"Je me souviens de la balle de match, je me souviens d'un ou deux autres points clefs. Mais tout le reste, c'est une espèce de brouhaha d'émotions. Et finalement ce dernier petit coup droit, qui nétait pas très esthétique, c'est vraiment une délivrance." Ce dernier petit coup droit dont parle Guy Forget bien des années plus tard, en 2014, c'est celui de la balle de titre. Alors qu'il pense, comme tout le public, offrir le sacre suite à un service-volée, il voit Pete Sampras s'arracher. La balle revient. Lentement. Entre le plongeon de l'Américain et la frappe libératrice de Forget, deux secondes s'écoulent. Une éternité. Le Français a alors tout le temps de cogiter (à partir de 1:20:58).
Par chance, Charles Xavier, le leader des X-Men, était présent ce jour-là à Lyon. Voici ce que le mutant télépathe a lu dans les pensées du grand gaucher :
"Tous ces cris, ces gens debout... Ça y est, je l'ai fait, c'est fini, on a gagné ! Oh non, Pete y va ! Il plonge ce chtarbé ! Il se prend pour Johnny Weissmuller ou quoi ? Le gars ne lâche vraiment rien. Il est comme un poux capable de s'accrocher au crâne d'un chauve. La calvitie, un problème que n'aura jamais Agassi. Cette crinière qu'il a ! Foutu Andre... Il m'a coulé vendredi. J'étais sous l'eau.
En parlant de naufrage, je me demande quelles questions bateaux va encore me poser Nelson Monfort à la fin du match. Quelle galère ce Nelson ! Dès qu'il ouvre la bouche, j'ai l'impression d'être au Salon nautique. En tout cas, son interview va dépendre de ce que je fais de cette balle qui revient mollement vers moi. Satané Pete ! Comment l'a-t-il ramenée ? Pas de panique, Guy. Pas de panique.
Tu n'as plus qu'à frapper un coup facile, de débutant. Même un nonagénaire comme Jean Borotra le réussirait. Le fameux 'Basque bondissant'. La dernière Coupe Davis qu'on a gagné, c'était grâce à lui. Grâce aux 'Mousquetaires'. Ça fait un bail. Et maintenant il est là, en tribune, en train de vibrer pour nous à 93 balais. Sacré Jeannot. Et si jamais je ratais ? Que je boisais ? J'espère que son coeur ne va pas lâcher à cause de moi. Non, non, NON ! Enlève-toi cette idée de la tête ! Tu ne vas pas louper !
Ce vacarme dans le stade. Je n'entends plus rien. J'ai l'impression d'être à un concert de rock, l'oreille collée aux enceintes. Un vrai concert, avec de la vraie musique. Pas comme 'Saga Africa'. Franchement Yan, je t'adore, mais oublie cette idée de devenir chanteur. Tu vas vendre trois albums. C'est comme si Arnold Schwarzenegger voulait être gouverneur de Californie. Impossible. Personne ne voterait pour lui.
Bref. Reviens au jeu, Guy. Concentre-toi. Respire. Pete est au sol, impuissant, comme un boxeur attendant d'être compté. Tu n'as plus qu'à pousser la balle dans le court. Tranquillement. Regarde-la bien. Jusqu'au dernier moment. Jusqu'à ce que tu la frappes. Et ensuite, à nous le Saladier d'argent, le triomphe, la gloire. La cerise sur le gâteau pour moi, après mon entrée dans le top 10 cette saison grâce à mes titres à Cincinnati et Bercy. Chaque fois en battant Sampras, d'ailleurs. Ce type est mon porte bonheur. Je vais lui faire une petite blague à la fin :
'You'll never forget Forget.' C'est bon ça ! Je devrais proposer mes services à Raymond Devos. Je peux aussi la ressortir à tous les médias anglophones. Ça va faire un tabac. Bon sang ! La balle arrive et, à force de divaguer, je suis aussi bien placé qu'une blague grivoise à un enterrement. Reste calme, ce n'est rien. Quelques pas en arrière, et c'est bon.
Au diable la beauté technique, un tout petit coup droit suffira. Le coup droit le plus pourri de ma carrière. Le plus beau coup droit de ma vie."