Raquette spaghetti, drôle de western

21 août 2012 à 17:43:40

Au printemps 1977, le monde du tennis s’est retrouvé déstabilisé pendant plusieurs mois suite à l’invention d’un horticulteur allemand : la raquette spaghetti. L’histoire du sport a depuis toujours été bouleversée...

Au printemps 1977, le monde du tennis s’est retrouvé déstabilisé pendant plusieurs mois suite à l’invention d’un horticulteur allemand : la raquette spaghetti.

L’histoire du sport a depuis toujours été bouleversée par des inventions, des innovations, des trouvailles qui l’ont changé à jamais ou perturbé l’espace de quelques mois, voire de quelques jours. La faute à des chercheurs, des scientifiques de haut vol ou des imposteurs de grand chemin. Ces déflagrations sont souvent au départ l’apanage de quelques-uns mais finissent par profiter à tous. Le moteur turbo a propulsé Renault à la une des gazettes du monde entier dans les années 70 à défaut de podium au départ. Les catamarans et autres trimarans ont bouleversé le monde bien agencé de la voile. Mais sur des bateaux ou dans le sport automobile, les avancées technologiques sont des composantes essentielles. Le saut en hauteur n’a plus été le même quand Dick Fosbury est devenu champion olympique de saut en hauteur en 1968 en franchissant les barres sur le dos ; le rouleau ventral avait vécu. Les combinaisons en polyuréthane en natation, l’apparition des crampons en aluminium (qui aidèrent les Allemands de l’Ouest à gagner le Mondial de football de 1954, Ndlr) ou le passage de la cendrée au tartan pour les courses en athlétisme sont d’autres marqueurs de ces mutations perpétuelles. Et le tennis n’y échappe pas.   (Source photo)   La panacée des lifteurs   Cela commence par Spencer Gore, ce joueur anglais qui décide de monter au filet à Wimbledon à la fin du XIXème siècle ; une hérésie pour l’époque. Les raquettes sont en bois, puis métalliques et encore métalloplastiques. Les cordes sont en ficelle, en synthétique, en boyaux de mouton. On a allongé le manche pour les revers à deux mains, on a agrandi le tamis… Mais l’épisode le plus fameux de cette quête effrénée à la performance remonte au printemps 1977. Nom de code : « raquette spaghetti ». A cette époque, il y a comme un flou juridique dans la réglementation des raquettes de tennis. Werner Fischer, un horticulteur allemand, cordeur à ses heures perdues, s’engouffre dans la brèche. Au printemps, ce bricoleur hors-pair propose à quelques joueurs du circuit de tester sa raquette révolutionnaire dont il a doublé les cordes par superposition avec du caoutchouc, coincé aux intersections. Les effets en sont démultipliés, particulièrement le lift, et la balle devient incontrôlable pour l’adversaire. Beaucoup de tennismen contactés sont sceptiques. « Au départ, les joueurs n’aimaient pas l’objet qu’ils jugeaient artisanal et peu fiable, raconte l’ex-capitaine de Coupe Davis par BNP Paribas, Georges Goven, qui allait confectionner son propre modèle quelques mois plus tard. Les cordes superposées et peu tendues donnaient une sécurité supérieure lors des frappes et des effets inattendus. Peu à peu, les mentalités ont évolué… »   En juin 1977, l'Australien Philips-Moore expérimente la fameuse raquette à double cordage à Roland-Garros. Le vétéran des antipodes passe un tour, joue au-dessus de son niveau supposé et ferraille dur avec Balazs Taroczy, un Hongrois quart de finaliste porte d’Auteuil l’année précédente. L’impression visuelle et sonore est sidérante : effet catapulte, trajectoires illisibles pour l’adversaire, bruits étranges, rotation ingérable, rebond fuyant, volleyeur pris au dépourvu, adversaire relégué derrière la ligne, tout proche des bâches. L’impression est telle que certains joueurs font leur propre tambouille. Ils posent deux ou trois cordages sur leur raquette en bois traditionnelle dans le carré central. Bric-à-brac de boyaux, de caoutchouc, de ficelles… Au cours de l'été, Georges Goven l'utilise avec bonheur sur le circuit satellite français. Des protestations commencent alors à s'élever parmi les joueurs contre cette raquette déloyale qui permet à des lifteurs du fin-fond du classement ATP de faire des miracles.   Vilas sonne la révolte   A Forest Hills, l’ancêtre de Flushing-Meadows, début septembre, le modeste américain Mike Fischbach l'adopte et sort des qualifications pour battre ensuite Billy Martin et le légendaire Stan Smith... La raquette-mirage de l’horticulteur allemand fait débat. Elle est accusée de détruire le jeu, d’autoriser des joueurs anonymes à décrocher d’improbables victoires. Christophe Roger-Vasselin, le père d’Edouard, demi-finaliste à Roland-Garros en 83, se souvient : « En rentrant de l’US Open, où j’avais perdu en qualif’, il y en avait une qui traînait à Roland, je l’ai essayé et je l’ai trouvé super. Pour la coupe Porée, j’en ai commandé trois à mon cordeur.  Ça faisait des lifts incroyables. La différence était aussi grande qu'entre une raquette de ping-pong en mousse et une en planche de bois. Avec ses effets incroyables, elle avantageait énormément les joueurs qui utilisaient le lift. » Et Roger-Vasselin atteint la finale de la coupe Porée fin septembre, une des deux seules de sa carrière, défait par Guillermo Vilas. 1977, c’est l’année de l’Argentin : finaliste en Australie, il gagne à Paris et à New York, auxquels il ajoute l’ébouriffant total de quatorze autres tournois ainsi que cinq finales. La plus fameuse s’est déroulée à Aix-en-Provence une semaine après la coupe Porée. Vilas y parvient alors qu’il n’a plus perdu sur terre battue depuis cinquante-trois matchs, un record seulement batu par Nadal dans les années 2000. Après, il en gagnera de nouveau vingt-huit de rang. Seul hic, il perd ce jour-là contre un Nastase vieillissant la finale de la raquette d’or du Country Club Aixois. Le Roumain utilise à cette occasion la raquette spaghetti qu’il vouait aux gémonies quelques semaines auparavant. Dépité, Guillermo Vilas abandonne…   C’est la goutte d’eau de trop. Les meilleurs renâclent. La raquette à double cordage est accusée de changer l’essence même de ce sport, de gommer les différences au profit des plus faibles. La polémique s'amplifie jusqu'en octobre 1977. Date à laquelle la Fédération Internationale de Tennis décide d'interdire l'utilisation de cette raquette. « La raquette spaghetti dénaturait le jeu avec des lifts incroyables. Ça ne permettait pas de jouer autrement. Avant cet épisode on pouvait pratiquer le tennis avec n'importe quel type de raquette en l'absence de texte les réglementant. A partir de là ils ont défini la taille et la nature des cordages » se souvient Christophe Roger-Vasselin. Ironie de l’histoire, en effet, la raquette spaghetti a forcé les hiérarques à définir de nouvelles règles et à codifier la taille des raquettes, la surface du tamis et la manière de corder (il n’y avait qu’une une seule façon de faire auparavant, Ndlr). Un lifting nécessaire avec l’arrivée de nouveaux matériaux composites, de nouveaux procédés de fabrication des cadres, du cordage... Quant aux raquettes spaghetti, elles sont depuis passées à la postérité en trônant ça et là dans quelques musées consacrés au tennis de par le monde…   Par Rico Rizzitelli

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