Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, le tennis, nouveau venu dans ce monde, en est à ses balbutiements. Il se déplace encore à quatre pattes. Dans cette position, difficile de lever la tête en direction des cieux. Alors, avant d'engager, il choisit la facilité. Il regarde ses petits petons potelés. Pour préparer un "service à la cuillère". Telle est la norme de l'époque. Puis, en 1878, un visionnaire vient tout chambouler : le Dr. Arthur Thomas Myers. Lors de la deuxième édition de Wimbledon, ce Britannique fait sensation en frappant la balle au-dessus de sa caboche. Grâce à son avant-gardisme, il gagne deux matchs et atteint les quarts de finale... Où il s'incline contre Frank Hadow, futur vainqueur du tournoi et inventeur du lob pendant la finale.
Dans les années qui suivent, la "technique Myers" se propage. En 1982, après plusieurs ajustements, la hauteur du filet passe de 1,22 m à 0,914 m en son milieu. C'en est fini du service par en-dessous. Le tennis grandit. Il n'est plus un bébé. Désormais, il se tient droit, fier et peut plonger ses yeux dans le bleu du ciel avant de commencer un échange. Cet abaissement à 0,914 m toujours en vigueur aujourd'hui permet aux premiers "bûcherons" d'envoyer du bois. Le Californien Maurice McLoughlin est l'un d'entre eux. En 1913, toujours sur le gazon londonien, il se hisse jusqu'en finale et épate la galerie avec sa "Cannonball". Une première balle d'une puissance inouïe, jamais vue jusqu'à présent.
À son arrivée sur le circuit, Bill Tilden, qui remporte le premier de ses 10 titres du Grand Chelem en 1920, se montre encore plus percutant. Il fait sienne et améliore cette fameuse "Cannonball". Certaines légendes racontent même que la grande tige américaine aux larges épaules aurait lâché un boulet à 263 km/h en 1931. Soit le service le plus rapide de l'histoire du tennis. Ce qui est, soyons lucides, aussi probable que croiser un ours polaire au Sahara étant donné le matériel de l'époque. L'explication venant, sans doute, d'une grossière erreur d'un radar à main douteux.
Entre 1930 et 1940, aux côtés de ses compatriotes Jack Kramer et Donald Budge, Ellsworth Vines s'impose comme l'un des gros bras du circuit. En finale de "Wimb" 1932, le natif de Los Angeles fait vivre un calvaire à Henry Austin. Du haut de son 1,89 m, il balance 30 aces en seulement 12 jeux de services. "Je l'ai vu faire son geste (au service), puis j'ai entendu la balle frapper la bâche derrière moi, raconte le pauvre Austin resté sans "powers" durant les 52 min d'un cinglant 6/4 6/2 6/0. L'arbitre a annoncé 'jeu, set et match', je n'avais pas vu la balle de la partie." Quelques semaines plus tard, Vines remporte l'US Open face à Henri Cochet en terminant sur un ace surpuissant qui fait exploser le public.
Dominateur dans les années 1950, Pancho Gonzales concasse ses adversaires avec un service passé à la postérité. Malgré une raquette en bois, il caresse régulièrement la barre des 200 km/h, voire la dépasse selon certains. Sa domination est telle que le circuit professionnel change brièvement ses règles pour lui interdire de pratiquer le service-volée. Puis, en 1961, le tennis connaît une nouvelle évolution. Après s'être redressé pour pouvoir regarder vers les nuages, il peut désormais tenter de les toucher. En sautant. Les joueurs n'étant plus forcés de garder un pied au sol pour servir. De quoi gagner encore un peu plus de puissance.
Le matériel aussi progresse. S'il commence sa carrière avec un outil de travail en bois, Roscoe Tanner passe au métal pendant la décennie 1970. Ne comptant pas parmi les plus grands - 1,82 m -, mais robuste et doté d'un avant-bras gauche aux allures de tronc d'arbre, il parvient à faire trembler les cadors de sa génération. En 1978, en finale du tournoi de Palm Springs, il envoie une praline si sucrée que le radar se serait excité pour afficher 246 km/h. Un record toutefois mis en doute. Il faut en effet attendre les années 1990 pour que les courts soient équipés du même matériel chronométrique que la police. Mais la surpuissance de "The Rocket" est incontestable. En quart de finale de l'US Open 1979, il écœure Bjorn Borg avec plusieurs aces le laissant sans la moindre réaction.
Malgré Kevin Curren, Goran Ivanisevic, Boris Becker, Mark Philippoussis ou encore Greg Rusedski, le mythe Tanner n'est battue qu'en 2004. Lorsque Andy Roddick fait parler la poudre pour atteindre 249,4 km/h. Au cours des saisons suivantes, seuls deux hommes parviennent à faire mieux. Deux géants. Ivo Karlovic, 251km/h en 2011, et John Isner, actuel détenteur du record de vitesse sur un service au tennis, grâce à 2 km/h de plus en 2016. Mais, officieusement, un duo est au-dessus. En février 2012, Albano Olivetti, 2,03 m sous la toise, lâche un caramel à 257 km/h. Quelques mois plus tard, Sam Groth, colosse australien d'un quintal pour 1,93m, ringardise le Français avec une ogive flashée à 263 km/h. Seul hic, ces deux performances sont réalisées sur le circuit Challenger. Les radars utilisés étant différents de ceux du circuit principal, l'ATP ne les homologue pas.
Mais peu importe les points de règlement. Servi à la cuillère au temps de ses premiers pas, le tennis, par les bras de Karlovic, Isner, Raonic, Tsonga, Querrey, Anderson, Cilic et bien d'autres, envoie désormais du pâté à la louche sur ses premières balles.