L’US Open 91 ou « les onze meilleurs jours » de Jimmy Connors

3 sept. 2014 à 00:00:00

Quand Jimmy Connors se présente à l’US Open en 1991 à l’âge de 39 ans, c’est sans grande ambition. Son but ? Passer un ou deux tours. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu.

39 ans, 174ème mondial, une blessure au poignet…. Quand Jimmy Connors se présente à l’US Open en 1991, c’est sans grande ambition. Son but ? Passer un ou deux tours et partir sous les honneurs d’un tournoi qui lui aura offert les plus belles émotions de sa carrière. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu. Pour le plus grand plaisir des spectateurs de Flushing Meadows.

 

« Fils de pute, résidu d’avorton, casse-toi de ta chaise ! Tu n’as pas le droit de me faire ça. C’est mon anniversaire »Nous sommes le 2 septembre 1991, en huitième de finale de l’US Open, et Jimmy Connors souffle bien ses 39 bougies. L’âge de raison pour l’une des figures les plus fantasques et truculentes du tennis moderne ? Pas vraiment. Comme à la belle époque, alors qu’il exécute un smash dans le tie-break du deuxième set, Connors s’estime victime d’une mauvaise décision et passe ses nerfs sur l’arbitre, David Littlefield. « J’ai clairement vu la balle dehors », lui rétorque l’officiel, pas très sûr de lui. Connors devient fou furieux : « Vous l'avez vue clairement ? Mon cul, oui ». Dans un vacarme ahurissant, le juge de chaise donne donc le point à son adversaire et compatriote du jour, Aaron Krickstein, de quinze ans son cadet. Le suivant, Connors le gagne au filet et, tout en provocation, célèbre la chose en pointant sa raquette vers l’arbitre comme s’il tirait sur un vulgaire gibier. Le stade est debout. Krickstein ne peut plus rien faire. Connors « joue dans son salon », pour reprendre l’expression d’Henri Leconte. Sur chacune de ses premières balles, des jeunes filles lui lancent des « I love you Jimbo ». L’ambiance devient surréaliste pour un match de tennis. Jimmy Connors s'est emparé de la scène de l'US Open comme la bête de spectacle qu'il a toujours été. 

 

« Il y a vingt ans, se confessera-t-il après le tournoi, c'était moi contre tous. Et j'aimais ça ! Mais aujourd’hui, ça s'est équilibré. Nous avons grandi ensemble, Ils viennent toujours me voir jouer. Autrefois, j'aimais qu'ils me détestent, maintenant je suis encore plus heureux qu’ils  m'aiment. Je ne serais plus capable de me battre seul contre 20 000 personnes ! » Cerise sur le gâteau, la rencontre va se décider au tie-break du cinquième set – l’une des nombreuses particularités du Grand Chelem américain. Avant que celui-ci ne débute, Connors s'assoit au fond du court, prend tout son temps, se tourne vers une caméra de télévision présente aux abords du court et déclare au téléspectateur, dans les yeux : « C'est pour ça qu'ils sont venus. C'est ça qu'ils veulent ». Après 4h42 de combat et de show intense, Connors est en quart de finale. A la fin du match, il n'y a pas un siège de vide dans le Louis-Armstrong, qui entonne à l’attention de sa star un long et palpitant « Happy birthday ». Même John McEnroe file féliciter son rival de toujours pour les efforts fournis. Une poignée de main à laquelle Connors renchérit, torse nu au milieu du vestiaire : « Tu sais John, je n'avais rien d'autre à faire aujourd'hui. Alors, jouer trois heures, quatre ou douze, je m'en foutais ».

 

« Usez et abusez de moi ! »

 

Pour bien prendre la mesure de l’exploit de Connors, il faut remonter quelques mois en arrière. Durant l’été 1990, il passe tout près d’une retraite forcée, trahi par un poignet défectueux qui le contraint à une opération chirurgicale. Dans les colonnes du journal français L’Equipe, il se souvient parfaitement de cette annonce douloureuse : « Je me suis blessé en février 1990, On m'a dit : ‘Prends six jours de repos, six semaines, six mois…’ Au bout de six mois, j'ai refait deux tournois. Ça a été la catastrophe. À peine descendu de l'avion, un de mes amis chirurgiens à Santa Barbara m'a dit : ‘Tu entres à l'hôpital dans deux jours. Je ne sais pas ce que tu as, mais en ouvrant on va bien voir. Comme de toute manière tu ne rejoueras plus au tennis…’ Ça m'a fichu un drôle de coup ». Entre temps, la concurrence du tennis mondial s'est intensifiée. Il y a le carré d’as des jeunes Américains (Pete Sampras, Jim Courier, Andre Agassi et Michael Chang) ; un duo d’attaquants (Stefan Edberg et Boris Becker) ; des seconds rôles de premier choix comme Henri Leconte, Thomas Muster ; ou encore quelques seigneurs du passé, Mats Wilander en tête. Et Jimmy Connors donc.

 

Pour rendre hommage à ce dernier, les organisateurs de l’US Open lui offre une wild card lors de cette édition 1991. Mais Connors a la tête dans les chaussettes. Son corps et son mental sont en train de le lâcher. « Pourquoi je joue encore à 39 ans ?, s’interroge-t-il une semaine avant le début du tournoi, à Long Island. Je pourrais vous répondre par le classique ‘j’aime le jeu et je fais encore de l’argent’ mais la vraie réponse, c’est que je n’en sais rien. C’est sans doute par fierté et par goût du spectacle », décrypte-t-il. Et de théoriser : « Mais si McEnroe et moi faisons encore les gros titres, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Si je suis encore capable, et ‘Mac’ avec moi, de mettre le feu au tournoi pour remonter le niveau de popularité du tennis à celui auquel je l’ai amené il y a quelques années, alors usez et abusez de moi ! » Quelques jours plus tard, classé alors 174mondial, Connors affronte Patrick McEnroe, frère de John, pour son premier match de la compétition. Mené deux sets à rien, 3-0 et 0-40 sur son service, il réussit un incroyable retour pour une victoire en cinq manches glanée au forceps. Le public est aux anges. « Jimmy a su utiliser la foule. Moi aussi, si j’avais été téléspectateur, je l’aurais soutenu », lâche après la rencontre Patrick McEnroeAvant que son frangin ne sente déjà l’engouement gonfler : « Patrick a réveillé la bête ».

 

« Les onze meilleurs jours de ma carrière »

 

Jimmy Connors l’avouera quelques semaines plus tard, il pensait se présenter chez lui à Flushing Meadows avec l’espoir de passer un ou deux tours. Il en enchainera finalement cinq : après Patrick McEnroe ou ce match dantesque contre Aaron Krickstein, « Jimbo » atteint les demi-finales, où opposé à un autre Américain, Jim Courier, il s’inclinera finalement, en trois petits sets. Peu importe la défaite, Connors le voyou se rachète une réputation. Ses renaissances successives, qui sont autant de victoires sur la mort sportive, et donc sur la mort tout court, sont désormais plus importantes que ses écarts de conduite. « Je ne suis plus interdit aux moins de 12 ans mais apprécié de 7 à 77 ans, s’amuse-t-il. Mais un jour, les fans voudront me pousser, et je ne pourrai pas répondre à leurs sollicitations. Ce sera fini ». 

 

Sauf que non, Connors ne réussira jamais à dire au revoir au tennis. Il est sans doute le seul grand joueur à n’avoir jamais annoncé sa retraite de manière officielle. De 1993 à 1996, sans faire de saison complète, il apparaît sporadiquement dans des tournois de troisième catégorie. En 1995, au tournoi de Halle, il enregistre ses deux dernières victoires officielles avant d’envisager, en 1997, de revenir sur le gazon allemand pour y faire ses adieux, à 45 ans. Il ne le fera pas. Par peur du ridicule, peut-être, ou préférant laisser au monde le souvenir d’un dernier tour de piste flamboyant. « Cet US Open 1991, ce sont les onze meilleurs jours de ma carrière. Meilleurs que mes titres. Il n'y a même pas photo. Je n'échangerai pas une seule seconde ce que j'ai vécu dans ce tournoi contre tous les titres du monde ». De toute manière, qui lui aurait proposé ? Car comme le résume Pete Sampras : « Ce tournoi, Jimmy l’a pris à bras-le-corps. Et maintenant, il lui appartient ».

 

Par Victor Le Grand

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