L’un a joué une grosse dizaine de matchs en simple, l’autre s’est retiré du circuit à 26 ans. Les frères Bryan ont préféré vivre à deux que mourir seul. Bien leur en a pris, puisque leur tandem a cumulé les titres en Grand Chelem. Ou comment deux joueurs quelconques forment un double injouable une fois associés.
C’est une success story comme l’Amérique en raffole. Deux frères jumeaux, un gaucher un droitier, qui font du tennis, sport individuel par excellence, une aventure collective. Mike et Bob Bryan sont aujourd’hui connus comme LA paire de double ultime et font figure d’épouvantail dans chaque tournoi qu’ils disputent : le binôme a remporté la bagatelle de 94 tournois, soit le record de titres obtenus par une même équipe. Inséparables, complices et performants, les frères Bryan ont su capitaliser sur leur histoire personnelle pour se construire une image. « Aujourd’hui, c’est la seule équipe de double qui peut exiger des garanties financières avant de s’inscrire à un tournoi », appuie Julien Boutter. Aux Etats-Unis, nation historique du tennis mais en terrible manque de vedettes à l’heure actuelle, le duo remplit des stades. Après tout, dans leur discipline, ce sont de véritables stars, au même titre que les Federer ou Nadal en simple. En 2012, Mike Bryan a ainsi atteint le cap symbolique des 300 semaines en tant que numéro 1 mondial en double au classement technique ATP. Et pourtant, c’est tennistiquement le moins doué des deux…
Que 14 matchs en simple
Mike Bryan est un joueur techniquement quelconque si bien que l’on est en droit de se demander s’il pratique le même sport que les autres. En réalité, il est même dur de le qualifier de joueur de tennis : le droitier n’a pour ainsi dire disputé que 14 matchs professionnels en simple dans sa carrière. « Pourtant, lorsqu’il est sur le court avec son frère, il n’est absolument pas le point faible de l’équipe. Il est très efficace. Les deux se complètent à merveille et sont du même niveau », avance Florent Serra, qui a affronté la fratrie avec Sébastien Grosjean il y a une dizaine d’années. Potentiellement plus complet et un temps proche du top 100 (son meilleur classement est 116e mondial), Bob, le gaucher, n’a guère plus persévéré. Dès 2004, il prend la décision de faire une croix sur le simple pour se consacrer à plein temps au double. Un choix pragmatique. « S’il avait été assez fort, il aurait continué sa carrière en simple. Mais il n’avait pas le niveau pour faire un top 30, et encore moins pour gagner un Grand Chelem en simple. Au lieu de ça, il en a gagné 15 avec son frère », note Florent Serra. Surtout, leur décision s’est révélée bonne pour les affaires, comme le souligne Julien Boutter : « Même si le double est moins médiatisé, il y a beaucoup d’argent en jeu. A deux, ils ont gagné plus d’argent qu’ils n’en auraient accumulé à jouer chacun de leur côté. A partir du moment où l’on gagne mieux sa vie en double qu’en simple, autant ne faire plus que ça. Ce ne sont pas les premiers à l’avoir fait, et leur choix est d’autant plus légitime qu’ils sont jumeaux ».
« Être dans le top 30 à la fois en simple et en double est impossible »
Leur sang en commun est devenu de fait leur principale arme. « Ma mère a une sœur jumelle, je sais ce que c’est. Quand vous-êtes inséparables, vous vous connaissez par cœur. Et il y a un côté pratique à pouvoir travailler les automatismes quotidiennement, à raison de 5 heures par jour, ce que personne d’autre n’a le temps de faire. En plus, il y a un gaucher et un droitier, c’est le tandem parfait », détaille Julien Boutter. Leur immense palmarès a aussi des origines conjoncturelles. Il y a 25 ans, les stars du simple pouvaient se permettre de jouer à fond sur les deux tableaux lors des tournois du Grand Chelem. Il faut croire que ce temps est révolu. L’opposition étant moins relevée, les grosses têtes de séries bénéficiaient de tableaux relativement dégagés jusqu’en quarts et pouvaient ainsi gérer leurs efforts. « Ce n’est plus le cas désormais, prévient Boutter. Le simple est trop éprouvant physiquement : sur la durée, être dans le top 30 à la fois en simple et en double est clairement impossible. Vous devez choisir. Or, si Wawrinka et Federer se mettaient à faire du double, ils taperaient des spécialistes de la discipline et iraient en finale rien que sur leur qualité de frappe… » En résumé, les frères Bryan peuvent remercier l’homogénéité du circuit masculin.
