Il y a pile 90 ans, la France d’Henri Cochet, René Lacoste, Jean Borotra et Jacques Brugnon remportaient pour la première fois la Coupe Davis 1927 en triomphant des Etats-Unis, septuples tenants du titre. Alors que l’équipe de Yannick Noah aura l’occasion de célébrer dignement cet anniversaire ce week-end à Lille, voici dix curiosités ou moments de bravoure qui ont accompagné cette finale. Sans laquelle Roland-Garros n’existerait peut-être pas…
1/ Six jours de voyage pour rallier l’Amérique
En 1927, seul l’aviateur américaine Charles Lindbergh a déjà survolé l’Atlantique. En attendant les premiers vols commerciaux, les meilleurs joueurs du monde eux se déplacent tranquillement sur les flots, au rythme des paquebots. En raison des six jours de voyage nécessaires pour rallier l’Europe à New York, le calendrier est contraint de la “jouer serré”. Voilà pourquoi “les Mousquetaires” doivent disputer en à peine plus de trois semaines leur demi-finale de Coupe Davis (à Boston), leur finale (à Philadelphie), et le Grand Chelem de Forest Hills (à New York, l’ancêtre de l’US Open) dans la foulée. Un road trip, en somme.
2/ Cochet et Lacoste forcent sur le buffet
C’est le capitaine de l’équipe de France Pierre Gillou qui rapporte l’anecdote dans Histoire du tennis, de Pierre Albarran. Arrivés les premiers sur le sol américain début août, Henri Cochet et René Lacoste connaissent une mise en route bien pataude. Inscrits au tournoi de Southampton pour se remettre en jambe après Wimbledon, les deux champions français ont été battus... par les petits fours et les bulles de champagne ! “Ils furent trop bien reçus, si bien qu’ils se virent éliminés rapidement de l’épreuve. Lorsque j’arrivai à New York le 15 août, je ne leur ai pas caché d’ailleurs que c’était fini de rire et qu’il allait falloir se mettre sérieusement au travail.” Et rester dans sa bulle.
3/ Les Français réalisent un retournement de situation inédit
De la même manière que l’on a oublié que les Français ont gagné leur sixième Coupe Davis en 1932 à la faveur d’une énorme faute d’arbitrage, le sauvetage de 1927 est aussi passé à l’as. En effet, cette année-là, la France devient la première nation à remporter l’épreuve après avoir été mené 2 points à 1 à l’issu du double... Une remontrée que les Français n’ont jamais plus réussi par la suite lors d’une finale. The french paradox?
4/ Seulement une dizaine de supporters français sur place
Des deux côtés de l’Atlantique, des dizaines de milliers de lecteurs s’arrachent les journaux chaque matin. Contrairement aux éditions 1925 et 1926, où les Français ont courbé l’échine face à une bien meilleure équipe américaine, les bleus arrivent cette fois à Philadelphie plein d’espoir(s) : René Lacoste et Henri Cochet viennent de battre Bill Tilden, respectivement en finale des Internationaux de France et de Wimbledon. “À notre arrivée, nous avons trouvé une ambiance fantastique. Nous sommes alors précédés d’une réputation flatteuse et la ville est en émoi. Il ne reste plus une place de libre, et les paris vont bon train. Certains d’entre eux nous mettent même à égalité avec les Américains”, raconte Henri Cochet au micro de Radio Paris en 1943. Seule ombre au tableau selon lui : le nombre de supporters français dans les tribunes. “Ils devaient être entre huit et dix…”
5/ Une seule solution pour suivre la rencontre en direct…
C’était avant la télévision et Internet. En 1927, Ppour suivre une rencontre de Coupe Davis en direct, les supporters français doivent se rendre devant le siège de L’Auto Journal, rue du Faubourg Montmartre, à Paris. En relation téléphonique régulière avec Philadelphie, le quotidien réactualise tant que possible les résultats sur sa façade. “Jusqu’à une heure avancée de la nuit, les promeneurs stationnèrent devant le tableau porteur de la bonne nouvelle”, relate le journal, également responsable des concerts de klaxon qui ont animé ce recoin des Grands Boulevards tout le week-end. “René Lacoste Président !”
6/ Les Mousquetaires sont allés se coucher directement après leur victoire
Auteur du point décisif à 2 points partout, Henri Cochet évoque une ambiance très particulière sur la balle de match : sa raquette vole et le chapeau de son capitaine, Pierre Guillou, l’imite. “Brugnon, le calme, manque d’avaler sa pipe fidèle.” De son côté, René Lacoste danse et gambade. “Nous nous livrons à mille excentricités.” Mais comme frappé de stupeur, le public ne manifeste pas. Pendant quelques secondes, avant de recevoir enfin des hourras respectueux, un silence compact écrase le stade. Avant que la fatigue ne saisisse l’équipe de France au moment de la victoire. “Nous ne soupons même pas ensemble. Epuisés, nous ne désirons que le calme et le repos. Nos nerfs ont tellement été tendus que leur détente est brusque et nous donne une fatigue supplémentaire.” Un dîner presque parfait.
7/ La presse fait un cadeau aux joueurs
Vous imaginez mal L’Equipe faire une quête auprès de ses lecteurs afin d’offrir un cadeau à Jo-Wilfried Tsonga et ses coéquipiers en cas de victoire ? C’est pourtant ce qu’a fait l’ancêtre du journal, L’Auto, dans son édition du 12 septembre 1927. « Nous ouvrons aujourd’hui une souscription destinée à offrir, aux noms de tous leurs admirateurs, un souvenir à chacun des quatre mousquetaires. » Cet élan du cœur permet au quotidien de récolter près de 25.000 francs (soit environ 15.000 euros) ; d’organiser une exhibition et un banquet en leur honneur au Racing Club de France. Les “merdias”.
8/ La victoire “réactive” le projet de construction d’un stade.
Nul n’ignore que c’est précisément cette victoire française de 1927 qui a engendré la construction d’un grand stade du côté de la Porte d’Auteuil. En réalité, l’idée d’ériger une enceinte digne de recevoir les grandes rencontres de Coupe Davis avait déjà été avancée avant même le succès de Philadelphie. Mais les travaux n’ont commencé que bien après, durant l’hiver 1927-1928, ce qui fait alors grincer la presse, et notamment Paris-Soir. “Une fois de plus en France, on n’aura réalisé quelque chose de bien que poussé par les événements au lieu de les avoir devancés.” Les “journalopes”.
9/ Le saladier d’argent exposé en plein centre de Paris
Avant la construction du stade Roland-Garros, la Fédération Française de Tennis a longtemps élu domicile en plein centre la capitale, rue Auber, à jet de balle de l’Opéra Garnier. C’est ici, dans la vitrine de la FFT donnant sur la rue, qu’est exposé le saladier d’argent durant toutes les années où elle fut détenue par les Mousquetaires, c’est-à-dire de 1927 à 1932. Depuis, à chaque victoire française, le trophée est montré au public à Roland-Garros même, là où la fédération a installé ses bureaux après-guerre.
10/ Le tirage au sort est effectué par le président de la République
Le 12 octobre, une fois tous rentrés à Paris, les quatre héros sont convoqués à l’Elysée par Gaston Doumergue, qui effectue le tirage au sort de l’édition suivante le 3 février 1928. “Je félicite par avance ceux qui auront la gloire. Car c’est une gloire de détenir la Coupe Davis”, déclare le chef de l’Etat avant de mettre la main dans l’urne. Une tradition aujourd’hui oubliée : de nos jours, le Président se contente de féliciter et de distribuer des médailles. Comme en 1977, lorsque Valéry Giscard D’Estaing remet aux Mousquetaires les insignes d’officier de la légion d’honneur pour fêter les 50 ans de la première de leurs six victoires dans l’épreuve. À vous, Emmanuel Macron…