L'histoire de la création de la WTA
Juin 1973. Alors que l’Angleterre attend impatiemment Wimbledon, 70 joueuses de tennis s’enferment dans une salle du Gloucester Hotel de Londres. Rosemary Casals, dite « Rosie », numéro 3 mondiale en simple en 1970, est du nombre. Alors que leurs équivalents masculins ont créé l’ATP un an plus tôt, elles ont décidé, elles aussi, de se forger un destin commun. « Nous avions besoin d’une structure pour permettre à toutes les joueuses de profiter du développement du tennis féminin, se remémorait Casals dans une interview donnée à la United States Tennis Association en 2022. Au début de la réunion, Billie a dit :
“Tant que nous n’avons pas créé une association de joueuses, nous ne sortons pas d’ici.”
Billie, c’est Billie Jean King. Celle qui remportera Wimbledon cette année-là. Celle, aussi, qui est à l’avant-garde d’un tennis féminin qui ne veut plus se contenter de ramasser les miettes de son pendant masculin. Lauréate de Roland-Garros 1967, la Française Françoise Dürr est également partie prenante de cette réunion historique, où King s’affirme en cheffe de file de toute une génération de joueuses : « Billie a demandé à Betty Stöve - qui était la plus grande d’entre nous - de se mettre devant la porte, pour que nous ne soyons pas dérangées, se souvenait-elle en 2020 dans le journal français L’Équipe. En deux heures à peine, nous avions créé la WTA ». L’aboutissement d’un combat collectif entamé trois ans auparavant.
L’ère Open a beau avoir débuté en 1968, le tennis professionnel féminin est alors encore largement déconsidéré par les organisateurs de tournois. « Les femmes étaient lésées financièrement parce que nous n’avions aucun contrôle, dans un sport dominé par les hommes, écrira en 1988 Billie Jean King dans son ouvrage We Have Come a Long Way. Les hommes possédaient, dirigeaient et faisaient la promotion des compétitions. Comme beaucoup d’entre eux étaient d’anciens joueurs, leurs sympathies allaient aux tennismen, et ils pensaient que la majeure partie de l’argent devait leur être redistribuée. ».
Les montants de prize money délivrés aux joueuses sont en effet souvent cinq à dix fois inférieurs à ceux des hommes. Une situation inacceptable qui, à l’été 1970, pousse la doublette King-Casals dans les bureaux de Gladys Heldman. Présidente du magazine World Tennis, cette dernière jouit d’une influence importante dans le milieu.
"Nous lui avons dit que nous envisagions de ne pas jouer les tournois à venir, par protestation, car nous trouvions fondamentalement injuste d’avoir un prize money si inférieur à celui des hommes. Mais nous ne voulions pas seulement nous plaindre. Nous voulions agir concrètement."
Rosie Casals, 2020
Alors que ce que l’on appelle « la deuxième vague féministe » transforme progressivement le monde occidental à partir de la fin des années 1960, Heldman est prête à soutenir la cause. Elle trouve notamment un sponsor d’envergure pour défendre ces joueuses contestataires : Virginia Slims, une marque du cigarettier Philippe Morris qui cible les femmes. Le 23 septembre 1970, sept joueuses américaines et deux australiennes – que l’on surnommera les « Original 9 » – signent un contrat symbolique d’un dollar avec la firme. King et Casals en font évidemment partie, accompagnées de Julie Heldman, Kristy Pigeon, Valerie Ziegenfuss, Jane Bartkowicz, Nancy Richey, Kerry Melville Reid et Judy Tegart-Dalton.Toutes réclament un rééquilibrage du prize money entre les hommes et les femmes et déclarent boycotter les tournois officiels tant que leur demande n’aura pas trouvé d’écho.
Un circuit féminin parallèle au circuit classique se développe alors. « J’ai gagné le premier tournoi disputé dans ce format et j’ai touché 1 600 dollars, racontait Casals en 2022 au Desert Sun, un quotidien californien. C’était déjà plus que le premier prix féminin de tournois importants pour l’époque, comme le Pacific Southwest. »
Aux neuf joueuses de départ s’ajoutent bientôt d’autres compétitrices, sensibles à la démarche militante. Françoise Dürr est l’une d’elles. « Quand les Original 9 se sont lancées, je leur ai dit que j’étais de tout cœur avec elles, confiait la Française à L’Équipe en 2020. Je suis allée à l’un des premiers tournois à San Francisco, en janvier. À ce moment-là, on était seize. Lors d’un autre tournoi à Detroit, on n’avait pas beaucoup de public. Alors, avec Billie Jean, on a distribué des billets devant un supermarché. On en a fait des choses ! » Le projet prend forme et, progressivement, une autre dimension.
En 1971, une quarantaine de joueuses prennent part à la dizaine de tournois organisés par Virginia Slims aux États-Unis. Une situation intenable aux yeux de l’USLTA, la fédération américaine de tennis, qui leur interdit de le faire. Les vieilles instances ne le savent pas encore, mais elles ont déjà perdu. La fronde menée par King aboutira donc à la création de la WTA, en 1973, une nouvelle structure qui prend les manettes du circuit féminin. Cette même année, l’US Open instaurait un prize money équivalent pour les joueurs et joueuses, alors que Billie Jean King remportait dans la foulée la célèbre Bataille des sexes, un match d’exhibition qui moquait le niveau du tennis féminin, défaisant le joueur retraité Bobby Riggs. Une période éminemment charnière, que celle qui a remporté douze majeurs a vécu comme une course pour l’égalité déterminante, mais exténuante :
"Quand je repense à cette année 1973, ‘fatiguée’ est le premier mot qui me vient à l’esprit. C’était une année pivot pour le tennis et les femmes en général. Je me rappelle juste que j’étais épuisée en permanence. Je me dis souvent que quand je dors, je rattrape le sommeil qui m’a manqué ces années-là."
Billie Jean King, USA Today