Il est l’un des plus célèbres survivants du Titanic : Richard Norris Williams avait embarqué avec son père, direction les Etats-Unis, pour poursuivre ses études à Harvard. Des deux, lui seul a survécu, miraculeusement, pour devenir un des plus grands champions de tennis de son époque.
Ce n’est que vers la fin de sa vie qu’il a fini par se confier sur cette funeste nuit du 15 avril 1912. Un demi-siècle après le naufrage du Titanic, l’historien spécialisé Walter Lord, auteur de l’ouvrage de référence A night to remember, recueille le témoignage de cet homme devenu septuagénaire, qui mourra quelques années plus tard en 1968, à l’âge de 77 ans. Son nom : Richard Norris Williams II, le plus souvent raccourci en Richard Williams ou « Dick » Williams. A l’historien, il raconte avoir ressenti le choc du paquebot heurtant l’iceberg, alors qu’il se trouve avec son père dans leur luxueuse cabine du pont C. Sortant voir ce qu’il se passe, il se trouve à devoir secourir un passager paniqué, coincé dans sa propre cabine et ne parvenant pas à ouvrir la porte. Richard Williams la défonce d’un coup d’épaule, libérant le malheureux tandis qu’un steward menace de le dénoncer à la White Star Line, la compagnie propriétaire du Titanic, pour dégradation de matériel ! Un épisode qui inspirera d’ailleurs une scène à James Cameron pour son fameux film sur la catastrophe… Retour sur le paquebot : Richard Williams raconte à Walter Lord qu’il est environ minuit quand lui et son père vont pour se diriger vers le bar du pont A, fermé. Ils trouvent alors refuge au gymnase, où ils restent un moment avec quelques autres passagers, sans trop savoir que faire. Le bateau s’enfonce irrémédiablement dans l’eau glaciale et se dégrade à mesure qu’il coule.
Plusieurs heures les pieds dans l’eau glacée
Soudain, l’immense cheminée avant tombe et écrase dans sa chute des dizaines de personnes cherchant à quitter le navire à bord de canots de sauvetage. Le père de Richard Williams compte parmi les victimes. Lui-même en réchappe miraculeusement. Ce qu’il reste de la cheminée continue de cracher un immense panache de fumée. Sonné, au bord de l’étouffement, le jeune survivant n’a d’autre choix que de sauter à l’eau. Au départ, se souvient-il, tout lui paraît calme dans l’eau, puis progressivement lui arrivent les hurlements de 1 600 personnes luttant dans une mer de glace. Au fil des minutes néanmoins, explique-t-il à l’historien, les cris se font de plus en plus rares, à mesure que les personnes meurent de froid. Richard Williams voient les corps se raidir dans les gilets de sauvetage. Lui-même réussit à rejoindre un radeau à moitié immergé. Pour nager jusque-là, il s’est débarrassé de son manteau de fourrure et de ses bottes. L’attente, insoutenable, va durer plusieurs heures, jusqu’à l’arrivée du premier navire sur le lieu du drame. Plusieurs heures que Williams va passer les pieds dans l’eau. Sur la trentaine de personnes ayant trouvé refuge sur ce même radeau, seulement onze survivront au froid.
L’amputation suggérée par le docteur
Ils sont récupérés par le RMS Carpathia, un paquebot transatlantique britannique, arrivé sur place. Les engelures sur les pieds et les jambes de Williams sont telles que le docteur de bord décide d’amputer pour éviter la gangrène. L’intéressé refuse, malgré la douleur atroce. A la place, il explique s’être imposé de marcher sur le ponton au minimum toutes les deux heures, y compris la nuit, pour permettre au sang de circuler à nouveau dans ses membres et de les réchauffer. Souffrance payante : lorsque le Carpathia arrive au port de New York le 18 avril, il marche. Difficilement, mais il marche. Et rejoint la demeure familiale de Radnor, en Pennsylvanie, seul. Le corps de son père, Charles Duane Williams, ne sera jamais retrouvé. La famille Williams est sacrément prestigieuse puisque descendante direct de Benjamin Franklin. Avocat de profession installé à Genève avec sa famille, Charles Duane Williams était un grand passionné de tennis. Le 1er mars 1912 à Paris, il est l’un des fondateurs de la fédération internationale de tennis. Et c’est donc un peu plus d’un mois plus tard qu’il embarque pour son pays d’origine en compagnie de son jeune fils Richard, 21 ans à l’époque, qui souhaite poursuivre ses études à Harvard.
Un joueur réputé… dur au mal
A l’époque, il est déjà un grand espoir du tennis, un sport qu’il a naturellement pratiqué sur les recommandations de son père. Né en Suisse et parlant couramment le français et l’allemand en plus de l’anglais, le jeune homme décide de rester aux Etats-Unis après la catastrophe et de mener ce pour quoi il avait quitté l’Europe : étudier à l’université et pratiquer le tennis à haut niveau. Il réussira brillamment les deux, obtenant un diplôme en finance et se forgeant un palmarès remarquable, avec notamment deux victoires à l’US Open en simple en 1914 et 1916, deux Coupe Davis en 1925 et 1926 et une médaille d’or olympique en 1924. Joueur réputé dur au mal, très offensif, il est parvenu à adapter son style à son handicap, ses jambes meurtries le faisant rapidement souffrir le martyr dès qu’une partie s’éternisait. Une fois sa carrière sportive achevée, Richard Norris devient un respectable banquier de Philadelphie, où il s’est définitivement installé et où il s’éteint le 2 juin 1968. Dans la poche de son veston, se trouvait toujours la flasque que son père lui avait confié quelques minutes avant sa mort.