Où étais-tu lorsque tu as appris l'annulation du BNP Paribas Open d'Indian Wells ?
A Indian Wells. J'étais déjà arrivé. J'avais passé quelques jours en Californie avant le tournoi, et j'étais sur place au moment du Challenger qui a lieu avant le Masters 1000. J'avais vu Lucas Pouille s'entraîner avec « Amé » (Amélie Mauresmo). Je suis toujours ami avec elle et on a passé un peu de temps ensemble. On était à mille lieux de penser qu'il allait se passer un truc aussi dramatique. Tous les joueurs étaient là. Nadal était là. Très vite, un bruit a couru. Mais tout était ouvert, le restaurant fonctionnait à plein régime. Tout était normal en définitive. Tout le monde se réjouissait d'être à Indian Wells car c'est l'un des tournois préférés du monde du tennis. Tout le monde s'entraînait normalement. On ne sentait rien venir et tout à coup, la nouvelle est tombée brutalement, suite à ce cas décelé dans la population autour de Palm Springs.
Te souviens-tu comment tu l'a appris ?
Je faisais des courses lorsque j'ai reçu un message du « council » (le comité des joueurs) comme quoi ils ne pouvaient pas mettre en danger la santé des joueurs. En fait, ce que le tournoi craignait aussi était le fait de faire venir des spectateurs qui seraient peut-être tombés malades. Les organisateurs auraient pu se retrouver avec des procès aux fesses ce qui est assez courant aux Etats-Unis. Il y avait donc à la fois la protection des joueurs et celle du tournoi. Le lendemain, je discutais avec Stefanos (Tsitsipas), qui venait d'arriver. Il avait joué en Coupe Davis avec la Grèce face aux Philippines, à Manille. Il est arrivé avec le décalage horaire, il était cuit. Je lui dit qu'il y avait des chances que le tournoi soit annulé et dans la foulée, ça été confirmé. Il est tombé des nues car il n'était pas du tout au courant, vu qu'il débarquait juste. Ensuite tout le monde était dans l'expectative quant à la décision concernant la tenue ou non du tournoi de Miami. Du coup, Indian Wells a décidé qu'en attendant que la décision tombe, l'hébergement était offert et que les joueurs pouvaient continuer à s'entraîner. Puis Miami a également été annulé et chacun est reparti chez soi.
Tu ne peux pas t'entraîner pendant 2 mois
Donc Stefanos est venu pour rien ?
Exactement. Il a patienté jusqu'à ce que la décision concernant Miami tombe, puis il est parti.
Où ?
Anna Wintour voulait faire un focus sur lui pour Vogue, mais je pense que ç'a été annulé. Il est quand même allé à New York, puis il s'est dit qu'il allait profiter de cette pause pour aller au Brésil. Mais tout le monde lui a dit que c'était une bêtise de partir là-bas. Il est resté quelques jours à New-York et maintenant, il est à Londres. Lorsqu'il a su que la saison sur terre était annulée, que Roland-Garros était reporté, il s'est mis à jouer sur gazon pour se préparer. Reste à espérer que la tournée sur gazon ait lieu, car vu le retard que prennent les Anglais en ce qui concerne les mesures sanitaires pour contrer le virus, je crains que ce soit « short ».
Du coup, c'est chômage technique ?
Par la force des choses, oui. Si on reprend le 7 ou le 8 juin, c'est dans deux mois. Tu ne peux pas t'entraîner pendant 2 mois. La planification d'une préparation ne se fait pas sur 2 mois, c'est beaucoup plus court et il y a toujours un but. Alors que là, le but est incertain.
Mais j'imagine que tu dois donner des instructions à distances aux joueurs, avec des exercices par exemple…
Un programme d'entretien physique a été donné par l'Académie (Mouratoglou) à tous les joueurs, avec une individualisation, des objectifs bien spécifiques qu'on a ciblés à l'avance, notamment sur le point faible à travailler. Pour Stefanos, par exemple, on sait qu'à chaque fois qu'il s’arrête assez longtemps, il a les articulations qui grincent, même à 21 ans. Et il y a donc des choses de ce genre qu'on doit travailler de manière très précise.
Mais comme tu dis, on ne peut pas se préparer pendant 2 mois. Alors que doivent-ils faire ? Faut-il qu'ils s’arrêtent totalement ?
La période la plus propice pour s’arrêter, c'est maintenant. A la limite, c'est comme si, à nouveau, ils avaient une période de vacances. Puis au bout d'une semaine ou deux, ils reprendront le travail avec un but bien précis. D'ici quinze jours, on en saura beaucoup plus sur la suite de la saison. Il faut savoir que si la saison reprend pour le gazon, derrière il n'y aura plus une seule semaine de libre jusqu'à novembre. Tout les tournois vont essayer de se recaser quelque part. Donc de juin jusqu'à fin novembre, cela va être du non stop, avec trois Grands Chelems à caser.
L'adaptation de dur à terre battue est hyper compliquée
Et les JO...
Les JO, c'est en suspens. Je pense que si les JO sont reportés, alors Wimbledon va trouver son créneau pour décaler ses dates. Même si les Japonais veulent à tout prix qu'ils aient lieu, ce serait sans doute plus raisonnable, comme l'Euro de foot, que ce soit décalé à l'année prochaine. De toute façon, ça ne changera rien. Dans beaucoup de sports, ils n'ont pas eu le temps de faire les minimas. Cet entêtement est complètement ridicule. Il vaut mieux décaler d'un an.
Et de mi-juin jusqu'à novembre, c'est jouable pour les organismes ?
Pour ceux qui vont au bout des tournois, ce n'est évidemment pas jouable. Tu ne vas pas pouvoir être à ton top sur tous les tournoi, ça n'est pas possible. Pour les joueurs qui passent deux tours puis qui s'arrêtent, ça ne pose aucun problème. Il y a déjà des joueurs qui jouent toutes les semaines. Par contre, pour les meilleurs, ça va changer la donne. Eux vont se focaliser sur les Grands Chelems.
Même s'il y en a 3 en 1 mois et demi ?
Ben oui. Et le plus dangereux, ce sera la charnière US Open/Roland-Garros. Ils n'auront qu'une semaine. L'adaptation de dur à terre battue est hyper compliquée. Moi, mon joueur (Tsitsipas), il joue sur toutes les surfaces, donc à la limite, ça peut bien se passer pour lui. Mais il y en a d'autres pour qui ça va être vraiment compliqué. Après, ça reste des athlètes de haut niveau et même s'ils sont touchés par le virus, ils ont la « chance » d'avoir le temps de s'en remettre.
Penses-tu qu'un joueur comme Rafael Nadal serait capable de faire une croix sur l'US Open sachant qu'il a Roland-Garros la semaine suivante ?
La situation de Rafa est un peu compliquée parce qu'il se dit : « Je peux rejoindre Roger Federer à 20 Grands Chelems en gagnant Roland-Garros ». Que va-t-il se passer dans sa tête : faire l'impasse sur l'US Open ? Je ne pense pas. C'est un trop grand champion. Il va aller à New York pour gagner l'US Open. S'il s'inscrit au tournoi, c'est pour le gagner. Il ne se contentera pas d'un quart ou d'une demie. Ce n'est pas Rafa ou alors, je ne le connais pas bien.
A quoi t'attends-tu en fin de saison ?
Je m'attends à des surprises. Tu ne vas pas pouvoir avoir le même niveau de jeu semaine après semaine. Les meilleurs se focaliseront peut-être sur les Grands Chelems et les autres vont se partager les 1000. Et il va y en avoir des 1000 cet été aux Etats-Unis ! Il y a déjà Toronto et Cincinnati, mais Miami et Indian Wells vont être à l'affût pour trouver un créneau.
Mon vis-à-vis était Gavin Hastings
Et ne penses-tu pas que la tournée asiatique risque de souffrir ?
A mon avis, elle va être annulée. Je peux te dire qu'en partant d'Indian Wells, aucun joueur ne voulait aller en Chine. Alors je ne sais pas quelle décision va prendre l'ATP, mais moi, je vois très bien Indian Wells venir se caler après Roland-Garros.
Ça risque d'être une saison où l'on passe d'une surface à l'autre chaque semaine ?
Oui. C'est tellement différent de tout ce que tout le monde a connu jusque-là ! Je pense que cette fin de saison va être complètement dingue. IMG, par exemple, a tellement investi que je ne vois pas comment ils peuvent se passer d'un tournoi. Bon, en octobre, les Dolphins occupent leur terrain donc le tournoi n'aura pas lieu là-bas, mais pourquoi pas un retour, pour une année, à Key Biscayne ? Va savoir.
As-tu déjà connu des situations aussi étranges dans ta carrière, que ce soit au tennis ou au rugby ?
En 2001, il y avait eu les attentats à New York et 15 jours après, on disputait une rencontre de Coupe Davis aux Pays-Bas. C'était un week-end à haute tension, car le jeudi ou le vendredi, il y avait eu l'explosion de l'usine AZF à Toulouse et tout le monde pensait évidement que c'était un autre attentat. Et comme la France était particulièrement menacée, l'ambiance était vraiment tendue. Après, il y a eu l'Open d'Australie cette année, avec les incendies. On n'était vraiment pas sûr que ça allait jouer. En tant que joueur de rugby, lorsque j'étais en France B, on devait jouer à Aberdeen en Ecosse. Il faisait très froid et le terrain était couvert de neige. Au lieu de déneiger, ils ont délocalisé la rencontre à Murrayfield, qui est équipé de chauffage par en-dessous, justement pour éviter ce type de situation dont ils ont l'habitude en Ecosse. Du coup, le stade était complètement vide. Un huis clos sans l'être. Je m'en souviens bien car mon vis-à-vis était Gavin Hastings.
Vous aviez gagné ?
Oui. On avait une belle équipe. Je ne me souviens pas bien de tous, mais Denis Charvet en faisait partie.
Et ton temps libre, tu l'occupes comment ?
J'essaie d'être le plus civique possible. Je ne sors presque pas, je m'informe, je regarde des séries. C'est un moment qui me permet aussi de prendre des nouvelles des uns et des autres. De par mon emploi du temps chargé, je n'ai pas beaucoup d'opportunités pour parler avec tout le monde dans mon entourage. Donc là, je profite de ce temps libre inattendu pour me resocialiser un peu !
Un mot de la fin ?
La solidarité, à un moment donné, doit prendre le pas sur tout le reste. Si on arrive à éradiquer ce virus rapidement, ce sera bien pour tout le monde et ce n'est que ça qu'il faut avoir en tête. Il faut s'adapter. Une des grosses qualités de l'être humain est l'adaptation. Donc s'il faut changer sa façon de vivre, qu'il s'agisse de la bouffe, du sport, du relationnel ou ce que tu veux, on est capable de le faire.