« On s'est tous retrouvés à sécher le court avec des… sèche-cheveux »

5 févr. 2014 à 00:00:00

Ancien grand arbitre, Jorge Dias a arbitré un nombre incalculable de rencontres de Coupe Davis. Dont une mémorable au Botswana où une fois arrivée sur le court, il a eu la surprise de sa vie…

Le Mag a retrouvé Jorge Dias, ex-Gold Badge, le grade le plus élevé chez les arbitres. Âgé de 50 ans, ce Portugais devenu en 2001 le premier non-Anglais à avoir le privilège de diriger une finale de Wimbledon, a surtout arbitré un nombre incalculable de rencontres internationales et a accepté de fouiller dans sa boîte crânienne pour nous livrer quelques anecdotes croustillantes. Au menu : eau minérale, McEnroe, menaces de mort et Bostwana…

 

Un nom de joueur imprononçable

 

« C'était en septembre 1990. À Split. La Yougoslavie recevait la Suisse. Quelques semaines avant la rencontre, il était question que (Slobodan, ndlr) Zivojinovic (NDLR : actuel président de la Fédération serbe) fasse partie de l'équipe yougoslave. Et je me souvenais qu'à Wimbledon, où j'officiais en tant que juge de ligne, les arbitres avaient beaucoup, mais alors beaucoup de mal à prononcer son nom. Alors, tous les jours, je m'entraînais. J'ai répété son nom je ne sais combien de fois. Finalement, il n'a pas joué… »

 

McEnroe rend visite aux arbitres

 

« C'était en 2000. L'Espagne affrontait les États-Unis en demi-finale. Autant dire qu'il y avait de l'enjeu. Mais très vite, les Espagnols prennent les choses en main et à l'issue de la première journée, ils mènent 2-0. Et alors que je suis dans le bureau des arbitres en compagnie de Bruno Rebeuh, un autre arbitre de chaise, John McEnroe, capitaine des États-Unis à l'époque, débarque dans la pièce et nous lance : "Hey, Jorge, Bruno, good job!" Avec Bruno on s'est pincés car on s'attendait à tout sauf à ça! »

 

Sèche-cheveux et menaces de mort

 

« Dans une carrière, il y a les bons souvenirs et les moins bons. Celui-ci ne fait pas partie des meilleurs même si à la fin, on a bien ri. C'était en 1995. En demi-finale, la Russie accueille l'Allemagne qui possédait avec Becker et Stich deux spécialistes sur surface rapide. Alors, les Russes décident d'installer un court en terre battue à l'intérieur du centre olympique. Jusque-là, pas de problème. Le lundi, les Allemands s'entraînent et il s'avère que cette terre battue, posée à même le sol, est ultrarapide. Bref, le vendredi matin, quelques heures avant le début des rencontres, on se rend sur le court. Et là, incroyable : le court était complètement trempé. Quelqu'un l'avait arrosé pour le rendre plus lent. Chose qui est contraire au règlement puisque le court ne doit pas subir de transformation durant la semaine. Mais surtout, n'ayant pas de système de drainage, il était foutu. Avec les officiels de l'ITF, on se réunit et la disqualification pure et simple de la Russie est envisagée. Finalement, on s'est tous retrouvés à quatre pattes en train de sécher le court avec des… sèche-cheveux. Les deux premiers matches ont lieu et sont remportés par les… Allemands. Mais la menace d'une disqualification plane toujours. Le soir même, le téléphone de ma chambre d'hôtel n'a pas arrêté de sonner. À l'autre bout du fil, le mec me laissait toujours le même message : "Si la Russie perd, tu ne sortiras pas de Moscou vivant!" Gilbert Ysern, l'autre juge de chaise (NDLR : actuel directeur du tournoi de Roland-Garros),  recevait les mêmes appels. Après ça, essaie de dormir… Le lendemain, avec les autres membres de l'ITF et les officiels des deux délégations, on se demande quelle position adoptée. À ce moment-là, Niki Pilic, le capitaine allemand, nous dit : "Il vous faut des bodyguards? On vous en mets quatre de notre service de sécurité à votre disposition!" La journée se passe et le dimanche, c'est à moi d'arbitrer le match décisif entre Chesnokov et Stich. Le scénario et le suspense y sont incroyables. Le match se finit par la victoire de Chesnokov qui s'impose 14-12 dans le cinquième set après avoir sauvé huit ou neuf balles de matches à la suite. Un truc de fou. Le soir même, le repas officiel est organisé au Kremlin. Et quand on entre, on a eu droit à une standing ovation. Avec Gilbert, on se regardait : "Et dire qu'on a bien failli ne jamais sortir de Moscou… "»

 

« Des bouteilles d’eau volaient »

 

« À chaque fois qu'il y avait une destination un peu tendue, c'était pour moi. Entre arbitres de chaise, c'était même devenu un sujet de plaisanterie. Bref, en 1998, on m'envoie au Brésil. Le Brésil de Kuerten. C'était le 1er tour mais l'ambiance était folle. Ça criait tout le temps, des bouteilles d'eau volaient sur le terrain et les insultes pleuvaient comme jamais. Et comme je suis portugais, j'avais le "privilège" de les comprendre... Dans ce cas, le règlement prévoit un petit discours du style "Mesdames et messieurs, pour ne pas gêner, bla bla bla...". Au bout d'un moment, je n'en pouvais plus. C'était du "Mais vous allez arrêter de nous emmerder!". Tout le monde était choqué. Bon, c'est dur d'arbitrer ce genre de match mais d'un autre côté, j'aime ça. Au moins, il y a de la passion. Ça vit. Tu ne risques pas de t'endormir... »

 

Ils jouent la Coupe Davis pieds nus

 

« En 1997, je débarque au Botswana. Je dois y rester une semaine pour y officier pour le compte de la Division 4 de la zone Europe/Afrique. Soit le plus bas échelon de la Coupe Davis par BNP Paribas. La veille du premier jour de compétition, je vais voir les équipes s'entraîner. Et quand je tombe sur celle de Djibouti, je n'en crois pas mes yeux : les mecs jouaient... pieds nus! Là, ils m'expliquent qu'ils n'ont pas de baskets. Le seul problème, c'est que dans le règlement, il est stipulé qu'une tenue correcte est exigée. Or les gars de Djibouti ne le savaient pas car c'était leur première participation en Coupe Davis par BNP Paribas. Et puis, ils nous disent qu'ils n'ont pas d'argent. Alors, avec l'argent de l'ITF, nous sommes allés leur acheter des baskets. Le problème, c'est qu'une fois sur le court, ils n'avançaient pas, n'arrêtaient pas de trébucher... »

 

Sa première finale

 

« J'ai dirigé trois finales. À chaque fois la France était engagée. La première restera la plus émouvante. C'était en 1996, à Malmö. Ce fut une finale incroyable d'intensité. L'ambiance y était fantastique et le cinquième et dernier match entre Kulti et Boetsch était superbe. À un moment, et alors que la France avait déjà fait appel au kiné, Noah commence à masser Boetsch. Là, le juge-arbitre vient me voir : "Hé, tu sais que c'est interdit par le règlement?" J'ai laissé faire. Ce match illustrait parfaitement ce qu'est la Coupe Davis par BNP Paribas. Un Kulti - Boetsch, même en Grand Chelem, tu ne te déplaces pas pour le voir. D'autant que le match est programmé sur le court n° 15... Là, tout le monde vibrait. »

 

Propos recueillis par Charles Michel

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