Foro Italico, bienvenue dans l’enfer de Rome

15 mai 2014 à 00:00:00

Dans les années 70, les spectateurs romains réservaient un accueil pour le moins musclé aux adversaires des joueurs italiens. Découvrez notamment ce qu’ils leur envoyaient à la figure dans un article retraçant l’histoire du Foro Italico.

Alors que se déroule cette semaine la 70e édition de l’Internazionali BNL d’Italia, à ses débuts, durant les seventies, la compétition est l’étape ATP la plus redoutée des joueurs internationaux. La raison ? Son stade, le Foro Italico, accueille alors, à chaque printemps, des milliers de tifosi chauvins, surexcités et potaches. Avec une seule ambition : faire craquer les adversaires des athlètes italiens, surtout ceux d’Adriano Panatta, le fils prodigue  de la nation. Retour sur l’un des tournois les plus chauds de l’histoire, entre insultes et canettes de bière.

 

Soixante statues monumentales à la manière antique ceignent les lieux, taillées dans le marbre de Carrare. Chaque statue représente une discipline sportive, chacune financée par une province italienne. C’est la province de Parme qui se charge du tennis. Son auteur ? Libero Andreotti, sculpteur, céramiste et ami personnel de Benito Mussolini. « J’ai réalisé le rêve du Duce, s’enorgueillit cet artiste, dans des propos extraits du Dizionario Biografico degli Italiani. Mussolini voulait son propre forum, surpassant ceux de César et d’Auguste. Le Foro Italico offre un exemple typique et préservé de l'exploitation du sport dans le cadre de l'idéologie du fascisme et de sa race de maîtres ». Nous sommes en 1927 et Mussolini pose la première pierre du Foro Italico au nord de Rome, dans le quartier Della Vittoria. L’idée ? Construire le plus grand complexe sportif de l’époque, au service de la jeunesse fasciste, avec l’ambition, selon lui, de « promulguer la régénérescence du peuple par la culture physique et le culte du corps ». Un stade olympique, une piste d’athlétisme, des activités nautiques, des salles d’escrime et une bonne dizaine de courts de tennis en terre battue viennent matérialiser cette folie des grandeurs. Depuis 1930, le site accueille même l'étape ATP de Rome. La légende locale Nicola Pietrangeli s’y est imposée à deux reprises : le nouveau central, depuis 2010, porte d'ailleurs son nom. De son côté, Adriano Panatta est le dernier Italien à l’avoir emportée en 1976, malgré un parcours chaotique et 11 balles de matchs sauvées au premier tour. « Je dois cette victoire au fait d’avoir arrêté la clope et la bibine quelque semaines avant », note l’intéressé qui atteint de nouveau, en 1978, la finale du tournoi face Björn Borg.

 

« J’ai reçu des pièces en plein visage »

 

Cette fois-ci, la rencontre n’a rien d’une partie de plaisir. Le Suédois vient de faire le break dans la cinquième manche. Il mène deux jeux à un et 30-15 sur son service. Moment choisi par le public pour entrer en jeu. Les spectateurs profitent de sa position arrêtée pour lui lancer des pièces de monnaie. Même pas pour le déconcentrer, non, pour le blesser et le mettre hors d’état de combattre. « J’en ai reçues en plein visage, qui m’ont fait très mal. Je me suis mis à courir un peu partout pour ramasser les pièces et je les ai fourrées dans ma poche par dérision, ce qui a beaucoup fait rire le public », racontera-t-il dans son autobiographie Revers. Le champion scandinave, qui n’a pas l’humour dans sa poche, pousse même la blague jusqu’à remporter le match et le tournoi : sa dernière victoire au Foro Italico. Sans rancune. 25 ans plus tard, il juge dans son livre que « les pires spectateurs sont ceux qui s’ennuient ».

 

Hyperbolique mais lucide, comme souvent, Jimmy Connors a également sa théorie sur l’endroit : « Il y a deux histoires d’amour dans l’histoire du tennis : celle entre le public new-yorkais et moi. Et celle entre le public italien et Adriano Panatta ». Oui, dans les seventies, quand ce dernier met un pied sur le Central du stade, une folie douce presque cocardière envahit les cœurs et les tribunes. Une explication rationnelle ? « Même si le public romain a supporté tous les joueurs italiens, notamment durant les épreuves de Coupe Davis, le chouchou restait Adriano, note Victor Pecci, dans la Gazetta dello Sport. Ce comportement un peu extrême fait partie de la culture italienne, mais il ne faut pas oublier que Panatta jouait aussi très bien au tennis. Il a su mettre le public dans sa poche par son jeu d’attaque et son charisme. Quand il montait à la volée, c’était tout un Foro Italico qui devenait dingue ». 

 

« Le trou du cul du monde »

 

Une passion qui pousse les tifosi à mettre une telle pression sur les arbitres, juges de ligne et adversaires de Panatta que certains ne veulent plus revenir. « Les Italiens auront bientôt leurs seuls représentants dans ces championnats », déclare un jour David Gray, secrétaire général de la Fédération internationale de tennis (ITF). Même les commentateurs de la télévision italienne s’y mettent, demandant au public de faire encore plus de bruit pour encourager Panatta. Dans ces conditions, difficile pour Harold Solomon de se contenir. En 1976, l’Américain est tellement conspué sur le Central romain qu’il préfère abandonner son match. Sa faute ? Avoir osé contredire la décision d’un juge de ligne. En 1978, alors que l’Espagnol José Higueras est en train d’écraser le héros de la péninsule, les spectateurs passent à l’offensive : ils bombardent l’Ibère de canettes de bière, lequel n’a pas d’autre choix que de quitter le court. Mais, fait rare dans le tennis, l’arbitre Bertie Brown, scandalisé, fait de même. « Moi aussi j’ai joué Panatta sur le Central du Foro Italico. J’ai perdu. Ça me paraissait la meilleure chose à faire », résume ainsi Bill Scanlon dans son livre Bad news for McEnroe. Même son de cloche chez Vitas Gerulaitis, dans un langage plus personnel : « Ces gens sont des animaux. Rome est le trou du cul du monde ». 

 

Aujourd’hui, la ville est peut-être perdue dans le troufignon de la croute terrestre, une chose est sûre : son tournoi de tennis est un tournoi comme les autres. Les Internationaux d’Italie ont perdu leur prestige d’antan. Et puis il n’existe plus de joueurs italiens - ni de joueurs tout court - capables de mettre le feu aux poudres comme certains de leurs ancêtres. Federico Luzzi (décédé en 2008 d’une leucémie, ndlr) est peut-être le dernier témoin d’un temps où les supporters de tennis rivalisaient, encore un peu, avec ceux des sports collectifs comme le football ou le rugby. En 2001, il profite de l’aide des gradins pour battre Arnaud Clément au premier tour de l’Internazionali BNL d’Italia. Conspué durant toute la rencontre, qu’il quitte en adressant des baisers ironiques à la foule, le Français laisse finalement parler son cœur en conférence de presse : « J’ai dû me retenir pour ne pas leur faires des doigts et leur dire que c’étaient tous des enculés… Ils sont vraiment fous ces Romains ! »

 

Par Victor Le Grand

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