Nadal et Djokovic ont repris sur la terre battue à Monte-Carlo sans préparation. Plus besoin puisque désormais les meilleurs brillent sur toutes les surfaces. Ce qui signe du coup la fin des spécialistes : des crocodiles terriens aux serveurs-volleyeurs herbivores…
Un seul coup d’œil au palmarès des Grands chelems depuis juillet 2004 suffit pour s’en convaincre. Les trente-un titres attribués depuis le Wimbledon de cette année-là n’ont connu que cinq vainqueurs. Deux exceptions à la règle : Safin (Australie 2005) et Del Potro (US Open 2009). Le reste appartient au trio infernal qui régente le circuit depuis lors : Federer (14 titres), Nadal (10) et Djokovic (5). L’apparition des trois mousquetaires, à laquelle on pourrait rattacher celle d’Andy Murray, le quatrième larron sans couronne, marque aussi l’ascension d’un quatuor de joueurs complets et multi-surfaces. « Au-delà des aptitudes de ces quatre-là, c’est l’uniformisation des surfaces qui a favorisé leur émergence, analysait Ivan Ljubicic, au crépuscule de sa carrière, à Monte-Carlo, la semaine dernière. Le gazon de Wimbledon ne va plus aussi vite. Il est même carrément lent dès la fin de la première semaine. A l’inverse, les balles et le beau temps, quand il est présent ont accéléré le jeu à Roland-Garros. Et puis il y a les deux autres (Grands chelems, Ndlr) qui se jouent sur dur, et c’est devenu la surface médiane. »
Pour beaucoup d’observateurs, le premier coup de canif dans l’ordonnancement d’un Grand chelem pour spécialistes remonte à 1992. A la victoire d’Andre Agassi à Wimbledon. Le Kid de Las Vegas y inverse le paradigme du serveur-volleyeur grâce à ses retours dévastateurs. « A la base, l’Américain prenait la balle très tôt, quelle que soit la surface, rappelle Ilie Nastase, l’ancien champion roumain. A Wim’, cette année-là, les grands serveurs, notamment Ivanisevic en finale, avaient l’impression de jouer contre un mur tellement il lisait bien leurs mises en jeu. Ensuite, il a bénéficié de la détérioration du gazon au fil du tournoi. » Le futur époux de Steffi Graf évoluait sur le court comme sur une table de ping-pong. Son père lui avait fait travailler son acuité visuelle avant même l’âge des premières balles (1). Du coup, l’Américain jouait à l’intérieur du terrain. Pas un hasard si, depuis lors, aucun serveur top-gun (Roscoe Tanner, Kevin Curren…) ou outsider martien (Chris Lewis) n’est parvenu en finale sur l’herbe londonienne – seule incongruité sur les tablettes : MaliVai Washington en 1996 appartenait, quant à lui, au Top 15. Pas un hasard non plus si Agassi devient en 1999 le premier joueur à gagner les quatre levées sur quatre surfaces différentes.
L’indoor, exception qui confirme la règle
Outre sa propension à prendre la balle très tôt (une faculté que Federer élèvera encore d’un cran peu après), le champion olympique 96 va bénéficier de l’évolution des caractéristiques des différentes surfaces du circuit. Aux antipodes, en matière de jeu et de vitesse, la terre battue et le gazon vont se rapprocher du revêtement le plus utilisé du circuit, le dur. Plus sensible aux conditions naturelles, la terre ocre a été, en plus, le théâtre principal de la toute nouvelle puissance des tennismen. On y joue de plus en plus souvent des points en trois ou quatre coups. A des années-lumière des rallyes des crocodiles d’antan. Outre cette nouvelle vigueur athlétique et « le nivellement des surfaces, la modification du matériel a joué son rôle, notamment à Roland-Garros. Les balles sont devenues plus ou moins rapides, les cordages et les cadres de raquettes ont évolué. Tout cela a contribué à une uniformisation multi-surfaces qui a profité aux meilleurs » poursuit Ilie Nastase.
Aujourd’hui finalement, la seule surface qui tranche avec l’ordinaire tennistique reste l’indoor. Pas étonnant que les livreurs de patates comme Soderling y prospèrent. La fédé internationale et l’ATP doivent y retrouver leurs petits : moins de surprises et des stars facilement identifiables à travers le village global, business as usual. La progression de John Isner sur terre battue (une hérésie old school pour ce géant de 2,06 m qui ne glisse pas bien, Ndlr) depuis un an constitue, de ce point de vue, une formidable nouvelle : c’est à la fois une nouvelle tête et un joueur multi-surfaces. Un spécial, pas un spécialiste, en quelque sorte…
Par Rico Rizzitelli
(1) : son père Mike avait installé au-dessus de son berceau une balle de tennis suspendue à un fil