Anna Kournikova, ce n’était pas qu’un joli minois irrésistiblement attiré par la jet-set. Apparue dans le Top 10 mondial à 17 ans, la médiatique Russe a vu sa trajectoire sportive brisée par une blessure, en apparence anodine, au pouce. Après cet accident, elle perd tous ses repères au service. Comme lors d’un célèbre deuxième tour de l’Open d’Australie 1999, où elle commet 31 doubles fautes… mais s’impose tout de même. Récit.
« Mon service est un désastre. Pendant cinq années de suite, j’ai frappé plus d’un millier d’aces, et là je suis parti pour commettre un millier de doubles fautes. Je sers comme Anna Kournikova ! » Ce 4 mai 1999, Goran Ivanisevic est au moins aussi en forme en salle de presse que son service est en berne sur le terrain, après une défaite nette à Hambourg contre Rainer Schuettler. Dès lors, la comparaison avec la jeune étoile russe de la WTA s’impose à son esprit comme une évidence. Il faut dire que Kournikova, au-delà de son physique avenant et de son classement très honorable de 9e joueuse mondiale, fait depuis quelques temps surtout parler d’elle pour le niveau catastrophique de son engagement. A l’Open d’Australie, la poupée russe commet 31 doubles fautes en un seul match, établissant alors ce qui s’apparente à un record, au moins au regard des statistiques dont dispose la WTA.
Quand, le jeudi 21 janvier 1999, la jeune fille de 17 ans entre sur le Court 2 de Melbourne Park pour défier la modeste Japonaise Miho Saeki, 80e mondiale, le ver est déjà dans le fruit : suite à une blessure au pouce contractée lors d’une chute à Eastbourne l’année précédente, Kournikova a dû modifier sa prise de raquette au service. L’effet est calamiteux : la championne en devenir perd toutes ses sensations sur ce coup fondamental. Semaine après semaine, sa confiance s’effrite et son compteur de doubles fautes s’affole. A Sydney, pour son premier tournoi de la saison 1999, elle en commet 34 en deux matchs. A Melbourne, pour son entrée en lice contre Jill Craybas, elle monte à 24. Et avec les 31 réalisées contre Saeki, la voilà qui totalise 91 doubles fautes en quatre rencontres.
« Elle fait tellement de fautes que c’est impossible de lire son service ! »
Pourtant, malgré ce handicap, la Russe gagne. Face à Saeki, elle revient dans la partie après un premier set calamiteux, perdu 6/1. Elle égalise à une manche partout, 6/4, et prend le large dans le dernier acte, 5-0. Seulement, la victoire approchant, le bras se tend soudain. Alors qu’elle obtient deux balles de match sur son service, Kournikova les gâche par autant de doubles fautes, les numéros 21 et 22 d’une série encore loin de toucher à sa fin. La 23e vaut à Saeki d’inscrire son premier jeu dans cette ultime manche. Elle marque aussi le début de la remontée fantastique de la Japonaise. Kournikova ne met plus une balle dans le court et son adversaire capitalise sur ses fautes directes, jusqu’à revenir à 5-5. La Russe se reprend enfin, stoppe la série noire en breakant, sert à nouveau pour le match… et rend aussitôt sa mise en jeu, vendangeant au passage une troisième balle de match d’un smash dans le filet. Six fois, elle sert pour le gain de la partie. Six fois, son service la trahit. En cumulé, il y aura 21 échanges d’engagements et 149 fautes directes comptabilisées durant ce match.
« On pourrait croire que ses problèmes au service sont une chance pour l’adversaire, mais en fait pas vraiment, justifie Miho Saeki. Elle fait tellement de fautes que c’est impossible de lire son service. On ne sait jamais s’il va passer ou non, s’il faut avancer car la balle sera courte derrière le filet, ou si au contraire il faut reculer car elle sera longue… Il n’y a aucun rythme. » En tribunes, les 3 000 spectateurs de ce naufrage tennistique hésitent entre hilarité et compassion. Ils manifestent bruyamment entre les points, tapent le sol et les dossiers des sièges, envoient des sifflements dont on ne sait trop s’ils moquent ou encouragent Kournikova. A 9-8, quand elle sert une septième fois pour le gain de la partie et se procure sa quatrième balle de match après avoir sauvé autant de balles de débreak, la jolie Russe a pourtant droit à une ovation. Opiniâtre, Saeki la sauve d’une volée amortie. La partie dure maintenant depuis deux heures et demie. Il y a déjà cinquante-cinq minutes qu’Anna Kournikova s’est procurée sa première occasion de conclure quand elle convertit enfin la cinquième, sur une faute directe adverse en revers.
Le legs de Kournikova à la légende du tennis
Après la poignée de mains, Kournikova s’assied sur sa chaise et cache un long moment son visage dans une serviette. Fatigue ? Contrecoup nerveux ? Alors que ses crises de doubles fautes carabinées l’avaient laissée au bord des larmes à Filderstadt et Zurich en fin de saison précédente, la Russe analyse cette fois la situation avec calme : « Cela me frustre énormément. J’essaie de résoudre le problème. D’ailleurs à l’entraînement, mon service fonctionne tout à fait normalement, sans aucun signe de double faute. Mais dès que j’arrive en compétition, il se passe quelque chose qui dérègle tout. J’essaie de faire avec et, en attendant de résoudre le problème, je me bats avec mes armes. » Des armes plutôt efficaces d’ailleurs, qui lui vaudront notamment de remporter cet Open d’Australie en double, au côté de Martina Hingis, place de numéro 1 mondiale de la discipline à la clé. Mais sa réputation est maintenant établie : « Tout le monde ne parle que de ça, confirme Steffi Graf, victime d’une blessure à l’épaule deux ans plus tôt et elle aussi plus ou moins en délicatesse avec son service. Quand on a perdu son timing sur ce coup, c’est très difficile de le retrouver. »
En l’occurrence, Anna Kournikova n’y parviendra jamais. En 2003, à seulement 20 ans et faute de tenir les promesses entrevues en début de carrière, la Russe entame une reconversion professionnelle en se tournant vers le mannequinat, autrement plus riche en podiums et en succès. Au-delà de ses résultats sportifs loin d’être infâmants, marqués notamment par deux titres du Grand Chelem en double et une demi-finale à Wimbledon en simple, Kournikova laisse principalement dans les esprits cette image d’une jeune fille en permanence au bord de la crise de nerfs au service. Tout joueur en perdition sur ce coup – et il y en a eu ces dernières années, d’Elena Dementieva à Dinara Safina en passant par Guillermo Coria ! – se voit maintenant systématiquement renvoyé à la « jurisprudence Kournikova ». Le deuxième legs de l’étoile filante russe à la légende du tennis… derrière ses jupes.
