Uchronie : si les joueurs n'étaient toujours pas autorisés à sauter pour servir

27 nov. 2019 à 11:00:00

Pour aider l'Espagne à soulever sa 6e Coupe Davis, Rafael Nadal a remporté tous ses matchs - 5 simples, 3 doubles - sans jamais perdre son service. Un coup qu'il a énormément travaillé depuis ses débuts, et qu'il frappe en extension. Comme tous.

Qui ne saute pas n'est pas joueur de tennis. Du moins pas de haut niveau. Les plus rêveurs mis à part, la plupart des simples amateurs du dimanche que nous sommes n'essaient plus de toucher les nuages. Au service, les pieds restent au sol. Les professionnels, eux, cherchent toujours à atteindre des sommets. Sauf en cas de service à la cuillère, au moment d'engager, tous quittent le plancher des vaches. Sauter a plusieurs avantages : pouvoir trouver plus d'angles, mettre plus de puissance et aller plus vite vers l'avant en cas de service-volée. Même si Brian Battistone, fameux joueur à la raquette "double manche", exagère peut-être un tantinet en décollant à la manière d'un volleyeur.

Mais cette technique n'a pas toujours été autorisée. Jusqu'en 1961, le serveur devait impérativement garder l'une de ses deux semelles en contact avec le court. Un changement de règle révolutionnaire dont les joueurs ont mis du temps à saisir l'importance. "Je me rappelle avoir vu Arthur Ashe commencer à utiliser le saut au début des années 70, mais je l'ai vraiment remarqué quand John McEnroe est arrivé, a confié Allen Fox, auteur de plusieurs livres et joueur du circuit pro entre 1961 et 1969, au New York Times. Il y en avait sûrement d'autres, mais il a été le premier à réellement me faire prendre conscience de la vitesse à laquelle ça permettait d'enchaîner vers le filet."

Telle est notre réalité. Muni du générateur de vortex de Sliders : les mondes parallèles, j'ai pu en découvrir une autre. Un univers alternatif où la règle n'a jamais changé.

En se faisant refaire une partie de la trogne - bouche, nez, menton... - on ne modifie qu'un détail. Pourtant, c'est l'ensemble du visage qui renvoie une image différente. Le saut au service demeurant interdit, c'est toute la face du tennis qui change. Patte gauche touchée par la grâce, John McEnroe est un joueur de talent presque divin. Un extra-terrestre venu d'une planète où l'on sait tout faire sans jamais changer de prise. Mais dans ce monde, il semble plus humain. Parce qu'il gagne moins. Ne pouvant se propulser, il perd quelques précieux dixièmes de seconde pour suivre son service au filet. Face à un relanceur comme Björn Borg, impardonnable.

Résultat, dans cette réalité, les passionnés de tennis perdent un monument à contempler : la finale de Wimbledon 1981. Ici, pas de jeu décisif où le monde semble s'arrêter, cesser toute activité pour regarder en retenant son souffle. Ayant un peu plus d'espace pour tirer ses passings, Borg s'impose tranquillement, 6/3 6/4 6/4. "Je n'ai rien pu faire, lâche, dépité, l'Américain après la rencontre. "Contre lui, j'ai toujours l'impression d'être le Lapin blanc d'Alice au pays merveilles : toujours en retard." Les années passent. Avec l'évolution du matériel - raquettes, cordages - les maîtres de la relance prennent l'ascendant et Andre Agassi affiche même un palmarès plus fourni que celui de Pete Sampras.

Relance dominatrice

Autre exemple : l'ère Lleyton Hewitt. "Plus je servais fort, plus j'en mettais, mieux il retournait, explique Pete Sampras en conférence de presse après sa défaite 7/6 6/1 6/1 face à l'Australien en finale de l'US Open 2001 que nous connaissons. Il a le meilleur retour de ce sport. Vous allez le voir au top pendant les 10 prochaines années." Dans l'univers parallèle, la déclaration de "Pistol Pete" vise juste. Jusqu'en 2008, année de son opération de la hanche, le "COME ON !" sur pattes aux allures de surfeur écrase la concurrence. Sur surface rapide. Parce que sur terre battue, après l'époque Guillermo Coria - l'homme gagnant le plus de jeux de retours dans l'histoire depuis que l'ATP enregistre les statistiques - Rafael Nadal surgit, dès 2005.

Les serveurs n'enquillant pas les aces jusqu'à faire des trous dans le terrain, l'idée de ralentir le gazon de Wimbledon et augmenter la hauteur du rebond ne traverse même pas l'esprit des organisateurs. Contrairement à ce qu'il s'est passé "chez nous", à partir de 2002. Résultat, même s'il peut moins s'appuyer sur son service, Roger Federer en profite pour briller grâce à son jeu offensif aussi pur que le blanc immaculé de sa tenue. Puis, au début de la décennie 2010, suite à l'émergence de l'inégalable relanceur Novak Djokovic, "le Temple du tennis" prend une décision forte : rendre son herbe encore plus rapide. Une aubaine pour deux tourelles.

Isner et Karlovic, gardiens du "Temple du tennis"

Aidés par leurs grandes tailles, Ivo Karlovic - 2,11 m - et John Isner -2,08 m - restent de redoutables serveurs. Les jours où les nuages l'épargne, le gazon londonien, devenu aussi rapide qu'un parquet ciré, voit une autre pluie s'abattre sur lui. Une pluie d'aces. Surnommés "The Unbreakables", l'Américain et le Croate se partagent les titres en capitale anglaise. Rappeur à ses heures perdues, Karlovic se laisse même aller à quelques rimes pour célébrer ses succès : "You know my name is Karlovic / But you can call me 'Karlovace' / The man who loves ace, in your FACE !". Un moyen, aussi, de gagner en éloquence. Quand il chante, le bègue ne bute plus sur les mots.

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