Holger Rune, la force de la volonté

Il est fait d’un autre bois. Et pas celui de Pinocchio. Dans un monde où les discours sont souvent policés - aussi pour se protéger des critiques pouvant surgir de toutes parts à l’ère des réseaux sociaux -, Holger Rune n’a pas besoin de nez qui s’allonge. Quand on lui pose une question, il dit ce qu’il pense, sincèrement. Quitte à surprendre. Parce que sa langue, elle, est très loin d’être en bois. Un trait de caractère, qu’il a bien trempé, une nouvelle fois démontré la semaine passée au fil de son parcours jusqu’en finale du Masters 1000 de Monte-Carlo, remporté par un Andrey Rublev en larmes.

En demi-finale, le Danois a dû faire face à Jannik Sinner. Mais pas que. Il lui a aussi fallu affronter un court Rainier III de 10 200 âmes survoltées et très majoritairement en faveur de Sinner. Parce que sur le Rocher, les Italiens ont pris pour habitude de transformer le stade en arène à l’ambiance extraordinaire, digne du Colisée, pour transcender un compatriote et lui insuffler une détermination de gladiateur. Sifflé à la moindre saute d’humeur, sur chaque geste de frustration, sans doute un tantinet titillé par les encouragements pour son opposant aux décibels faisant éclater le sonomètre, Rune ne s’est pas laissé écraser par toute cette pression. Bien au contraire.

Du haut de ses presque 20 ans, il est né un 29 avril, ne natif de Gentofte a su utiliser l’atmosphère électrique pour se donner un coup de jus supplémentaire. Quitte à provoquer ouvertement le public. En mettant son doigt sur sa bouche, ou encore sur son oreille, l’air de dire : “Bah alors ? On vous entend moins, maintenant”, en fin de deuxième set. “Ma relation avec le public a été géniale, si vous voulez mon opinion, a-t-il répondu en conférence de presse, après un duel épique remporté 1/6 7/5 7/5. Il y avait tellement d’électricité dans le stade, c’était fun. Je pense que le public préfère voir ça plutôt que deux gars qui regardent leurs chaussures et qui ne font rien.”

“Je crois que je peux battre le record de Nadal (à Roland-Garros)” - Holger Rune

Un franc-parler qu’il n’a pas non plus eu peur d’utiliser face à des adversaires par le passé. Qu’ils aient simplement quelques années de plus que lui, comme Casper Ruud, ou le double de son âge et des titres en Grand Chelem, à l’instar de Stan Wawrinka. Mais aucune rancune entre “Stan the Man” et le jeune “blondinet”, qui ont ensuite posé ensemble pour la photo à Monaco. Et quand il lui est arrivé d’être questionné sur ses ambitions, même chose. Il a parlé sans se brider. “Être numéro 1 mondial ? C’est mon but, avait-il répondu à Eurosport en novembre, après son titre à Bercy remporté au nez et à la barbe du monument Novak Djokovic. Pourquoi pas dès l’année prochaine ? On verra.”

Des paroles qui, dans la foulée d’un premier titre en Masters 1000, une entrée dans le top 10 et un succès de prestige contre Djokovic, étaient alors vues par les observateurs comme tout à fait légitimes. Mais ce discours, il l’a toujours tenu. “Nadal est tellement inspirant, je travaille tous les jours pour être aussi bon que lui, avait-il déclaré à la télévision danoise TV 2 SPORT en 2020, alors que l’Espagnol venait de gagner son 13e Roland-Garros, tandis que lui, 17 printemps et 551e mondial, n’avait pas disputé le moindre match sur le circuit ATP. Je ne suis pas encore à son niveau, il reste beaucoup de chemin à parcourir, mais je crois que je peux battre son record.”

“Dans un an, je serai dans le top 100, avait-il ajouté. Dans deux ans, je serai tout en haut. J’y crois. Je sais que ce ne sera pas facile, et que ça demandera énormément de travail.” Deux ans et trois semaines après cette déclaration, il faisait son entrée parmi les dix meilleurs joueurs de la planète. Cette croyance en lui, dure comme fer, il l’a forgée depuis ses plus jeunes années. “Je rêve grand, c’est comme ça depuis que je suis tout petit, a-t-il expliqué à Sportskeeda en 2021. Je crois que tous les enfants rêvent grand, mais qu’on ne les écoute pas, ou que leurs rêves ne sont pas pris au sérieux. Peut-être que les gens, voire les parents, en rigolent un peu alors vous êtes gêné et commencez à rêver moins grand.”

“Ma plus grande force, c’est ma détermination, ma combativité et mon amour du tennis” - Holger Rune

“Je crois que c’est aussi pour ça que beaucoup de gens n’osent pas afficher ouvertement leurs rêves, a-t-il poursuivi. Mes parents ont toujours soutenu mes rêves. Je me rappelle de beaucoup de dîners en famille où on me disait : ‘Mais tu dois aller à l’école, tu ne peux pas vivre de ton tennis.’ Mes parents répondaient : ‘Bien sûr qu’il peut !’ Ils croient réellement qu’on peut tout accomplir si on le veut vraiment, en étant passionné et en se donnant à fond pour y arriver.” Une volonté acharnée, à toute épreuve, qui lui a permis de franchir les étapes à pas de géant. Sans doute plus encore que la qualité de ses frappes de balle. “Ma plus grande force ? C’est ma détermination, ma combativité et mon amour du tennis.”

À tel point qu’à 18 ans, lors de l’US Open 2020, opposé à Djokovic pour son premier match d’un tableau principal de Grand Chelem, il a fermement cru en lui. “Je ne dis pas que si j’avais été à 100 % physiquement je l’aurais battu à coup sûr, mais j’aurais définitivement eu une chance”, avait-il déclaré après la rencontre perdue 6/1 6/7⁵ 6/2 6/1 en ayant souffert de crampes à partir du troisième set. Une mentalité rappelant, d’ailleurs, celle du surnommé “Nole” au même âge, après son premier duel face à un Roger Federer alors maître incontesté du tennis, sur la terre battue de Monte-Carlo en 2006.

“Je me suis rendu compte qu’il est bon, oui, le meilleur, mais que ce n’est pas non plus un extra-terrestre, avait lâché le Serbe, alors 67e mondial et issu des qualifications, vaincu 6/3 2/6 6/3. À un moment, j’ai eu le match sous contrôle. Je sais que j’ai eu une chance de gagner.” Un confiance en ses capacités parfois prise pour de l’arrogance, qui lui a souvent valu de recevoir une volée de bois verts de la part de ses détracteurs. Mais force est de constater que la suite de sa carrière lui a donné raison. Nul ne sait si Holger Rune réussira ne serait-ce que le quart de ce qu’a accompli Novak Djokovic. Mais ce dont on peut être certain, c’est qu’il fera flèche de tout bois pour tenter d’y arriver.