Nadal et la fin de la sieste espagnole

3 sept. 2013 à 00:00:00

Pour moins solliciter son genou, Rafael Nadal a dû modifier son jeu en profondeur...ce qui a eu des répercussions inattendues sur le sommeil des téléspectateurs espagnols. Découvrez pourquoi...

Rafael Nadal a changé. Après un semestre passé à soigner son genou, Rafa est revenu plus fort et plus agressif. Son jeu, entrevu cet été et en ce moment même à l’US Open, est, lui aussi, différent. Problème : les Espagnols vont devoir eux aussi changer leurs habitudes. La sieste.

 

Pendant sept mois cet hiver en Espagne, plus personne n’a vu Nadal. Quand le héros de Majorque décide de ne pas se présenter contre Andy Murray en demi-finale de Miami en mars 2012, c’est toute l’Espagne qui a mal au genou gauche. Son articulation n’en peut plus de ses allers et retours, de son jeu de jambes de fakir et de son mental de matador increvable. Certains disent qu’il va même falloir se chercher un nouveau héros. Ils sont déjà dépressifs à l’idée de se tourner vers Granollers, Almagro ou Ferrer. Le choc est trop dur. Ils préfèrent éteindre le poste et prier. En Espagne, Nadal est au sommet de la hiérarchie sportive. Loin devant Gasol, Alonso et Contador, il trône sur le sport ibérique. Iniesta et Casillas s’en approchent mais ils ont encore beaucoup à faire avant de tenir le sort d’un pays dans une raquette. À 27 ans, Rafa c’est Dieu.

 

Volets tirés, siestes crapuleuses

 

Nadal, c’est l’homme des après-midis de chaleur derrière les volets tirés. Ses épopées de plus de 3 heures en direct sur terre battue à Rome, Monte-Carlo et Roland Garros, ponctuent les fins de déjeuner et les siestes crapuleuses de toute la Péninsule depuis huit ans. Tous les Espagnols se sont endormis au moins une fois devant l’une des 90 finales disputées depuis 2004 (la première à Auckland contre Hrbaty). Tous les Espagnols ont vu jouer le chico au moins une fois à l’heure de la sieste. Dans le pays où le football remplit les bistrots, tous les habitants ont au moins passé une après-midi entière à guetter ses retours surpuissants et ses sauvetages désespérés en fond de court. Nadal est le sportif espagnol le plus aimé, le plus admiré, le plus regardé parce que ses interminables échanges ont rythmé depuis 2004 la décennie la plus difficile de l’Espagne. Ses triomphes laborieux face à l’adversité sont une sorte de parabole. Rafa sauve l’honneur d’un pays qui a été beaucoup et qui souffre de n’être plus grand chose. Même José Mourinho du temps de ses années au Real Madrid, réclamait un jour « onze Rafa Nadal » pour son équipe. Nadal c’est l’Espagne, en mieux.

 

Si c’est un homme

 

Alors quand l’homme qui ne renonce jamais ne se présente pas pour une demi-finale, le monde ne tourne plus rond. « Je suis désolé pour tous mes fans », écrit-il sur Twitter ce jour-là : « Pour ceux qui sont ici à Miami et ceux du monde entier. Je ne me sens pas en condition de jouer aujourd’hui à cause de mon genou ». Il réapparaît deux tours à Wimbledon puis disparaît à nouveau. En 2012, il rate l’Open d’Australie et le Masters. Mais surtout, il renonce aux JO – il devait être le porte-drapeau espagnol, Gasol le remplace au dernier moment – et à la finale de Coupe Davis par BNP Paribas contre la République tchèque. David Ferrer remporte bien ses deux matchs, mais Nico Almalgro n’est pas Rafa. Ce n’est qu’un homme. Le numéro 11 mondial s’effondre contre Stepanek lors du dernier simple. Évidemment.

 

Rafa, le survivant

 

Pendant sa convalescence, Rafa frôle lui aussi la mélancolie. Quand le diagnostic tombe courant septembre, quelques jours avant que l’Espagne affronte les Etats-Unis en demi-finale de Coupe Davis par BNP Paribas, il fait peur : rupture partielle du tendon rotulien et maladie de Hoffa, c’est-à-dire une inflammation de toute l’articulation qui lui provoque des douleurs insupportables. Certains, comme Mats Wilander, le croient perdu pour le Top 10. Son oncle Toni dédramatise. Il lui parle des six millions de chômeurs en Espagne, de Nando Parrado et de ses 15 coéquipiers qui ont un jour survécu à un accident d’avion dans la Cordillère des Andes, d’Irene Villa, victime de l’ETA… Bref, des choses « qui comptent réellement  (…) des gens admirables, qui ont eu dû faire face à l’adversité dans la vie, qui aident les autres ». Si Rafa c’est le Alexandre le Grand espagnol alors Toni c’est son Aristote, l’homme qui façonne la mentalité d’un conquérant d’une autre nature. « La situation, reprend l’oncle philosophe, était loin d’être agréable. Cette blessure nous empêchait de faire ce pourquoi nous étions préparés : lui jouer, moi l’entraîner. Pour qu’il comprenne, je lui donne toujours un exemple. Alors je lui ai dit : ‘La situation économique en Espagne est très dure. En ce moment, pour beaucoup de gens c’est très difficile. On ne va donc pas en faire un drame’ ». Ce n’est pas encore du Aristote mais c’est déjà du Toni Nadal. L’oncle a même publié en 2009 Socrate monte au filet : trois sets pour le sport, le bien-être et le bonheur. 144 pages de philo tennistico-ibérique. Quand même.

 

Mental Vs Tennis

 

Sept mois plus tard, Rafa revient. 2013 une année « de transition » avertit-il. Il a gagné les 11 finales des 12 tournois qu’il a disputés, dont des victoires à Cincinnati, BNP Paribas Open d'Indian Wells et Roland Garros. Le Nadal de toujours est-il de retour ? Non. Rafa est un autre. Sa tête est la même. Mais quelque chose est différent. « Il a changé son jeu, explique Novak Djokovic. Il joue plus à l’intérieur du court, il sait qu’il doit être plus agressif ». Pour se faire moins mal, il faut jouer moins longtemps. Pour jouer moins longtemps, il faut aller plus vite. Pour aller plus vite, il faut avancer dans la balle. « Nous n’avons pas le choix, raconte le mentor Toni. Il faut changer. » Alors Rafa sert mieux. « Il se rend bien compte qu’en servant mieux, il protège son genou, explique Toni. Ça l’aide même à mieux servir ». Servir mieux, jouer plus à l’intérieur du court, raccourcir les échanges et taper les balles plus tôt. Quand il gagne Roland en juin dernier, fidèle à ce nouveau style, il se permet de rappeler qu’il n’est pas uniquement un physique : « On ne gagne rien de ce que j’ai gagné sans tout le reste : un grand drive, un grand revers ou un grand toucher de balle. (…) La force mentale et la force physique aident à des moments précis du match, mais pour gagner l’ensemble des matchs, c’est avec le tennis qu’on gagne, pas la tête ».

 

L’Espagne 2.0

 

Mais pour les Espagnols, c’est une révolution culturelle. Alex Corretja, le capitaine de Coupe Davis par BNP Paribas espagnol a vu les nouveaux entraînements du Nadal 2.0, celui qui joue bien au tennis : « Il tape la balle quand elle monte encore beaucoup (…) Historiquement nous, les Espagnols, nous tapions la balle beaucoup plus bas. Maintenant on se rend compte que c’est lorsqu’elle monte qu’on peut donner un impact beaucoup plus fort. En plus ça te permet de réduire les distances avec ton adversaire. » « L’idée, explique l’oncle, c’est qu’il anticipe plus. Parfois ça marche, parfois ça marche pas. Mais Rafael est plus agressif ! (…) Grâce à cela, on court moins (sic). À Montréal (victoire, ndlr) et à Cincinnati (victoire, ndlr) il a joué plus vers l’avant et donc plus agressif. Et pour être plus agressif, il faut frapper plus tôt ». Comment fait-on pour devenir le nouveau Rafa ? « C’est une question de décision (…) Rafa a appris à ne pas trop faire confiance à son genou ». Les échanges raccourcis, l’Espagne aussi va changer. Finies les siestes devant Rafa.

 

Par Thibaud Leplat, à Madrid

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