Environ 90 minutes pour 5 sets ! Le 12 janvier dernier à Sydney, Roger Federer et Lleyton Hewitt ont testé le « Fast4 », une nouvelle formule avec des sets en 4 jeux gagnants, no-ad, et permission de s’asseoir seulement entre deux manches. Simple expérimentation ou vraie révolution? Sachant que dans le tennis, on teste beaucoup, mais on ne change presque jamais rien, il y a fort à parier que les matchs marathon ont encore de belles heures devant eux.
C’est une véritable boucherie. A ceux qui n’ont pas encore entendu parler du « Fast4 », passez le tennis au broyeur, désosser ses temps morts et éplucher tout ce qui semble inutile. La formule express obtenue est alors idéale pour les médias pressurés et les consommateurs pressés que nous sommes. Le 12 janvier 2015, à Sydney, c’est sur un score raccourci que Roger Federer a ainsi dominé Lleyton Hewitt sur le score de 4-3 2-4 3-4 4-0 4-3 lors d’une exhibition à valeur de test. On s’en doute, ce système avantagerait les surprises, éclaterait la hiérarchie. Mais pose beaucoup de questions : s’il devient impossible de s’ennuyer devant un Robredo/Granollers, peut-on dire que le tennis en sortira grandi ? Ivo Karlovic pourra-t-il gagner Wimbledon à 40 ans ? Faudra-t-il baisser les prize-money ? Et les tournois du Grand Chelem, on les réduit à une semaine ? Et surtout, on s’y met quand ?
Un point vaut 30 dollars
Du calme, il ne s’agit pour l’instant que - rappelons-le - d’un essai de plus. Qui doit d’ailleurs réjouir la télévision, complice exigeante du sport. Oui, on a de plus en plus de chaînes mais de moins en moins de temps. Le saviez-vous : le tube est déjà à l’origine de l’unique opération chirurgicale subie par le tennis, à l’époque insolite des deux jeux d’écart. A la fin des sixties, les breaks se raréfient et les scores ont commencé à tendre vers plus l’infini. En 1969, un an après avoir perdu un double aux Etats-Unis qui a fait disjoncter le tableau d’affichage (26-24 17-19 30-28), l’Américain Charlie Pasarell rejoue (et reperd) un match impossible, cette fois sur le Central de Wimbledon, et contre la star du moment, Pancho Gonzales, sur le score de 22-24 1-6 16-14 6-3 11-9. 112 jeux pour 5h12 ! Si ce premier tour fait la Une de tous les journaux, il n’a ni arrangé les affaires des organisateurs, ni celles de la BBC.
Le premier homme à avoir (re)pensé le tennis pour qu’il s’adapte mieux au petit écran est Lamar Hunt, le créateur du contesté circuit parallèle W.C.T, où le public était autorisé de crier pendant les échanges. Voulant du bruit et de la fureur à tous les étages, le riche promoteur a d’abord testé plusieurs fois en 1968 les rencontres en deux manches gagnantes de 31 points. Exemple à Miami où Butch Buchholz bat Tony Roche 31-22, 31-26. Sont venues ensuite les rencontres en un seul set de 10 jeux. Et, plus déconcertant, celles à la durée définie à l’avance : le vainqueur est tout simplement celui qui a gagné le plus de points lorsque sonne le buzzer. Curieusement, c’était déjà à Sydney, 47 ans avant Hewitt et Federer, que Tony Roche avait ainsi battu Roger Taylor sur un score de basket-ball, 96 à 63, avec un prize-money en fonction du nombre de points gagnés. Un point remporté vaut alors entre 10 et 30 dollars. Plus iconoclaste, tu meurs !
« Je risque l’infarctus »
Ces loufoqueries rapidement mises de côté, c’est finalement vers une vieille idée d’un ancien joueur américain, James Van Halen, que s’est penché Lamar Hunt : faire disputer à 6 jeux partout un grand jeu décisif de 7 points gagnants, durant lesquels les adversaires alternent les services. Le 2 février 1970, soit moins d’un an après le match Pasarell-Gonzales de Wimbledon, Hunt lance le concept à Philadelphie contre l’avis même de la Fédération Internationale, qui envoie un télégramme lui ordonnant de respecter le règlement. Dans l’ensemble, les cobayes -Laver, Rosewall, Newcombe, Ashe, Okker ou Santana- ne sont guère convaincus. « La tension nerveuse provoquée par ce brutal changement de valeur des points est trop importante. Je risque l’infarctus », s’esclaffe Pancho Gonzalez en sortant d’un match tranché au tie-break. Son application est restée sauvage pendant une décennie, certains tournois posant la borne du tie-break à 6 jeux partout, d’autres à 8 partout, d’autres encore choisiront le format 9 points, soit le premier arrivé à 5, avec une balle de set pour les deux joueurs en cas d’égalité à 4 partout (c’est ce qu’ont fait Federer et Hewitt en Australie). La situation ne s’est standardisée qu’en 1978, deux ans avant le tie-break de 34 points disputé par John McEnroe et Björn Borg à Wimbledon. Avec ce chef d’œuvre, le jeu décisif a été justement reconnu pour ce qu’il est : un exceptionnel concentré de suspense. Le tennis télévisé semblait enfin avoir trouvé son format idoine. C’est bon, on ne touche plus à rien… pensait-on !
La relative crise de popularité qu’a ensuite traversée le tennis lors des années Pete Sampras a fait renaître la même lubie : les matches seraient encore trop longs ! En juillet 2000, le tournoi Futures d’Aix-les-Bains sert de laboratoire : sets en 4 jeux, no-ad, et même super tie-break (jeu décisif en 10 points gagnants pour remplacer les sets décisifs). Visiblement, l’expérience n’a pas séduit. Alors pourquoi ce dossier que l’on croyait « classé sans suite » réapparait-il maintenant ? Sans doute parce que le temps gagné par l’apparition du tie-break a été, depuis, largement perdu par l’évolution naturelle du jeu (niveau plus élevé donc temps de récupération plus long, utilisation intempestive de la serviette, etc…). Ce n’est pas un hasard après tout si 11 des 20 matches les plus longs de l’histoire ont été joués dans les années 2000. Joli paradoxe : à l’époque des raquettes en bois, « où la balle n’avançait pas » diront peut-être les impies, un match en cinq sets pouvait ne pas excéder les deux heures ! Il existerait donc d’autres solutions, moins brutales que ce « fast4 ». Ré-accélérer certaines surfaces par exemple, ou généraliser ce buzzer mis en place lors de l’International Tennis Premier League en décembre dernier, afin de raccourcir ces temps morts entre deux échanges ?