Bien sûr, il y a eu la canicule, Li Na et Stanislas Wawrinka. Mais avant d’atteindre son dénouement, le feuilleton de l’Open d’Australie a été riche en rebondissements et intrigues parallèles. On reprend la pellicule et on rembobine.
Rafter donne la leçon
Les joueurs de tennis sont des fans comme les autres. Alors quand l’ancien n°1 mondial Patrick Rafter décide de ressortir la raquette le temps d’un double avec Lleyton Hewitt, ils sont nombreux, comme Matthew Ebden et Ivo Karlovic, à se presser en tribune des joueurs pour observer l’un des derniers serveurs-volleyeurs titré en Grand Chelem. Observer, et peut-être prendre la leçon : « Même retraité depuis dix ans, il volleye mieux que tous les joueurs actuels du circuit, assène Patrick Mouratoglou, coach de Serena Williams. C’est très clair : il n’y a pas un joueur qui volleye comme ça aujourd’hui. Il sert encore exceptionnellement bien, un service qu’on ne voit plus guère sur le circuit, avec énormément d’effets pour se laisser le temps de venir au filet et préparer idéalement sa première volée. Il a le sens du jeu au filet. » Le talent ne s’évanouit jamais.
Magnus Maximus
Becker ? Edberg ? Lendl ? Tout faux. L’entraîneur vedette de la quinzaine n’a jamais remporté le moindre titre du Grand Chelem en tant que joueur, malgré une finale disputée à Roland-Garros en l’an 2000. Il s’appelle Magnus Norman et il s’impose comme le chef de file des nouveaux entraîneurs arrivés sur le circuit ces dernières années. Après avoir accompagné Robin Söderling aux portes du rêve à Roland-Garros en 2009 et 2010, Norman avait pris du recul avec le haut niveau jusqu’à ce que les appels répétés de Stanislas Wawrinka, il y a un an, ne le décident à replonger. Comme pour son protégé, l’Open d’Australie est son premier titre majeur en tant que coach. Curiosité, il devient le seul entraîneur à avoir battu Rafael Nadal en Grand Chelem avec deux poulains différents : Robin Söderling à Roland-Garros en 2009 et Wawrinka en finale à Melbourne. De là à en faire son chat noir…
La plus belle victoire
Son nom ne vous dit probablement rien, mais la plus grande victoire de cet Open d’Australie est à mettre à l’actif de Ross Hutchins. Il est Anglais, a 28 ans, est spécialiste de double et, à Melbourne, a gagné son premier match sur le circuit depuis 2012. Entretemps ? Une année 2013 passée loin des courts, à combattre un lymphome de Hodgkin, autrement dit une forme de cancer ayant la particularité de toucher une population extrêmement jeune. Il y a tout juste un an, Hutchins débutait sa chimiothérapie. Le 15 janvier 2014, associé à Colin Fleming, il redevient officiellement joueur de tennis professionnel en débloquant les premiers points ATP de sa seconde carrière, contre Marinko Matosevic et Michal Przysiezny. Coup de chapeau… même si lui veut avant tout « qu’on ne (le) prenne pas en pitié » : « La semaine dernière, un joueur s’est excusé de m’avoir battu. Je ne veux pas de ça. Je veux être un joueur de tennis comme un autre. On pourra me féliciter quand j’aurai gagné un titre du Grand Chelem. »
Jiang Shan, l’homme tranquille
Nous ne sommes qu’en janvier et la palme du discours de remerciements le moins convenu de l’année est déjà décernée à Li Na : « Merci à mon agent de me rendre plus riche. Et évidemment merci à mon mari, très célèbre en Chine grâce à moi. Merci à lui d’avoir tout laissé tomber juste pour voyager à mes côtés et être mon sparring-partner, s’occuper de mes boissons et mes raquettes. Comme vous le voyez, il endosse beaucoup de casquettes. Merci beaucoup pour ça, tu es un gars sympa. Tu es aussi un gars chanceux de m’avoir trouvé ! » Gros moment de gêne dans l’assemblée.
Du monde aux Balkans
Il y a dix ans, l’avenir s’écrivait en cyrillique, dans le sillage des poupées russes Sharapova, Kuznetsova et Myskina. Aujourd’hui, le nouveau réservoir du tennis mondial se situe dans une région du monde bien plus petite, mais tellement dense : celle des Balkans. Une aire géographique éclatée mais où les succès de Novak Djokovic, Ana Ivanovic et Jelena Jankovic ont suscité une incroyable dynamique. Tandis que la Serbie est toujours au sommet avec ces trois champions, la Bulgarie fonde d’immenses espoirs en Grigor Dimitrov, la Croatie mise sur Borna Coric (n°1 mondial junior 2013) et Ana Konjuh (n°2 mondiale junior 2013), la Roumanie sur Simona Halep et Sorana Cirstea... Même les plus petits pays de la région possèdent un contingent respectable de représentants dans le Top 100, à l’image de la Slovénie avec Blaz Kavcic et Polona Hercog. Le listing se fait plus impressionnant encore si on l’étend aux diasporas nées de la guerre : Bernard Tomic (Croatie, Bosnie), Nick Kyrgios et Thanasi Kokkinakis (Grèce) portent les couleurs de l’Australie, la petite perle américaine Stefan Kozlov vient de Macédoine et Milos Raonic (Monténegro) du Canada… Une sacrée salade grecque pour annoncer un festin de succès ces prochaines années ?
Robert fait sauter la banque
Une semaine plus tôt, ils perdaient au dernier tour des qualifications. Avant même que le « vrai » tournoi ne débute, l’Open d’Australie était déjà terminé pour eux. Et puis, par la grâce des forfaits de joueurs mieux classés, Stéphane Robert et Martin Klizan ont été conviés à la fête en tant que « lucky losers ». Opportunistes et relâchés, les deux hommes ont su profiter des tableaux hérités d’une tête de série (Kohlschreiber pour le Français, Isner pour le Slovaque)… tant et si bien qu’ils se sont retrouvés au troisième tour ! Sur un petit nuage, Robert l’a emporté, devenant, à 33 ans, le joueur le plus âgé de l’ère Open à découvrir la seconde semaine dans un tournoi du Grand Chelem. L’aventure lui a rapporté 98 000 €... soit presque autant que l’ensemble de sa saison 2013. Cela méritait bien de payer des frais supplémentaires pour changer, tour après tour, son billet d’avion vers la France !
Tous les coups sont permis
En 2013, Victoria Azarenka et Sloane Stephens s’affrontaient pour une place en finale de l’Open d’Australie. Cette année, le fait que leur route se croise dès les huitièmes n’a pas empêché les étincelles. En cause, un passing au corps de Sloane Stephens, touchant le bas-ventre de son adversaire. Pas convaincue par le geste d’excuse de l’Américaine, la n°2 mondiale, le regard noir, a répondu du tac au tac dès le point suivant. Stephens a préféré en sourire… Pas Azarenka : « Elle a fait son choix. Elle avait le court grand ouvert mais elle a choisi ce coup. Ok, je n’ai pas de problème avec ça. Moi, je pense toujours au prochain point. »
Un après-midi de chien
Il y a des jours comme ça, où on ferait mieux de rester couché. Marinko Matosevic, 28 ans et 12 défaites au premier tour en autant de tentatives en Grand Chelem, peut en attester. La dernière en date, face à Kei Nishikori, fut peut-être la pire. Acte I de la pièce ‘Marinko contre le reste du monde’ : l’Australien écope d’un point de pénalité pour s’être désaltéré entre deux points, alors que le mercure affichait plus de 42° sur le court. Acte II : des gradins tombent des « Mad Dog ! Mad Dog ! ». Agacé, Matosevic se tourne vers l’arbitre « Vous ne pouvez pas les faire taire ? Mad Dog n’a jamais été mon surnom. C’est un idiot qui a écrit ça sur ma fiche Wikipédia ! » Acte III : il s’emporte contre un fan de Nishikori qui a hurlé « Out ! » sur une attaque de coup droit valant un break en sa faveur au troisième set. Point à rejouer, point perdu… et bientôt set perdu, puis le match. Acte IV enfin, la conférence de presse du joueur excédé alors qu’on lui rappelle son mauvais ratio en Grand Chelem : « Je n’en ai rien à foutre, mec. Qu’est-ce que tu voudrais que je dise ? » VDM.
La future Hingis prend Date
Quand Belinda Bencic est venue au monde, en mars 1997, Kimiko Date refermait tout juste son premier chapitre professionnel, riche notamment de trois demi-finales en Grand Chelem au plus fort des années de domination de Steffi Graf. Seize ans plus tard, la Suissesse et la Japonaise se sont affrontées au premier tour de l’Open d’Australie, pour une victoire de l’adolescente sur son aînée de… 27 ans. Kimiko Date, aujourd’hui âgée de 43 ans, aura sans doute cru voir le fantôme d’une autre Suissesse au tennis félin, une certaine Martina Hingis. Laquelle a parlé à Bencic avant le match : « Elle m’a donné quelques conseils, que j’ai tentés d’appliquer, a expliqué la championne du monde junior en 2013. Elle connaissait mon adversaire mieux que moi puisqu’elles se sont affrontées sur le circuit par le passé. » C’était au Masters en 1996. Kimiko Date avait perdu. Belinda Bencic n’était pas née.
Ça cartoon !
On n’avait jamais autant parlé de personnages de bande dessinée que dans cet Open d’Australie. D’abord avec Frank Dancevic, victime d’hallucinations sous le cagnard de la première semaine. « Nous étions au milieu du premier set quand soudain j’ai vu Snoopy sur le court. J’ai pensé : ‘Wow Snoopy, c’est étrange. C’est la dernière chose dont je me souvienne avant de me réveiller au sol, avec plein de gens autour de moi.’ » Pas besoin d’insolation en revanche pour stimuler l’imagination de Gaël Monfils. Convié par le journal L’Equipe à associer à chaque champion un super-héros, le Français s’est exécuté avec beaucoup d’à-propos. Nadal ? « Il a beaucoup de force et de puissance mais, pour moi, il reste quelqu’un d’élégant. Comme Captain America. » Djokovic ? « Mr Fantastic, l’homme élastique des Quatre Fantastiques. Un personnage hyperintelligent, comme Djoko sur le terrain. Et puis Novak, quand on le regarde, il ne paie pas de mine. Mais en fait il est ultra ‘fit’, ultra-élastique, ultra-intelligent. Le mec des Quatre Fantastiques, c'est pareil… on a l'impression qu'il est tout pourri, mais en fait, il est redoutable ! » Federer ? « Magneto. A la fois hyperintelligent, très puissant et élégant. Il est là, mais en fait, on ne peut pas trop le toucher. Ça aussi, c'est Roger. » Murray enfin : « Johnny Storm des Quatre Fantastiques. Nerveux, puissant, très rapide, impulsif et très fort. Et il part au quart de tour, comme Andy ! »
Par Guillaume Willecoq