Julien Reboullet : "Des tonnes de sujets à la reprise"

20 avr. 2020 à 12:43:00

La période sans sport met en difficulté une large population. Parmi elle, le journal L'Equipe, quotidien dédié à 100% au sport. Julien Reboullet, «  patron  » de la rubrique tennis, est revenu sur la situation actuelle, mais aussi sur la suite qui s'annonce passionnante en termes de rebondissements.

Quel est ton rôle à l'Equipe?
Je suis en charge de la rubrique tennis.

Comment se passent les conférences de rédaction de ta rubrique actuellement ?
Nous avons un groupe WhatsApp dédié au tennis. Seuls en font partie les journalistes qui écrivent sur le tennis, que ce soit pour le journal ou pour le site internet. A travers cet outil, nous faisons des points à intervalles réguliers sur les sujets qui sont déjà en boîte, ceux qui sont en construction ou ceux qui sont encore seulement en cours de réflexion. C'est là aussi qu'on s'alerte les uns les autres si on voit passer une info.

Les sujets vont devenir compliqués à trouver

Alors en cette période sans sport, quels sont les sujets que vous traitez  ?
Il n'y en a pas 10 000. Une fois que le séisme de l’arrêt de toutes les compétitions a été digéré, raconté, il y a eu les sujets sur la façon dont les sportifs occupent leur temps. Arrivent-ils quand même à s'entraîner  ? Sont-ils atteints psychologiquement d'avoir été ainsi stoppés net  ? Il ne s'agit pas d'une blessure, l'approche mentale n'est donc pas la même. Bien sûr, l’arrêt du sport n'est pas ce que l'on vit de pire en ce moment, mais cela reste quelque chose qu'ils doivent gérer parce que c'est leur vie. Après, en ce qui concerne le tennis, nous avons la  «  chance  » que ce soit un beau bazar au niveau de la gouvernance qui est complètement éclatée dans ce sport. Du coup, c'est pas mal pour nous car cela crée un feuilleton que l'on peut relayer.

Cette crise peut-elle avoir un aspect bénéfique concernant justement ce  «  bazar  »  au niveau des instances du tennis  ?
On est dans une crise qui devrait permettre d'atteindre une unité dans la gouvernance. On l'espère tous, car tout le monde a à y gagner. On l'a vu ne serait-ce qu'hier, avec le report de la Laver Cup à 2021, qui clôt d'une certaine façon le bras de fer virtuel avec Roland-Garros. Ce «  combat  » s'est donc arrêté et heureusement pour tout le monde. Ça ne veut pas dire que Roland-Garros aura lieu, mais ça veut dire que tout le monde essaie de réfléchir à une forme de logique dans la construction du calendrier. Cela avance. Après pour nous, il est clair que plus les jours passent et plus les sujets vont devenir compliqués à trouver.

N'y a-t-il pas aussi tous les lives, visios, vidéos que font les joueurs  ?
Ce qui est intéressant avec cette crise, c'est que chacun la vit à sa façon. On a vu par exemple des joueurs qui continuent à se produire en public, non pas en jouant au tennis, mais en se racontant, en échangeant, comme le font Benoît Paire et Stan Wawrinka de façon très amusante, très second degré, mais aussi très intimiste, parce qu'ils invitent des gens à venir prendre l'apéro chez eux. On a aussi vu qu'Andy Murray et Novak Djokovic leur avaient emboîté le pas, même si c'est quelque chose d'un peu plus sérieux. Alors attention, dans les «  StanPairo  », ce n'est pas que de la déconne. Oui ils rigolent, ils se chambrent, mais il s'y dit des choses très intéressantes pour les passionnés de tennis. D'autres font des vidéos, se mettent en scène différemment, mais au final chacun extériorise son confinement à sa manière.

La reprise promet d'être un moment intéressant.
Ce qui va être super intéressant à la reprise sera de voir qui aura le mieux géré cette période complètement insensée. Qui aura su rester en mode entretien physique, mais aussi et peut-être, surtout, psychologique. Parce que reprendre la compétition après 3, 4 ou 5 mois d’arrêt, ce n'est pas rien. Il y a eu une phrase très intéressante d'Alexander Zverev. Il dit qu'il avait l'impression que les jeunes étaient vraiment, cette fois-ci, en train de prendre le relais du «  Big 3  », mais que cette pause forcée risquait de ralentir le processus parce que ces trois-là ont une réelle capacité à se remettre en compétition beaucoup plus rapidement que les jeunes. Au moment de la reprise, ce sera donc super intéressant de voir qui aura su rester en mode compétiteur. Cette période promet d'être géniale pour nous, car il y aura des tonnes de sujets à faire.

Nicolas Mahut avait prévu d’arrêter après les Jeux Olympiques

Celles et ceux qui ont accès à un court de tennis seront-ils avantagés  ?
Bien sûr. Ceux qui ont accès à un court, ce qui à mon avis représente moins de 10 %, voire 5% des pros du tennis, seront forcément avantagés,notamment lorsqu'on approchera de la fin du confinement. Après, ce n'est pas parce qu'ils ont accès à un court qu'ils jouent forcément tout le temps. Lucas Pouille, qui avait bien anticipé en louant avant le confinement une maison dans le sud de la France avec un court de tennis, expliquait que lorsque que c'est ton métier et que tu n'as pas vraiment de perspectives, il n'y a pas forcément cette envie de jouer tous les jours. Pour le 15/4 passionné de tennis, bien sûr, mais pour les pros, c'est différent. Pour la fraîcheur mentale, jouer tous les jours n'est pas forcément une bonne chose. 

Quel est ton pronostic quant à la redistribution des cartes à la reprise  ?
Pour les très jeunes, comme Cori Gauff ou Félix Auger-Aliassime, qui jouaient très bien avec beaucoup d’insouciance et qu'on aura privés d'au moins 6 mois de cette façon de jouer sur un court sans pression, c'est terrible car cette jeunesse ne vient qu'une fois. Pour les plus vieux comme Nico Mahut, ceux qui avaient prévu d’arrêter après les Jeux Olympiques de Tokyo et qui devront peut-être attendre un an de plus s'ils veulent tenir leurs objectifs, ça ne va pas être simple. Quant à Roger Federer, je n'imagine pas qu'il puisse arrêter avant d'avoir décidé  lui-même  de jouer Wimbledon pour la dernière fois, de son propre chef  et non pas à cause d'une annulation. Ça va être intéressant de voir comment cette crise changera, ou pas, les plans des uns et des autres. Après, le pronostic est trop difficile parce qu'on n'a pas toutes les infos sur la façon dont chacun vit son confinement.

Que penses-tu des projets nationaux qui sont peut-être en train de voir le jour  ?
Je pense que c'est une très bonne idée, parce qu'il est évident qu'on pourra d'abord refaire des tournois en France, avec des gens qui sont sur le sol français depuis un moment, plutôt qu'un Masters 1000 avec des personnes qui arrivent de partout dans le monde. Je ne dis pas que ce sera facile, mais cela se passera forcément avant une reprise plus globale. C'est une façon de faire reprendre la compétition.

Combien de tournois vont pouvoir survivre à une année blanche  ?

Penses-tu vraiment que ces projets verront le jour ?
Pourquoi pas ? Un des bons résumés est celui de Thierry Ascione qui réfléchit actuellement à un projet dans le sud de la France. Il explique qu'il ne sait pas nécessairement si son projet pourra voir le jour, mais qu'il veut pouvoir appuyer sur le bouton  si la possibilité se présente. Je ne pense pas qu'il y ait un risque que cela prenne la place de l'ATP ou de la WTA. En revanche, ça peut, peut-être, réinstaller des compétitions qui avaient disparu. Je rappelle qu'en France, il y en avait une qui s'appelait «  le National  » qui était vraiment superbe. Un vrai championnat de France, avec les meilleurs Français qui s'affrontaient dans un tournoi. Ça comptait vraiment. Si cette année cette compétition revoit le jour, je suis certain que les meilleurs Français actuels voudront y participer.

Et le tennis à huis clos  ?
Il faut que ce soit l'ultime solution pour sauver parfois ce qui peut l'être. Qui dit tennis à huis clos, dit diffusion télé. Donc oui, on recrée quelque chose mais ce n'est pas une solution à long terme. On est blessé et il faut des pansements pour limiter le saignement. La question qui se pose aujourd'hui est  : combien de tournois vont pouvoir survivre à une année blanche  ? En France, le système est suffisamment bien fait pour que la fédération puisse venir en aide à des tournois comme Metz ou Lyon. Mais des tournois dans des petits pays, comme celui d'Estoril par exemple? La fédération portugaise a-t-elle les épaules suffisamment solides pour ce tournoi qui n'aura pas lieu  ? Prenons Monte-Carlo. On peut estimer qu'ils ne sont pas en danger, mais ils avaient investi énormément d'argent pour commencer à bâtir l'édition de cette année. D'ailleurs, on voit bien qu'au-delà des questions du calendrier, ce qui ressort beaucoup est ce qu'on va pouvoir mettre en place pour aider le monde du tennis. Les petits tournois, les joueurs moins bien classés, les coachs qui sont rémunérés par les joueurs qui eux ne touchent plus rien... Il y a une grande population qui est indépendante et qui se retrouve sans rien. C'est une des urgences du moment. On a vu que Djokovic a fait une proposition pour que le Top 100 en simple et le Top 20 en double essaient d'aider les autres. Ce qui doit se discuter au conseil des joueurs lundi (aujourd'hui).

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