avoir quitté brutalement le circuit en évoquant ce même discours. Avant elle, les Belges Kim Clijsters et surtout Justine Hénin ont reconnu au moment de leur retraite ne plus pouvoir supporter les charges de travail bestiales hors-compétition et la prédominance de la dimension physique dans la typologie des joueurs et joueuses du Top 10. Au sortir du dernier US Open, le Belge Xavier Malisse, 33 ans, avouait qu’il n’était pas loin de faire de même : « Cela commence à être dur pour moi. J'ai mal partout quand je joue, au pouce, à l'orteil. J'ai tout donné, mais je ne peux pas faire ça toute l'année. […] Je suis encore prêt à me lever le matin pour aller faire de la condition physique, mais après une heure, je suis au bout. » Clairement, il y a matière à s’interroger.
Le paradoxe : des trentenaires rayonnants
« Et pourtant, il n’y a jamais eu autant de trentenaires performants sur le circuit », fait remarquer l’ancien DTN français Patrice Hagelauer, qui pose très justement le paradoxe suivant : s’il faut obligatoirement souffrir et se surentraîner pour réussir en tennis, pourquoi Serena Williams n’a jamais été aussi forte, à 32 ans ? Pourquoi Roger Federer peut encore rivaliser avec les meilleurs au même âge ? Pourquoi Tommy Haas est-il revenu à son meilleur niveau à 35 ans ? L’entrée sur le circuit professionnel se fait certes plus tard qu’avant, mais ce ne peut pas être la seule explication. « Moi j’aurais tendance à penser que les entraînements sont au contraire moins durs qu’avant, en tout cas plus intelligents car mieux ciblés, avance Hagelauer. L’époque où on soulevait des tonnes de fonte est révolue. » Un avis partagé par Julien Varlet : « Aujourd’hui par exemple, les joueurs courent beaucoup moins qu’avant et font plus de vélo, ce qui permet de travailler le foncier en préservant mieux les articulations. » Les circuits ATP et WTA se sont également professionnalisés, avec une présence continue auprès des joueurs d’un staff complet de kinés, préparateurs physiques et nutritionnistes. Le risque de « péter » est forcément diminué.
Mieux écouter son corps pour moins souffrir
Quid de l’intensité d’une saison, alors ? N’est-il pas trop lourd ? Ne fait-il pas trop souffrir à la longue ? « Mais le rythme d’une saison, c’est le joueur ou la joueuse qui se l’inflige, réfute Nathalie Tauziat, qui entraîne aujourd’hui la Canadienne Eugénie Bouchard, 46ème mondial. Avant qu’elle arrête brutalement, Marion (Bartoli, ndlr) était une de celles qui disputaient le plus de tournois dans l’année, pas loin de 30. Son programme était peut-être trop chargé… » Pour Patrice Hagelauer aussi, c’est clair, « Marion a trop tiré sur la corde. Comme ce fut le cas de Justine Hénin, dont la morphologie n’était, à la base, pas adaptée au très haut-niveau et qui a dû s’infliger des séances de travail colossales pour dominer ses adversaires. Mais ça reste des cas à part. » Il n’y aurait donc pas un problème général de souffrance dans le tennis mais des cas particuliers de joueurs et de joueuses pas gâtés a priori par la nature pour jouer au très haut niveau et qui doivent compenser leur handicap physique de base en se surentraînant. Julien Varlet : « Il faut savoir écouter son corps, adapter les séances de travail en fonction. C’est pour ça aussi qu’il y a tant de trentenaires actuellement qui performent : ils sont plus matures et savent mieux gérer leurs efforts sur une saison pour ne pas se mettre dans le rouge. »
La blessure, une pause salvatrice
Car trop jouer, c’est fatalement risquer la blessure et l’éloignement des courts pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Un épisode évidemment souvent mal vécu par l’intéressé(e) mais qui peut s’avérer finalement plutôt une bonne chose d’après nos spécialistes. « De nombreux joueurs jouent mieux après une blessure et une longue indisponibilité : regardez le retour de Nadal cette année, il n’a jamais semblé aussi fort, aussi motivé », constate Patrice Hagelauer. Rien d’étonnant à cela pour Julien Varlet, car « comme dans n’importe quel métier, le tennisman a besoin de faire des pauses. Sinon, la routine s’installe et avec elle la lassitude. C’est là que l’entraînement quotidien et les déplacements partout dans le monde peuvent être considérés comme une souffrance. » Un break contraint et forcé pourrait donc s’avérer salvateur mentalement. « Dans le cas de Marion, j’aurais été son entraîneur, je lui aurais d’ailleurs conseillé de faire l’impasse sur l’US Open, de prendre des vacances et de revenir remotivée l’année prochaine », estime notre consultant, pour qui la souffrance invoquée par la Française est finalement plus mentale que purement physique.