Arthur Larsen, la fureur de vivre

4 févr. 2015 à 10:03:22

Arthur Larsen, la fureur de vivre
Amoureux des filles, des nuits et de l’alcool, Arthur Larsen, excellente raquette des fifties, marqua son époque à la cendre de ses cigarettes. Avant d’avoir un grave accident de la route, un soir, en rentrant chez lui…

Il a fait tout comme James Dean. Américain, amoureux des filles, des nuits et de l’alcool, Arthur Larsen, excellente raquette des fifties et finaliste de Roland-Garros en 1954, a eu un grave accident de la route, un soir, en rentrant chez lui. Avant de mourir dans l’anonymat, bien des années plus tard, et de marquer son époque son époque à jamais. A la cendre de ses cigarettes.

 

Les touristes sont toujours là, plus nombreux encore peut-être. Les néons illuminent toujours le quartier, mais les truands ont déserté et les filles ont changé de trottoir. Si Pigalle ne sent plus son souffre d’antan, la nostalgie marche à plein tube : celle d’une capitale du crime et du plaisir tarifé, des années 50 et 60, forte de ses tripots clandestins et de ses numéros d’effeuillage appréciés des noctambules parisiens et internationaux. Parmi eux, Arthur Larsen, dit « Tappy », légende du tennis américain d’après-guerre. Il faut dire que le joueur se couchait en général 10 heures avant d’être convoqué pour une rencontre. Si cette dernière était prévue à 14 heures, il s’endormait à 4 heures. « De toute façon, je ne sais jamais quoi faire le matin », disait-il. À cette époque, le manque de sommeil ne l’empêche pas de bien jouer. En 1955, il bat le Français Georges Deniau en trois petits sets lors d’un match de troisième tour de Roland-Garros, après une nuit passée à écumer les bars. Du côté de Pigalle, évidemment. « Personnellement, je suis allé me coucher relativement tôt, rembobine pour nous Deniau, alors de sortie pour un dîner entre amis. J’ai croisé Tappy et mes copains m’ont dit : ‘Ne t’inquiète pas Georges, Larsen n’est pas couché. Et en plus, on va te l’arranger pour demain’ ». Personne ne sait à quelle heure exactement Art – son autre surnom -  est finalement rentré chez lui. Une chose est certaine, il a quitté la fête sur les coups de cinq heures du matin, deux œufs au jambon et une dernière bière dans le ventre. Avant, quelques heures plus tard, d’écraser son adversaire 6/0 6/2 6/2. « Au troisième jeu du premier set, lors d’un changement de côté, Larsen m’a quand même sorti : ‘Tu sais Georges, j’étais bourré hier soir. Et quand je suis bourré, bah je suis le meilleur joueur du monde !’ »

 

« Un extra-terrestre des tics et du fétichisme »

 

Finaliste du tournoi parisien en 1954, Arthur Larsen fascine encore plus aujourd’hui que du temps de ses splendeurs et décadences. Car sans cette étoile filante, Roland-Garros perdrait assurément un peu de sa mythologie. La légende de la star, elle, trouve sa triste source dans les cadavres de la seconde guerre mondiale. Américain descendant d’une famille danoise très sportive – son père était boxeur et son grand-père joueur de baseball -, Larsen est le seul survivant de sa section lors du débarquement à Omaha Beach, en juin 1944. « Il s’est retrouvé seul au milieu d'un tas de cadavres et s’est perdu comme un somnambule, dans la campagne normande. Bombardé par sa propre aviation, Art Larsen a échappé à la mort par miracle et continué la guerre à travers la France, la Belgique et le Luxembourg comme un automate du malheur », retrace Patrick Proisy dans Les Incroyables destins des stars du tennis« Tous mes frères d’armes sont morts à travers l’Europe et vous ne pouvez oublier quelque chose comme ça, témoignera-t-il un jour. Durant ma carrière, la peur de mourir s’est transformée en peur de perdre ». De ces évènements, Larsen ne conserve aucune blessure physique, mais de sérieuses cicatrices psychologiques. Ses cauchemars se multiplient, sa folie douce prend le dessus.

 

Au tournoi de Forest Hills en 1950, seule victoire en Grand Chelem de sa carrière, il demande à ce qu’on recouvre d’une bâche les d’aigles géants en marbre clair qui surplombent le court, assurant que ces sculptures perturbent la sensibilité de l’aigle imaginaire qui, selon lui, vit depuis des années sur son épaule et lui sert d’ange-gardien. S’il remporte le tournoi à l’issue d’une finale en cinq sets contre son compatriote Herbert Flam, il lâchera après la rencontre : « Il m’énerve, cet aigle noir… Voilà qu’il me suit maintenant dans les vestiaires ». Patrick Dominguez, dans son ouvrage l’Amour du tennis, ne dit pas davantage : « C’était un extra-terrestre des tics et du fétichisme (…) Au point que certains jours, il n’osait pas ouvrir sa valise de tennis contenant ses tenues et raquettes, persuadé que des serpents s’y étaient enroulés ou cachés ! Certains jours, l’ouverture de sa valise pouvait prendre jusqu’à une demi-heure, et ensuite, lorsqu’il s’habillait, Larsen avait entre chaque geste un mouvement de la tête vers le côté droit pour ‘chasser l’aigle qu’y si trouvait’ et ainsi pourvoir enfiler sa chemise ou son pull »Des habits que Larsen, une fois revenu aux vestiaires après la rencontre, ne voulait plus retirer et gardait, trempés, sur lui toute la journée, et même la nuit et jusqu’à son réveil, le lendemain matin…

 

Amorties-lobs et filet mignon

 

Toutefois, il sait aussi soigner son look et sa réputation. En témoigne ce petit entrefilet de l’Equipe, en 1954 : « Il est trois heures de l'après-midi. Pantalon crème, chaussures noires, léger pardessus marron gris foncé entrecoupé de lignes transversales orange, un magnifique Leica en bandoulière dont il ne s'est pas encore servi, cigarette aux lèvres, quelques raquettes sous le bras, Larsen entre à Roland-Garros pour déjeuner. » Tous les jours, ce lève-tard prend son petit déjeuner et son lunch en même temps au stade, pour gagner du temps. Oranges pressées, œufs brouillés, potages, spaghettis bolognaises, frites, filet mignon, vin, bières… Larsen peut jouer en sortant de table, la panse pleine. La digestion n’a aucune importance. En match, il ingurgite jusqu’à 20 canettes de Coca-Cola. Parce qu’il ne sait jamais quoi faire de ses mains, il grille une soixantaine de cigarettes par jour et, selon Philippe Chatrier, en taxe à tout va. Parfois, il lui arrive même de fumer en entrant dans un stade. « Pour ça Larsen était infatigable, mais cela ne paraissait pas lui faire grand mal », s’étonnait son compatriote Budge Patty. Sur le court en effet, ses excès ne l’empêchent pas d’avoir de bons résultats, d’être intronisé dans l’équipe américaine de Coupe Davis par BNP Paribas. Fin technicien, sa vitesse et ses changements de rythmes sont redoutables. À Roland-Garros, la turbulente tribune D est amoureuse de lui ; les Parisiens aiment son toucher magique, lui qui est capable de faire exploser de rire le central avec ses improbables séries d’amorties-lobs. Ils aiment aussi son côté différent, sa belle gueule d’acteur de cinéma. « Pas dans le genre clean-cut du GI Trabert, son frère d'armes et son tombeur de 1954, estime Jean Lovera dans son livre Tennis : art de jeu, art de vivre. Non, dans un style plus européen, plus nordique, avec surtout une bouche de mystère et de drame. Irrésistible ! ».

 

Si le tennis fait donc office de dérivatif pour ce traumatisé de la seconde guerre mondiale, la figure de la mort le rattrapera de plein fouet en novembre 1956. Quelques mois seulement après l’accident mortel de James Dean, son parfait équivalent dans le cinéma américain, il roule, lui aussi, trop vite un soir en rentrant chez lui. Victime d’un accident de scooter, il est paralysé du côté droit, perd la vue et l’ouïe du même côté. Il doit alors tout abandonner. Et quitter un monde du tennis qui n’aura plus de nouvelles de lui mais n’en prendra pas non plus. Au point qu’en 2010, sur les antennes de Radio Bercy, Georges Deniau, évoquant son match contre Larsen à Roland-Garros, en 1956, assure : « Larsen a eu un accident de scooter quelques mois après notre match. Il est mort quelques années après ». En réalité, Arthur « Tappy » Larsen décède en décembre 2012, à 87 ans. Une information rapportée par le site internet de l’International Tennis Hall of fame, où il fut intronisé en 1969. Dans l’oubli général. Mais dans la légende, jusqu’au bout.

 

Par Victor Le Grand et Julien Pichené

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