Leylah Fernandez, Emma Raducanu : fausses jumelles

Avec Leylah Fernandez et Emma Raducanu, c’est un peu le jeu des sept différences. Des profils similaires, mais avec plusieurs particularités propres. Toutes deux de la génération 2002 - la première a eu 19 ans le 6 septembre, la seconde les fêtera le 13 novembre -, les princesses de cet US Open 2021 sont fruits de métissages culturels. Montréalaise de naissance et élevée au Canada, Fernandez a des origines philippines par sa mère et équatoriennes par son père. Née à Toronto avant de grandir au Royaume-Uni, pays dont elle a la nationalité, Raducanu a une maman chinoise et un papa Roumain.

Raquette en mains, les deux jeunes femmes ne se laissent pas bouffer par la pression. Bien sûr, comme chaque joueuse et joueur, elles la ressentent. “J’étais très nerveuse”, a confié la Québécoise lors de la traditionnelle interview sur le terrain après sa victoire en quart de finale. Mais plutôt que de courber l’échine sous le poids de celle-ci, elles l’évacuent en souriant. Y compris après des échanges accrochés, gagnés ou perdus, à des moments cruciaux du match. “S’amuser sur le court, je pense que c’est la clef du succès pour moi, a expliqué Leylah Annie Fernandez, son patronyme complet, suite à son succès en huitième de finale.

“Prendre du plaisir sur le terrain, c’est mon état d’esprit depuis toujours, a-t-elle poursuivi. Celui que mon père et ma mère m’ont appris à avoir pour profiter de la vie. J’ai choisi ce métier, et je veux en profiter autant que possible, m’amuser. Depuis un très jeune âge, je pense être une fille joyeuse et insouciante. Je ne prends jamais les choses trop au sérieux. Je m’amuse dans tout ce que je fais.” Chez Emma Raducanu, même son de cloche. “En entrant sur le court, j’ai voulu absorber toute l’énergie du stade, a-t-elle relaté dans la foulée de son huitième de finale.

Pas de victoire sans plaisir, et un charisme qui fait chavirer les foules

“J’essayais vraiment de profiter du moment, a-t-elle ajouté. Jouer sur cet Arthur-Ashe, le plus grand court du monde, j’en rêvais. J’avais envie d’être dans le moment présent pour le vivre pleinement.” Au tour précédent, déjà, elle disait prendre “beaucoup de plaisir sur le court.” Dans des ambiances assourdissantes pouvant faire passer le bruit d’un décollage d’Airbus A380 pour celui d’un vulgaire coucou, les deux “gamines” ont fait preuve d’un charisme monstre. Jouant avec les fans en folie, les chauffant à blanc à coups de points spectaculaires et poings brandis pour faire sauter le couvercle de la cocotte-minute de Flushing Meadows, elles en sont désormais les chouchoutes.

Après Barbara Gerken en 1981 et Kaia Kanepi en 2017, Raducanu est devenue la troisième joueuse de l’histoire à atteindre les quarts de finale de l’US Open en sortant des qualifications. Sept matchs joués, aucune manche perdue. Depuis le début du tableau principal - son deuxième en Grand Chelem après son huitième de finale surprise à Wimbledon - elle a impressionné en écrabouillant Voegele (6/2 6/3), Zhang (6/2 6/4), Sorribes Tormo (6/0 6/1) et Rogers (6/2 6/1). Pour atteindre les demi-finales, Fernandez, qui n’avait jamais dépassé le troisième tour d’un Majeur auparavant, a eu des rencontres plus disputées.

Après une mise en jambe face aux coriaces Konjuh (7/6 6/2) et Kanepi (7/5 7/5), il a fallu pousser ses “gambettes” fluettes au bout de l’effort face à des reines de la WTA comme Osaka (5/7 7/6 6/4), Kerber (4/6 7/6 6/2) et Svitolina (6/3 3/6 7/6). En remportant tous les jeux décisifs. Le signe d’une gestion des émotions et d’une solidité mentale digne d’un roc sur lequel les vagues des attaques adverses viennent inlassablement se briser. Le résultat, aussi, d’une grande confiance en son travail. “Honnêtement, je ne suis pas surprise que cela  arrive maintenant”, a-t-elle affirmé après la joute contre Kerber, alors qu’elle a fait ses premiers pas sur le circuit principal à 16 ans.

Trajectoires et qualités différentes

“Je m’entraîne dur depuis le jour où j’ai commencé à jouer au tennis, depuis le jour où je me suis mis en tête de devenir professionnelle, a complété l’actuelle 73 mondiale, qui compte déjà un titre (Monterey 2021). Je m’attendais à ce que mon jeu me permette de réussir des performances comme celles-ci. C’était seulement une question de temps, d’opportunité, et je suis ravie de l’avoir saisie.” 150e au classement WTA, Raducanu n’avait quant à elle pris part à aucune rencontre du circuit principal avant 2021. A Wimbledon, elle pointait au 338e rang de la hiérarchie planétaire. Alors, à New York, pour son quatrième tournoi chez les grandes, elle ne s’imaginait pas à pareille fête.

“Je suis surprise d’en être là, a-t-elle reconnu. Je savais que je bossais bien et que ça finirait par payer, mais je ne m’attendais pas forcément à ce que ce soit dès maintenant. Être en quarts de finale après n’avoir pas joué pendant 15 mois (de fin février 2020 à juin 2021, en raison de la difficulté à pouvoir disputer des tournois ITF pendant la pandémie et de son baccalauréat à passer), c’est absolument incroyable.” Sur le plan du jeu, la Canadienne et la Britannique aiment dicter l’échange en cadence. Si la première, plus petite - 1,68 m contre 1,75 m - dégage un peu moins de puissance à la frappe, elle bénéficie d’un meilleur déplacement.

Gauchère, Leylah Fernandez est capable de trouver des angles, notamment croisés courts, à faire fantasmer un mathématicien. Elle utilise plus de variétés - slices, amorties, volées - qu’Emma Raducanu, dont la gestuelle est cristalline sur les coups recouverts. “Techniquement, Emma n’a aucun défaut", a estimé Daniela Hantuchová, ancienne numéro 5 mondiale, sur Amazone Prime. Bien que le chemin soit encore long, à en croire les dictons contradictoires “Qui se se ressemble s’assemble” et “Les opposés s’attirent”, les deux prodiges, avec toutes ses similarités mêlées d’oppositions, pourraient finir par se percuter, pour un choc, en finale.