Son retour avait les traits d'un petit animal farouche. Plus on s'en approchait, plus il s'éloignait. Opéré du genou droit en février 2020, Roger Federer voulait initialement - avant la pandémie et l'arrêt du circuit - être prêt pour la saison sur gazon. Finalement, il a dû se résigner à faire une croix sur l'année entière. La faute à des complications le poussant à subir une nouvelle arthroscopie. "Tout allait bien, je partais en balade avec les enfants, puis, après certaines sorties à vélo, le genou est devenu douloureux, a-t-il confié en conférence de presse en amont du tournoi de Doha. Je ne comprenais pas, parce que tout se passait à merveille à l'entraînement lors des quatre, cinq premières semaines. Je ne pouvais pas croire que j'allais devoir retourner sur la table d'opération. Là, j’étais au plus bas."
Malgré ce coup sur la caboche, le Suisse a redressé la tête pour voir plus loin. Nouvelle date ciblée à l’horizon : l'Open d'Australie. Encore raté, toutefois. Le physique n'était pas assez au point. Mais cette fois, ça y est. Ce mercredi, le tant attendu Federer retrouve les courts. Enfin. S'il a pu traîner sa jambe blessée pour parcourir le long chemin menant à cette reprise au Qatar, c'est en partie grâce à sa passion du jeu. "J'aime jouer au tennis", a-t-il réaffirmé. Un enthousiasme intacte qui a même impressionné Pierre Paganini, son préparateur physique depuis deux décennies. "Il est aussi passionné qu'il y a 10 ans, clairement, a relaté ce dernier lors d'un entretien accordé au média suisse Tages-Anzeiger fin février. Quand un joueur de bientôt 40 ans doit faire des exercices (pendant sa période de rééducation) qu'une personne de 70 ans ferait sans problème, tout en se réjouissant que chaque jour soit meilleur que le précédent : on peut parler de passion !"
“Il est aussi passionné qu’il y a 10 ans”
"Moi-même, après toutes ces années, je suis constamment épaté, a poursuivi le Français. Je me demande parfois : 'Pourquoi s'impose-t-il encore tout ça (après tout ce qu'il a accompli) ?' C'est un phénomène." Mais le Bâlois ne s'est pas infligé toutes ses épreuves simplement pour l'unique plaisir de caresser "la baballe". Il sent qu'il en a "encore sous le capot", que "l'histoire n'est pas finie." Son but est clair : être à nouveau capable de bousculer les cadors. Au point de les faire tomber. "J'aimerais retrouver un haut niveau, a-t-il déclaré, toujours en conférence de presse. Celui qui permet de défier les meilleurs dans les tournois les plus prestigieux. Et en gagner, si possible." Objectif qu'il ne s'attend pas à atteindre à court terme. S'il ne ressent "plus de douleur", le Bâlois sait qu'il a encore besoin de temps. "Je suis toujours dans un processus de reconstruction pour devenir plus solide, plus rapide, plus affûté, explique-t-il. J'espère être à 100 % pour Wimbledon. C'est à ce moment que la saison commencera pour moi. D'ici-là, on verra."
“En jouant davantage, en voyageant”, les “trois à cinq prochains mois” vont lui en “dire beaucoup plus sur son corps” et sa capacité à encaisser la compétition. “Ces dernières semaines, je me suis entraîné, en moyenne, entre 2h et 3h30 par jour, livre-t-il lors d’une séance de questions-réponses avec des enfants en amont de l’ATP 250 qatarien. Cette durée comprend le temps sur le court et les exercices physiques.” Suffisant pour se sentir en mesure de “pouvoir tout donner lors de [son] premier match à Doha”, assure-t-il quelques jours plus tard devant les journalistes. Habitué à tutoyer l’Olympe, il ne s’autorise cependant pas à viser monts et merveilles d’emblée. Du moins pas ouvertement. “Aucune chance que je sois à mon meilleur niveau, estime-t-il. Si on parle de résultats, les attentes sont basses. Mais j'espère pouvoir me surprendre, et pourquoi pas surprendre les autres…”
“Pour moi, le tennis, c’est comme faire du vélo”
S’il est encore incertain quant à l’évolution des réactions de son genou face à l’intensité du haut niveau, l’Helvète n’a aucun doute sur les qualités de son coup de patte. “Pour moi, le tennis, c’est comme faire du vélo, sourit-il. J’ai toujours été le genre de gars qui n’a pas besoin de beaucoup jouer pour être au top. Ce qui peut me préoccuper, c’est le genou. Je ne peux pas être sûr qu’il tiendra le choc, mais j’ai fait tout ce qui était possible pour que ce soit le cas et je suis confiant. Sinon, je ne serais pas ici.” En se remettant sur les rails, il reprend les commandes de sa destinée. Il veut choisir lui-même l’heure et le lieu du terminus, sans qu’une blessure le laisse définitivement à quai. “La forte volonté de revenir a toujours été là, s’épanche-t-il. La retraite n’a jamais vraiment été d'actualité. Je veux décider moi-même de la fin de ma carrière.”
Roger Federer le répète régulièrement - comme lors d’une interview accordée Schweizer Illustrierte en octobre dernier -, “tant [qu’il s’amusera] et que [son] mode de vie conviendra à [sa] famille, [il continuera] à jouer.” Lui-même ne sait sans doute pas exactement quand il rangera les raquettes. Néanmoins, la question pourrait se poser en fin d’année. Si jamais les résultats n’étaient pas aussi bons qu’escomptés, le plaisir serait-il toujours là ? “C’est à lui qu’il faudrait demander ça, a répondu Pierre Paganini. Il existe des parallèles entre la passion du jeu et celle de la victoire, mais ils s’arrêtent à un certain point. Vous pouvez aussi être passionné sans gagner. La question étant : combien de temps celle-ci peut-elle durer ?” Si son corps le laisse tranquille, l’animal Federer pourrait avoir les moyens d’atteindre, au moins, les demi-finales en Grand Chelem et Masters 1000. Pour la concurrence, les monstres du Big 3 ont toujours été difficiles à dompter.